AVANT LES VACANCES DE PÂQUES, les Ferré préparent l'ouverture de leur caveau de vente. Ils mettent en avant les coupes remportées lors des concours locaux (de Retz, de Nantes, de Loire-Atlantique…). En 2010, leur gros-plant sur lie a été cité dans le « Guide Hachette » pour la troisième année consécutive. © PHOTOS F. BAL
« Notre salon se tient en juillet et en août sur la côte Atlantique, devant chez nous. La clientèle est déjà sur place, il suffit de la faire venir sur la propriété. » Au domaine du Sillon côtier, à 500 mètres de l'océan, Jean-Marc et Martine Ferré, épaulés depuis 2006 par leur fils Nicolas, jouent résolument la carte du tourisme.
Ils cultivent 15 ha aux Moutiers-en-Retz, village de bord de mer, à 10 km de la station balnéaire de Pornic. Ils vendent directement la moitié de leur récolte, soit 25 000 bouteilles et 2 700 fontaines à vins. « Après le gel de 1991, nous avons décidé de développer les ventes directes », témoigne Jean-Marc. A l'époque, le domaine vendait ses vins à 80 % au négoce. Le couple se souvient d'ailleurs toujours avec une grande nostalgie et au centime près « du plus beau marché de sa vie » : il a vendu ses vins de la récolte 1990 à 10,62 F (1,62 €) le litre. Suite à cette flambée des prix due au gel, le muscadet a perdu ses marchés. Les cours se sont effondrés.
« J'ai commencé à prospecter les cafés, les restaurants et les campings de la côte sur une quarantaine de kilomètres et, bien sûr, à Nantes », raconte Jean-Marc. Aujourd'hui, cette zone est son principal débouché en vente directe. « Mais il faut davantage d'acheteurs qu'avant pour vendre le même volume », poursuit-il.
La « visite des richesses locales » remporte un franc succès
Les Ferré ont toujours accueilli les particuliers au domaine. En 1996, ils ouvrent un deuxième point de vente à la Bernerie-en-Retz à quelques kilomètres du premier. L'été, les deux caveaux sont ouverts toute la semaine sauf le dimanche après-midi.
Jean-Marc se met à faire déguster ses vins dans les campings. En 2007, il propose aux clients de deux d'entre eux une « visite des richesses locales ». Gratuite, elle comprend la découverte des vignes, du marais salant des Moutiers et d'un ostréiculteur. Elle se termine par une dégustation d'huîtres et de gros plant ou muscadet sur lie.
En 2010, l'opération se développe en partenariat avec l'office du tourisme. Les groupes de vingt-cinq personnes sont très souvent atteints. C'est un franc succès avec des ventes systématiques à la clef.
L'offre du domaine comprend des vins de pays de cépage rouges, blancs et rosés, un gros-plant sur lie, un muscadet sur lie, une méthode traditionnelle, un rosé demi-sec et un blanc moelleux depuis 2009 « qui plaît bien ». Depuis dix ans, les fontaines à vins ont remplacé les cubis. Les vins eux-mêmes ont évolué.
« Ils sont plus fruités et plus doux, avec 4-5 g/l de sucres pour les rosés, par exemple, réserve Nicolas. Cela s'est fait peu à peu. Quand les clients dégustaient, on voyait bien lorsqu'ils faisaient la grimace. »
Depuis 2007, les Ferré emploient un osmoseur pour concentrer les moûts. « On améliore la structure des vins de pays. On concentre leurs arômes », estiment-ils. L'appareil appartient à la Cuma à laquelle ils adhèrent, comme la majorité du matériel qu'ils utilisent.
Mais en 2008, un nouveau gel printanier compromet leur fragile équilibre. « On a moins bien supporté ce choc que celui de 1991, témoignent-ils. 2008 est arrivée après des crises répétées et deux petites récoltes. Nous n'avions aucune réserve. Dès l'été, nous avons été en rupture de stock. Nous n'avons pas pu fournir notre clientèle. Une catastrophe. » Pour compenser leurs pertes, ils ont augmenté leurs prix de 25 %, alors qu'ils étaient restés fixes depuis 2003. Le grolleau rosé, leur cœur de gamme a grimpé à 3,10 € TTC le col. Mais cela n'a pas suffi. Et en 2010, une concurrence « déloyale » voit le jour : des vignerons viennent sur la côte brader leurs vins.
Après ce second gel, la famille arrache trois hectares supplémentaires. En dix ans, ils sont ainsi passés de 23 à 15 ha. « La marge de la vente directe comblait le déficit de la vente au négoce. Nous en avons eu assez. En arrachant, nous avons supprimé un temps plein. Cela nous dégage du temps pour être plus précis dans les travaux à la vigne et pour prospecter de nouveaux clients », indique Nicolas.
Le jeune vigneron comptait s'installer en 2008. Le gel a retardé sa décision. « Nous avons dû emprunter 60 000 euros, précise-t-il. Tous les investissements sont suspendus (achat d'un groupe de froid, d'un pressoir pneumatique et renouvellement du pulvérisateur). » Son père est à un an de la retraite, sa mère à six ans. Nicolas va-t-il leur succéder ? Il se pose la question, mais au fond de lui il sait bien qu'il va s'installer.
Et si c'était à refaire ? « Nous construirions les bâtiments au cœur des vignes »
« Dès le départ, je m'installerais tout seul et je me spécialiserais en vigne à 100 %, raconte Jean-Marc. Au lieu de quoi pendant les dix premières années, je me suis associé en famille, d'abord avec mon père, puis en Gaec avec ma sœur et sa belle-famille sur une ferme de polyculture élevage. Cette activité me laissait peu de temps pour les douze hectares de vigne. » Autre regret : « En 1993, nous avons construit le bâtiment de stockage et le caveau dans le village.
Maintenant, nous subissons les conséquences de l'urbanisation croissante, qui ne facilite pas le travail.
Nous aurions mieux fait d'installer le stockage et le caveau au cœur des vignes situées à 2 kilomètres. Nous serions moins gênés. »
Martine Ferré pour sa part confie franchement : « C'est tellement dur, c'est tellement prenant et pourtant cela ne marche pas. Si c'était à refaire, j'arrêterais de travailler sur le domaine pour chercher un emploi à l'extérieur. Mais ce n'est pas possible, car alors le coût de la main-d'œuvre sur le domaine exploserait. »