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VIGNE

Augustin Suàrez, coauteur d'une étude économique sur la taille rase pour le Cevise « Un projet rentable pour les nouvelles vignes »

Propos recueillis par Christelle Stef - La vigne - n°228 - février 2011 - page 28

LA VIGNE : Au Cevise (Comité économique des vins du Sud-Est), vous avez mené en 2010 une étude économique sur l'intérêt de la taille rase. Pouvez-vous nous la présenter (1) ?

A. S. : Nous avons distingué les nouvelles vignes et les vignes déjà en production. Dans le premier cas, on adapte le vignoble à la taille rase au moment même de la plantation. Il faut alors prévoir de planter à une densité plus importante que la densité moyenne dans le Sud-Est aujourd'hui. Il faut aussi mettre en place un palissage plus résistant et consacrer plus de temps à l'étape d'établissement des souches. Nous avons évalué les investissements supplémentaires que tout cela occasionne par rapport à des vignes que l'on va tailler à la main.

Dans le second scénario, on a simulé tous les coûts liés à la transformation d'un vignoble déjà en place.

Par ailleurs, au sein de chaque scénario, nous avons identifié des sous-scénarios. Pour les nouvelles vignes, nous avons imaginé que le viticulteur introduit la taille rase sur la totalité de son vignoble en une seule fois ou progressivement, à raison d'un hectare par an. Pour les vignes déjà en production, nous avons étudié trois cas : une vigne en guyot simple, une en cordon de Royat bien établi et une autre en cordon de Royat mal établi. En plus, nous avons pris en compte le type de tailleuse utilisé (avec module de prétaillage ou pas), ainsi que la manière dont on l'introduit dans le vignoble (achat ou prestation de service).

La taille rase est-elle rentable dans toutes les situations ?

A. S. : Dans notre étude, l'introduction de la taille rase est toujours rentable dans le cas des nouvelles plantations. Pour les vignes en production, la viabilité du projet dépend beaucoup de l'état de la vigne, de son âge et de l'état du palissage. Le projet n'est pas rentable dans les vignes âgées, dont il faut supprimer les anciens cordons, mal établis ou irréguliers, pour reformer des souches adaptées à la taille mécanique. Dans ce cas-là, le coût d'adaptation et les risques sont trop importants.

Pour les nouvelles vignes, sur quoi reposent les bénéfices de la taille rase ?

A. S. : Il y a deux sources de bénéfices. La première vient de la réduction du coût de la taille. Selon le scénario, elle est comprise entre 25 % et 50 % par rapport à une taille manuelle. La seconde source de bénéfices rendements. A ce sujet, on estime que la taille rase provoque une augmentation de l'ordre de 20 % du volume récolté sans que cela affecte la qualité du raisin. Si la production est bien valorisée, ce supplément peut devenir la principale source de bénéfice (autour de 60 % du bénéfice total).

Vous dites que la création de nouvelles vignes adaptées à la taille rase peut vite devenir prohibitive pour les viticulteurs. Pourquoi ?

A. S. : Créer un vignoble adapté à la taille rase est un projet coûteux. Afin d'obtenir des bons résultats, il faut être rigoureux en ce qui concerne la plantation, l'installation du palissage et la formation des souches. Sans tenir compte de la machine à tailler, dans le Sud-Est, la création et l'établissement d'un vignoble adapté à la taille mécanique coûtent autour de 4 500 €/ha plus cher qu'un vignoble taillé à la main. Selon les hypothèses de notre étude, ce différentiel comprend les coûts liés à l'augmentation de la densité (environ 1 900 €/ha), à l'installation d'un palissage plus résistant (environ 2 000 €/ha) et aux travaux en vert nécessaires à l'établissement de souches bien adaptées à la taille mécanique (environ 600 €/ha). Pour les parcelles déjà en production, le coût de transformation varie de 1 500 €/ha à plus de 5 000 €/ha selon l'état des vignes et le mode de conduite : guyot simple, cordon bien établi ou pas.

Vous estimez qu'il vaut mieux implanter progressivement des nouvelles vignes adaptées à la taille rase…

A. S. : Oui. Compte tenu du coût du projet, il vaut mieux démarrer en douceur. Et il faut donner au viticulteur le temps de développer un savoir-faire qui lui permettra de faire face aux difficultés liées à la taille rase. Lors de la première expérience, il est important de travailler avec des conseillers spécialisés et de faire appel à des prestataires de service expérimentés.

Dans les vignes en production, dans quelles conditions la taille rase peut-elle être mise en place… ?

A. S. : Pour les vignes conduites en cordon de Royat, il faut un palissage solide et de bonne qualité. Le cordon doit être homogène et bien attaché. L'écartement entre les plants ne doit pas être important car sinon, la machine passe mal, elle ne peut pas bien suivre les cordons et elle ne taille pas à une hauteur régulière.

Quant aux vignes conduites en guyot, il faut les transformer en cordon de Royat. Ce processus peut prendre trois années avant le premier passage de la tailleuse. Il faut signaler que dans les faits, la plupart des vignes en production ne sont pas adaptées à la taille rase.

... Et dans ce cas quels sont les investissements à réaliser ?

A. S. : L'investissement le plus important correspond au renforcement du palissage. Il faut changer ou rajouter des piquets, changer le fil porteur, utiliser des ancrages plus résistants, etc. Par ailleurs, pendant les premières années, il faut effectuer des travaux supplémentaires afin d'établir un cordon homogène, mais aussi de manière à réduire le nombre de sarments que la machine a mal taillé et qu'il faut ensuite nécessairement reprendre à la main. Selon le mode de conduite, il faut prévoir plus de temps pour l'épamprage des pieds, l'attachage du cordon et des bois, l'ébourgeonnage de la zone de courbure du cordon, etc.

Ne vaut-il pas mieux transformer un vignoble déjà en production que mettre en place une nouvelle vigne adaptée à la taille rase ?

A. S. : Grâce à notre étude, nous avons vu que dans les vignes en production bien établies, l'investissement initial pour la transformation était moindre que pour créer une vigne nouvelle adaptée à la taille rase. Cependant, il faut signaler qu'on trouve plus d'inconvénients dans ce scénario. Le principal inconvénient est l'augmentation du risque du projet. Si la taille rase n'est pas homogène et que la hauteur de coupe n'est pas correcte, cela peut provoquer une augmentation non maîtrisée des rendements et par conséquent une réduction de la qualité du raisin. Le risque sanitaire augmente aussi, les plaies provoquées par une taille défectueuse peuvent occasionner des maladies dans les souches.

Vaut-il mieux investir dans une tailleuse ou faire de la prestation de service ?

A. S. : Que ce soit pour les nouvelles vignes ou les vignes en production cela dépend de la surface travaillée. Le tarif du prestataire, le prix d'achat de la machine et le coût d'entretien sont les autres variables qu'on doit analyser pour déterminer la taille critique du vignoble. Avec les données de notre modèle, on estime cette taille autour de 10 hectares. Et, au-delà du facteur économique, il faut prendre en compte la qualité du travail effectué par le prestataire.

(1) Evaluation économique de la taille rase de précision. Etude réalisée par le Cevise en partenariat avec la chambre d'agriculture du Vaucluse et Jean-Pierre Allemand, viticulteur à Jonquières (Vaucluse).

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PARCOURS

2008 : obtention d'un master 2 « Evaluation et gestion de projets ».

2009-2010 : analyste-statisticien au Comité économique des vins du Sud-Est (Cevise).

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