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VIN

La thermovinification s'étend aux blancs

Marine Balue - La vigne - n°229 - mars 2011 - page 56

En Touraine, des vignerons thermovinifient des moûts de raisins blancs. Ils obtiennent des sauvignons plus expressifs et moins végétaux.
SAUVIGNON THERMOVINIFIÉ. Pascal Gibault, ici en photo au Salon des vins de Loire, a appliqué la thermovinification à un de ses sauvignons de Touraine 2010. Il a fait appel à l'entreprise de prestation d'Aynard de Clermont Tonnerre. Ce vin est expressif, rond, avec des notes de fruits tropicaux et il est dépourvu d'arômes végétaux. © B. COLLARD

SAUVIGNON THERMOVINIFIÉ. Pascal Gibault, ici en photo au Salon des vins de Loire, a appliqué la thermovinification à un de ses sauvignons de Touraine 2010. Il a fait appel à l'entreprise de prestation d'Aynard de Clermont Tonnerre. Ce vin est expressif, rond, avec des notes de fruits tropicaux et il est dépourvu d'arômes végétaux. © B. COLLARD

Si les consommateurs apprécient les vins de sauvignon blanc, c'est surtout pour leur nez intense, leurs notes d'agrumes ou de fruits exotiques. Des vignerons de Touraine ont trouvé une solution pour amplifier cette expression aromatique. Ils ont tout simplement appliqué à leurs blancs une technique jusqu'ici réservée aux rouges : la thermovinification.

« J'ai suivi une première cuve de blanc thermovinifié en 2009, se souvient Dominique Layac, œnologue et responsable du laboratoire Vinilabo, à Noyerssur-Cher (Loir-et-Cher). En 2010, la pratique s'est étendue à une vingtaine de cuves. Les vignerons travaillent en majorité sur du sauvignon et un peu sur du chenin. »

Plus de thiols dans les vins de sauvignon

Aynard de Clermont Tonnerre, propriétaire du clos du Porteau à Saint-Georges-sur-Cher et prestataire de thermovinification, est plus qu'enthousiaste sur la technique : « J'ai traité quelques cuves de blancs sur mon domaine en 2010 et j'ai une vingtaine de clients en prestation. Les résultats sont excellents. » Pour s'en assurer, il a réuni tous ses clients autour d'une dégustation des vins thermovinifiés. « Loin de standardiser les vins, la technique a amplfié les spécificités, le style de chacun », ajoute-t-il.

Autre preuve de cette réussite, les médailles décrochées au concours des vins de Loire début 2011. « Les trois blancs de Touraine médaillés d'or ont été élaborés pour moitié en thermovinification ! » expose Aynard de Clermont Tonnerre.

Pour lui, la technique amplifie l'expression des thiols du sauvignon. Elle apporte aussi du gras et un peu de structure.

En effet, à la dégustation, sa cuvée en partie thermovinifiée a plus de rondeur et des arômes de fruits exotiques plus marqués que son sauvignon classique, qui est plus minéral.

Dominique Layac a aussi l'impression que les arômes des sauvignons thermovinifiés sont bien développés. « Il semble que ces vins aient plus de fraîcheur, principalement autour des thiols. Et que le caractère végétal soit un peu gommé, comme lors des thermovinifications en rouge », observe-t-il. Il raconte que lorsque la température des moûts atteint 60 à 65°C, on sent des notes végétales très fortes dans le chai. Puis, après refroidissement, ces arômes disparaissent. En fait, la ventilation dans la tour de refroidissement permet leur évaporation.

« Un chenin au style jeune, moderne »

Aynard de Clermont Tonnerre a également thermovinifié du chenin. Le résultat est assez original : le nez est très fruité, avec des arômes de pomme et de bonbon. Le vin est légèrement lacté, avec une jolie rondeur… « Le style est celui d'un chenin sud-africain, jeune, moderne », résume le vigneron entrepreneur. Mais Dominique Layac, son œnologue conseil, n'est pas vraiment convaincu. Il estime qu'il est plus intéressant de travailler sur la maturité de ce cépage, les différents terroirs…

Outre son effet sur les arômes, la thermovinification peut contribuer à stabiliser les vins au niveau microbiologique. « Au départ, on l'utilisait sur les vendanges touchées par la pourriture, rappelle Aynard de Clermont Tonnerre. Elle permet d'éliminer très tôt la laccase produite par le botrytis ou encore des Brettanomyces. »

En mesurant les quantités d'azote assimilables dans les moûts, il a aussi remarqué moins de problème de carences azotées avec le chauffage. « Or, l'azote assimilable est très important dans l'expression des thiols du sauvignon », souligne le vigneron. Enfin, Dominique Layac suggère que les vins blancs thermovinifiés pourraient être plus stables à la conservation, « parce qu'on interfère dans les mécanismes oxydatifs et enzymatiques. Mais, il faudrait réaliser des tests sur le long terme pour s'en assurer ».

