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VIN

L'étiquette influence la perception des consommateurs

Marine Balue - La vigne - n°230 - avril 2011 - page 60

Les dernières conférences du Lien de la Vigne avaient pour thème la perception sensorielle. Des chercheurs en économie expérimentale ont confirmé l'impact de l'étiquette sur les consommateurs.
CONSENTEMENT À PAYER. D'après une étude de l'Inra, les consommateurs sont prêts à payer un champagne plus cher si c'est une marque connue. En dégustant à l'aveugle, les avis sur les champagnes sont tous différents. © J.-C. GUTNER

CONSENTEMENT À PAYER. D'après une étude de l'Inra, les consommateurs sont prêts à payer un champagne plus cher si c'est une marque connue. En dégustant à l'aveugle, les avis sur les champagnes sont tous différents. © J.-C. GUTNER

« L'information dont on dispose est un des facteurs qui déterminent notre comportement alimentaire », expose Patrick Etiévant, chercheur à l'Inra, en introduction des conférences du Lien de la Vigne. Cette observation vaut pour le vin : notre perception est souvent différente quand on déguste à l'aveugle et quand on connaît l'étiquette. « C'est ce qu'on appelle l'effet de halo », précise le chercheur.

Ainsi, l'unité de recherche Aliss (Alimentation et sciences sociales) à l'Inra d'Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), en collaboration avec le centre du goût de Dijon, a mis en évidence que la marque du Champagne influence fortement l'achat d'une bouteille. Ou encore que les Français sont attachés à l'appellation d'origine des vins.

Pour montrer cela, ces chercheurs s'appuient sur l'économie expérimentale. Le principe ? « On fait venir des consommateurs au laboratoire, en leur expliquant qu'ils vont acheter une bouteille de vin, explique Pascale Bazoche, ingénieur de recherche à l'Inra d'Ivry. On leur fait déguster ce vin et ils doivent annoncer le prix qu'ils sont prêts à payer pour l'acheter (consentement à payer). On les informe qu'à la fin de la dégustation, ils paieront un prix tiré au sort parmi les prix annoncés. Si ce prix est supérieur à celui qu'ils ont eux-mêmes donné, ils n'achèteront pas la bouteille. De cette façon, on se rapproche au mieux d'une situation réelle d'achat : au supermarché, chez un caviste… »

La marque surpasse le goût

A chaque fois, les consommateurs indiquent le prix qu'ils sont prêts à payer dans trois conditions : en dégustant à l'aveugle, en regardant seulement l'étiquette, en dégustant et en voyant l'étiquette.

Dans une première expérience, réalisée au début des années 2000, l'équipe d'Aliss a fait déguster au groupe de consommateurs un champagne « premier prix » peu connu, un champagne milieu de gamme et trois champagnes de marques connues.

A l'aveugle, les dégustateurs n'ont pas tous le même avis sur ces différentes bouteilles. « Chacun a une préférence, mais elle diffère des autres. Au final, en moyenne, aucun des champagnes ne ressort plus cher », note Pascale Bazoche. En revanche, dès qu'ils ont connaissance de l'étiquette, les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour les champagnes de marque. Ce qui confirme le poids des marques pour la valeur de ces vins.

Le consommateur français est chauvin

En 2009, les chercheurs se sont focalisés sur l'importance qu'accordent les consommateurs à l'AOC et au cépage. Ils ont étudié le comportement de consommateurs français et allemands. A la dégustation, ils ont proposé un AOC Bourgogne, un AOC Bourgogne Passetoutgrain (pour le mélange de cépages), un vin étiqueté « pinot noir » et un pinot noir américain de chez Gallo. « En dégustant avec l'étiquette sous les yeux, les Français valorisent toujours mieux l'AOC Bourgogne, rend compte Pascale Bazoche. Ils n'apprécient pas trop le Bourgogne Passetoutgrain et rejettent fortement le vin californien. » Les consommateurs français se basent donc beaucoup sur la réputation de l'appellation et sur la région d'origine. « D'ailleurs, le prix qu'ils attribuent en voyant seulement l'étiquette révèle qu'ils attendent une qualité élevée pour une AOC », ajoute Pascale Bazoche.

Côté allemand, la vision est très différente. Ici, on ne rejette pas du tout le pinot noir américain et on apprécie assez l'AOC Bourgogne Passetoutgrain. « Ce vin se rapproche plus, en terme de goût, des vins que les Allemands ont l'habitude de boire », suppose Pascale Bazoche.

