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VIGNE - POUR APPROFONDIR

Le débourrement

Frédérique Ehrhard - La vigne - n°229 - mars 2011 - page 50

Que se passe-t-il ?

C'est la première étape de la croissance annuelle de la vigne. Le débourrement démarre quand les écailles des bourgeons s'ouvrent laissant sortir la bourre (stade B). Il s'achève avec l'apparition de la pointe verte des jeunes pousses (au stade C). Celles-ci étaient contenues sous forme d'ébauches dans les bourgeons (voir photo). Elles vont reprendre leur croissance, qui avait été interrompue par l'entrée en dormance l'été précédent.

Comment se prépare-t-il ?

Le débourrement est précédé par les pleurs. « Ceux-ci se produisent lorsque la température du sol monte jusqu'à 10 ou 12°C. Les racines reprennent alors leur activité et absorbent des nutriments. La sève se concentre. Mise en circulation par osmose, elle monte et s'écoule par les plaies de taille », explique Thierry Améglio, chercheur à l'Inra de Clermont-Ferrand.

Ce mouvement de sève « réhydrate les bourgeons. Il amène l'eau et les nutriments nécessaires à la reprise de la multiplication et de la croissance des cellules », précise Laurent Torregrosa, professeur à Montpellier SupAgro. « Les bourgeons débourrent même si les racines sont mortes. Mais dans ce cas, les pousses ne se développent pas », indique Alain Carbonneau, également professeur à Montpellier SupAgro. L'activité racinaire est indispensable à la croissance de la future pousse, qui peut démarrer seulement dix ou quinze jours après le débourrement si les conditions ne sont pas favorables.

Qu'est-ce qui le déclenche ?

Une période de froid, suivi du réchauffement printanier. En fait, le débourrement se déclenche en deux étapes. « La dormance, initiée à la fin de l'été précédent, doit d'abord être levée pour que la division cellulaire reprenne. Pour cela, la vigne doit traverser une période durant laquelle la température descend en dessous de 5 à 10°C », précise Thierry Améglio.

Les besoins en froid varient en fonction de l'intensité de la dormance, elle-même déterminée par les conditions de l'été précédent. « Après un stress hydrique intense et une chute précoce des feuilles, il peut ne pas y avoir d'entrée en dormance », constate Laurent Torregrosa.

Une fois les besoins en froid couverts, les bourgeons deviennent réactifs. « Ils enregistrent les températures supérieures à un seuil qui varie entre 6 et 12°C suivant les cépages. Et lorsque la somme de ces températures devient suffisante, ils s'ouvrent », ajoute Alain Carbonneau.

Peut-on prévoir la date ?

La date de débourrement est conditionnée par la somme des températures enregistrées après la levée de dormance Elle est aussi influencée par la vigueur de la souche. « Le débourrement est d'autant plus précoce que les bois ont peu de vigueur », affirme Alain Carbonneau. La date de taille influe également. « En retardant la taille à fin mars, par exemple, on retardera le débourrement de cinq à dix jours par rapport à une taille en janvier ou en février », souligne François Langellier, ingénieur au CIVC. Plusieurs modèles permettent de prévoir la date de débourrement qui intervient « en moyenne, après 80 degrés jours cumulés au-dessus du seuil de 10°C », indique Jean-Pascal Goutouly, chercheur à l'Inra de Bordeaux.

Pourquoi est-il parfois irrégulier ?

Les bourgeons les plus élevés démarrent en premier. C'est ce qu'on appelle l'acrotonie. Elle est plus ou moins marquée suivant les cépages et peut être renforcée par une alternance de périodes chaudes et froides qui retarde encore le débourrement des bourgeons les plus tardifs. L'arcure contribue à la réguler. « Pour éviter la formation de fenêtres de débourrement, il faut veiller à ne pas tailler trop long les baguettes et à ne pas trop allonger les cordons », conseille Alain Carbonneau.

De même, il faut que la vigne ait un bon niveau de réserves. Les parcelles supportant une charge excessive peuvent ainsi connaître une irrégularité du débourrement l'année suivante. A l'inverse, « sur une parcelle qui n'avait porté aucun raisin à cause du gel, j'ai constaté que tous les bourgeons démarraient en même temps quelle que soit leur position sur la baguette », relève François Langellier.

Comment évolue la sensibilité du bourgeon au gel ?

Les écailles et la bourre ont un effet isolant auquel s'ajoutent des mécanismes biochimiques de protection contre le gel. Tant que le bourgeon primaire reste bien fermé et peu hydraté, il supporte jusqu'à -15°C. Le bourgeon secondaire, lui, résiste jusqu'à -2°C. Au fur et à mesure que les écailles s'ouvrent, les bourgeons sont moins protégés contre le froid. Arrivés au stade C, ils peuvent geler si la température descend en dessous de -2,5°C en situation humide et de -4°C en situation sèche.