Travailler avec un moût bien clarifié

Quant à la pratique, la thermovinification des blancs ne diffère pas vraiment de celle des rouges. Le matériel est similaire : chaudière, échangeurs thermiques et tour de refroidissement. La différence est qu'ici, les vignerons ne chauffent pas la vendange, mais le jus, après pressurage.

« Le but n'est pas d'extraire des tanins, ce qui pourrait arriver si on chauffait les pellicules et les pépins », précise Dominique Layac. On ne chauffe donc que le moût à 62-65°C pendant trois à six heures, puis on le refroidit avant de le faire fermenter. Dans l'appareil d'Aynard de Clermont Tonnerre, ce refroidissement a lieu à l'air libre. Les moûts chauffés coulent sur une succession de plaques alvéolées. Venant du bas, un puissant souffle d'air les refroidit, emportant en même temps les arômes végétaux.

Dominique Layac note qu'il est préférable de bien clarifier les jus avant de les chauffer, sinon les bourbes peuvent générer des goûts végétaux et de la réduction. « J'ai remarqué de meilleurs résultats chez mes clients avec des turbidités très basses », confirme Aynard de Clermont Tonnerre. De plus, il est préférable de levurer rapidement le moût, le chauffage à plus de 60°C l'ayant débarrassé d'une grande part des levures.

Si l'on se fie à ces premières observations, la thermovinification appliquée aux blancs a du potentiel. Mais ceux qui la pratiquent restent prudents. « Aucun essai cadré n'a encore été effectué dans la région sur les blancs, rappelle Dominique Layac. Il ne faut donc pas tirer de conclusion hâtive. » Il faudrait, par exemple, comparer rigoureusement les profils sensoriels et les teneurs en thiols de cuves thermovinifiées et de cuves classiques issues de la même vendange.

Des essais sur chardonnay dans le Languedoc

La cave coopérative de Corneilhan (Hérault) a eu l'idée de tester la thermovinification sur des raisins blancs. L'Institut coopératif du vin a suivi ces essais dans le cadre du « groupe de caves partenaires ». En 2009 et 2010, la cave a thermovinifié un lot de chardonnay. Elle a chauffé la vendange à 75°C, puis l'a pressée directement à chaud. Ensuite, elle a clarifié les jus. Une fois refroidi, le moût a fermenté. « En 2009, les raisins n'étaient pas trop riches en sucres (12,5° d'alcool potentiel), relate Daniel Granès, directeur scientifique de l'ICV. Le moût était riche en azote, ce qui est peut-être dû au chauffage.

La fermentation a été très rapide, elle n'a duré que trois ou quatre jours, mais il n'y a pas eu de problème analytique. » A la dégustation, quelques mois plus tard, les vins thermovinifiés ont révélé une structure tannique plus présente que des vins issus de vinifications classiques. Pour Daniel Granès, ils ont un peu plus de densité en bouche. Il n'a remarqué aucun effet sur les arômes : « La technique peut avoir un intérêt lors des années où l'on manque un peu de maturité ou lorsqu'il y a de la pourriture. Elle conduit à des vins un peu différents, sans que ce soit révolutionnaire. » Il souligne que deux éléments ne sont pas encore bien maîtrisés sur blancs : on ne sait pas s'il est plus intéressant de pratiquer une légère macération à chaud, une flash-détente ou un pressurage direct après thermovinification, ni s'il est préférable d'apporter ou enlever de l'oxygène au moût avant le début de la fermentation alcoolique. Avant de lancer des essais, Daniel Granès estime qu'il faut d'abord s'assurer que le style des vins obtenus présente des débouchés commerciaux.

Quelques résultats sur les rosés

Plusieurs vignerons de Touraine ont aussi thermovinifié des rosés. Ils ont appliqué le même principe que pour les blancs : ils ont chauffé les jus après pressurage et débourbage. « Certains cépages semblent mieux répondre que d'autres, remarque Dominique Layac, œnologue responsable du Vinilabo. Sur les rosés de cabernet-sauvignon que j'ai goûtés, les notes de fraise et de framboise ressortent bien. C'est aussi vrai pour les rosés de cabernet franc, mais c'est moins marqué. » Les rosés issus du cot ont un profil un peu similaire aux cabernets. Par ailleurs, une cuve thermovinifiée de pinot d'Aunis a révélé une bonne expression des thiols, dont des notes de pamplemousse.

Comme sur les blancs, la thermovinification gomme les goûts végétaux. « Les résultats sur gamay sont plus aléatoires », note l'œnologue.

Ce cépage, qui se prête bien aux thermovinifications en rouge, n'a apparemment pas trop d'intérêt en rosé.

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