Dernier constat : communiquer sur l'environnement sur une étiquette de vin ne pousse pas forcément le consommateur à payer plus cher. En 2008, l'unité Aliss a mené son expérience sur des vins de Bordeaux. Les personnes convoquées ont dégusté une bouteille classique sans référence à l'environnement, deux bordeaux engagés en viticulture durable et un bordeaux certifié Terra Vitis. Ces personnes n'ont pas accordé de prix différents à ces vins.

Le message « écolo » n'a pas d'influence

En parallèle, un groupe a reçu des informations sur l'usage des pesticides en viticulture avant de se prêter à la même dégustation. Là encore, il n'y a pas de distinction marquée entre les deux groupes de consommateurs, signe que le message sur l'environnement n'a pas orienté leur choix.

« Nous n'avons pas inclus de vin bio, car une enquête préalable a suggéré que les consommateurs associent le bio à la santé et ne s'attendent pas à un vin de bonne qualité », précise Pascale Bazoche.

Aujourd'hui, alors que la mode du « vert » semble gagner du terrain chez les consommateurs, l'expérience donnerait-elle les mêmes résultats ?

La minéralité ne trouve toujours pas sa base scientifique

Beaucoup de choses sont écrites sur la minéralité des vins. Et cette notion est de plus en plus présente dans les commentaires de dégustation. Mihaela Minhea, chercheuse à l'université de Bourgogne, l'a souligné lors de la conférence organisée par le Lien de la Vigne, en mars dernier. Avec Jordi Ballester, également chercheur à l'université de Bourgogne, ils sont donc partis à la recherche d'une définition précise de cette notion. Surprise : en épluchant la littérature scientifique, ils n'en ont pas trouvé. La minéralité ne figure pas dans la « Roue des arômes » de Ann Noble, ni dans le « Goût du vin », de Peynaud et Blouin. Cependant, en 2003, Takatoshi Tominaga, chercheur de la faculté d'œnologie de Bordeaux, a identifié un thiol, le BMT (benzenemethanethiol), lié aux odeurs fumées et de pierre à fusil. Il a montré que le BMT est produit dans les vins de chardonnay, deux ou trois fois plus que dans le sauvignon ou le sémillon. Mais aucune étude n'a approfondi ces observations depuis.

Pour essayer d'y voir plus clair, Jordi Ballester et Mihaela Minhea s'intéressent à la perception qu'ont les experts et les consommateurs de la minéralité. Ils ont commencé par faire déguster seize vins de chardonnay à un jury d'experts et à un jury entraîné. Huit vins sont a priori minéraux, les huit autres ne le sont pas. Sur les cinq experts, trois ont noté que les vins « minéraux » ont un caractère minéral plus intense au nez. En revanche, les avis divergent complètement pour les arômes en bouche. Le jury entraîné, qui a fait une description sensorielle des vins, a bien distingué deux groupes.

Le premier (les vins a priori non minéraux) contient des vins au profil plus fruité. Pour les autres, les dégustateurs ont donné des descripteurs très étranges : serpillière, chien mouillé... « S'agit-il d'une définition de la minéralité ou de notes de réduction ? » s'interroge Mihaela Minhea. Son équipe poursuit les travaux pour essayer de répondre à ces questions.

Identifier un vin demande de l'expertise

D'après une étude du centre des sciences du goût et de l'alimentation de Dijon, seuls les professionnels sont capables, à l'aveugle, de classer des vins selon leur région de production. « Nous avons fait déguster, au nez, vingt-huit vins issus de sept régions françaises et un vin de Californie à des experts et à des consommateurs novices, relate Dominique Valentin, chercheuse au CSGA. Ils ont dû former des groupes de vins au profil sensoriel semblable. » Les novices n'ont pas su classer les vins selon des régions viticoles.

Alors que près de la moitié des experts ont bien catégorisé les vins : ils ont surtout bien identifié les vins du Beaujolais, de Bourgogne, de Bordeaux et le vin américain. Lors d'un test plus simple, les dégustateurs ont dû distinguer, au nez, des vins rouges, blancs et rosés, dans des verres noirs. Dans ces conditions, les consommateurs novices ont été aussi capables que les experts de classer les vins selon leur couleur.

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