La résistance au gel peut aussi être réduite sur les bourgeons encore fermés si les températures chutent après une période très pluvieuse. « L'humidité facilite la pénétration du froid à l'intérieur des écailles, et le bourgeon principal peut geler à partir de -3°C. Le contre-bourgeon prend alors le relais », explique François Langellier.

Au débourrement, on peut très bien ne pas remarquer qu'un bourgeon primaire a subi un gel hivernal, car son remplacement par un bourgeon secondaire passe inaperçu. En revanche, le sinistre deviendra évident à la sortie des grappes, car le contre-bourgeon est bien moins fertile que le bourgeon principal. Pour s'en apercevoir plus tôt, il faut faire une coupe des bourgeons.

Quelle est l'influence du réchauffement climatique ?

« Le réchauffement raccourcit le cycle de la vigne. Les dates de débourrement tendent à avancer. Mais cet avancement est plus marqué pour les dates de floraison, de véraison et de vendanges, car pour l'instant, c'est durant l'été que le réchauffement est le plus fort », précise Jean-Pascal Goutouly. Dans la vallée du Rhône, la date de débourrement a avancé d'une dizaine de jours entre 1976 et 2000. Même constat en Champagne.

« Le débourrement se situe aujourd'hui entre le 10 et le 15 avril, alors qu'il arrivait plutôt vers le 20 avril, il y a trente ans », souligne François Langellier. Dans la même période, le nombre moyen de jours de gel après le débourrement a été multiplié par trois, passant de 1,5 à 4,5 jours. « Mais ces gelées sont le plus souvent moins intenses et plus précoces, et entraînent moins de dégâts, heureusement », poursuit-il.

Ce réchauffement peut-il être préjudiciable ?

Si le débourrement est plus précoce et qu'en même temps les risques de gel sont réduits, il n'y a pas de problème. En revanche, si le débourrement arrive tardivement dans une période où la température augmente rapidement, cela peut nuire à la fertilité. « La différenciation des boutons floraux se produit au moment du débourrement, relève Alain Carbonneau. La température optimale se situe autour de 12°C. Si elle dépasse ce seuil, il y aura moins de fleurs et de baies sur les grappes. Cette baisse du nombre de fleurs peut être très importante si la température dépasse 15°C lors du débourrement. Cela pourrait être une des explications à la baisse de fertilité constatée ces dernières années en Roussillon sur des cépages tardifs comme le cabernet-sauvignon. Pour y pallier, dans les zones où il n'y a pas de risques de gel majeurs, une solution serait de tailler ces cépages tardifs plus tôt, pour qu'ils débourrent à une période plus fraîche. »

Il se déclenche après une période de froid suivi du réchauffement printanier

LES PLEURS précèdent le débourrement. Ce mouvement de sève réhydrate les bourgeons. © J. NICOLAS

LES PLEURS précèdent le débourrement. Ce mouvement de sève réhydrate les bourgeons. © J. NICOLAS

LA BOURRE est bien visible (stade B de Baggiolini), le bourgeon est dans le coton. C'est le début du débourrement. © C. WATIER

LA BOURRE est bien visible (stade B de Baggiolini), le bourgeon est dans le coton. C'est le début du débourrement. © C. WATIER

LORSQUE LA POINTE VERTE de la pousse apparaît (stade C de Baggiolini), le débourrement s'achève. © C. WATIER

LORSQUE LA POINTE VERTE de la pousse apparaît (stade C de Baggiolini), le débourrement s'achève. © C. WATIER

LE BOURGEON LATENT contient les ébauches du futur rameau, protégées par les écailles et la bourre (en brun). Les zones plus claires et plus foncées du cône végétatif (en bas) correspondent chacune à un entre-nœud et un nœud. Elles portent des ébauches de feuilles et deux ébauches d'inflorescences (en haut).

LE BOURGEON LATENT contient les ébauches du futur rameau, protégées par les écailles et la bourre (en brun). Les zones plus claires et plus foncées du cône végétatif (en bas) correspondent chacune à un entre-nœud et un nœud. Elles portent des ébauches de feuilles et deux ébauches d'inflorescences (en haut).

L'AXE PRINCIPAL de ce bourgeon latent et l'axe secondaire n°1 ont souffert du gel. Trois autres axes secondaires restent bien verts. Ils vont se développer au débourrement et porteront des feuilles, mais pas d'inflorescences.

L'AXE PRINCIPAL de ce bourgeon latent et l'axe secondaire n°1 ont souffert du gel. Trois autres axes secondaires restent bien verts. Ils vont se développer au débourrement et porteront des feuilles, mais pas d'inflorescences.

En presque trente ans, le cycle végétatifest devenu plus précoce

En presque trente ans, le cycle végétatifest devenu plus précoce

Les bourgeons ont besoin de froid pour lever leur dormance, puis de chaleur pour reprendre leur croissance et débourrer. Avec le réchauffement climatique, ce phénomène se produit de plus en plus tôt, ce qui pourrait nuire à la fertilité de certains cépages.

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