DUBNANY, un charmant village situé à deux pas de la frontière autrichienne, est au centre d'un vignoble réputé pour ses blancs. Des néovignerons veulent démontrer son potentiel viticole. © V. ŽELEZNÝ
JAN ET MIRO (de gauche à droite) sont des vignerons du dimanche. Ils travaillent la semaine (mécanicien et plombier) et passent leurs week-ends à s'occuper de leurs vignes et à boire leurs vins lors des « poharek » (tournée des caves).
MIROSLAV CHYTIL (ci-contre) a investi dans la viticulture après s'être enrichi dans les années quatre-vingt-dix. Il ne manque pas d'afficher son goût pour la moto de cross et la cuisine, son premier métier. © M. HULOT
CRÉÉE il y a dix ans, par Vladimír Železný, la cave Tanzberg mise sur le haut de gamme et soigne son image. © V. ŽELEZNÝ
CERTAINES MAISONSCAVES, Sklípek en tchèque, datent du XVe siècle. C'est l'un des vignobles les plus anciens d'Europe. © M. HULOT
Voici un bel exemple d'œnotourisme ! Eva et Zbynek Kopecek, la quarantaine, possèdent une maison de vigne au cœur du vignoble morave, en République tchèque. Dans la cave au sous-sol, Zbynek produit tous les ans environ 100 hl de vins d'une large gamme de cépages blancs et rouges. Au rez-de-chaussée, une vaste pièce chauffée au feu de cheminée, une immense table en bois épais, une petite cuisine. A l'étage, des chambres à coucher.
Les Praguois viennent passer le week-end chez les Kopecek. A partir de 500 CZK (20 euros) par personne, ils ont droit à une visite de cave, une dégustation et un repas. L'orchestre de musique traditionnelle est en supplément : Eva chante, Zbynek joue de la clarinette, leur fils du « cimbalon » et leur fille danse en tenue folklorique. La soirée terminée, les clients cuvent leur vin à l'étage et repartent le lendemain.
Le couple a de gros emprunts sur le dos, mais son affaire semble tourner, même à l'entrée de l'hiver. La région est très touristique. Au printemps et en été, des dizaines de fêtes sont organisées dans le vignoble. Des pistes cyclables relient les villages viticoles les uns aux autres. Autant d'attractions pour les visiteurs.
Dramatique interruption
La Moravie constitue la partie est de la République tchèque, la partie ouest étant la Bohême. C'est en Moravie que se concentrent 96 % des 17 360 hectares viticoles du pays. Les 4 % restants sont en Bohême, au nord de Prague, la capitale tchèque. La Moravie est l'un des vignobles les plus anciens d'Europe, intitié par les Romains et réputé dès le Moyen Age, ses vins étant très demandés en Pologne et en Silésie à l'époque.
La région est aussi le creuset d'une histoire riche et douloureuse. Tandis que les Slovaques ont passé mille ans sous domination hongroise, les Tchèques ont été près de quatre siècles sous le joug des Allemands. Aujourd'hui encore, l'influence allemande est perceptible.
Le savoir-faire viticole a été interrompu de façon dramatique durant la Seconde Guerre mondiale. D'abord, les Juifs qui représentaient 96 % de la population ont été envoyés dans les camps de concentration. Ensuite, en 1945-1946, les habitants parlant allemand furent expulsés. Et dans les décennies qui suivirent, le pays fut sous l'emprise communiste : plantations larges et industrialisation furent alors les mots d'ordre.
Aujourd'hui, ce vignoble écorché garde des traces de son savoir-faire ancestral. A commencer par ses caves, dont certaines remontent au XVe siècle.
Dans les villages viticoles, les maisons s'enchaînent en enfilade, toutes différentes. Seul point commun : elles possèdent toutes leur parcelle de vignes, elles aussi alignées, qui forment un paysage au charme bien particulier.
La viticulture comprend quelques grosses sociétés, dont Bohemia Sekt reprise par le groupe Henkell &Co en 1999, des investisseurs récents et des milliers de propriétaires. Au sein de ces derniers, la plus grande inégalité règne puisque 1 % d'entre eux cultivent 46 % du vignoble.
Les vins sont issus de nombreux cépages. Müller-thurgau, grüner-veltliner, welschriesling, sauvignon blanc, muscat morave et chardonnay sont les variétés blanches les plus cultivées. La liste des cépages noirs est encore plus variée : saint-laurent, lemberger, portugais bleu, cabernet-sauvignon, andré (croisement lemberger et saint-laurent), cabernet moravia (croisement de cabernet franc et zweigelt), pinot noir… auxquels s'ajoutent quelques teinturiers comme le neronet, l'alibernet et le rubinet.
« Connaissez-vous un pays où l'on cultive autant de cépages différents ? » me lance fièrement Zbynek Kopecek devant la caméra. Car en dehors de ses activités de producteur, il anime aussi une émission hebdomadaire sur le vin à la télévision locale. Ma venue lui donne l'occasion d'interroger une journaliste étrangère sur ce que le monde extérieur pense des vins tchèques. Mais comme ces vins sont essentiellement consommés dans leur pays d'origine, il est bien difficile de lui répondre…
L'émergence de nouveaux riches
Les années quatre-vingt-dix ont vu l'émergence de nouveaux riches pour qui le vin est la vitrine de la réussite. Miroslav Chytil par exemple, était cuistot sous l'ancien régime. Il s'est enrichi dans les années quatre-vingt-dix. Il a reconstruit la pension Ludmila avec terrasse, barbecue dernier cri, etc. Côté vinification, il s'est offert le matériel du parfait winemaker. Mais ici, tout est en miniature : minifouloir-égrappoir, minipressoir Bucher, cuves inox de 125 l, fûts français en chêne, cuves de vieillissement sur mesure et même un ascenseur pour monter la vendange ! Il fait ses expériences dans la pension, mais son véritable chai est en ville, où il possède aussi un vaste restaurant mettant en avant sa production et dont les murs sont tapissés de diplômes viticoles.
Bien d'autres investissements ont vu le jour ces dernières années. L'un des plus prometteurs est celui du très controversé Vladimír Železný, journaliste, homme politique et fondateur de la première télévision libre du pays en 1994. Sa gamme comprend du cabernet-sauvignon, du pinot noir et du merlot. Bien qu'issus de jeunes vignes, ses vins sont déjà bien équilibrés.
Message aux consommateurs ordinaires
Vladimír Železný veut montrer le potentiel viticole de la région de Mikulov, ville située tout au sud du pays, à 3 km de la frontière autrichienne. Il veut aussi inciter ses concitoyens à monter en gamme. Dans ce but, il vient de sortir un livre intitulé « Message aux consommateurs ordinaires ». Pour lui, la partie n'est pas gagnée : « Les consommateurs ne comprennent pas qu'entre 3 € et 6 € la bouteille, la différence peut être énorme. » Ils préfèrent donc dépenser 3 €. Vladimír Železný, dont la gamme comprend des bouteilles jusqu'à 10 €, compte bien changer les choses.