Il y a quelques semaines paraissait la note nationale mildiou (1). Ce document présente l'état des lieux des résistances du parasite aux fongicides. Que faut-il en retenir ? En 2010, la résistance du mildiou aux fongicides à base de CAA (Arco Dti, Odena, Panthéos, Pergado, Valis, Vintage…) est restée importante. Or, la pression du champignon était faible à moyenne et les viticulteurs ont eu moins recours aux CAA. Mais le plus inquiétant est la découverte de souches résistantes à la cyazofamide (Mildicut) dans quatre vignobles différents. Pourtant, 2010 n'était que la première année d'utilisation de cette matière active de la famille des QiI. La vigilance est donc de mise.
« En cas d'attaque déclarée, nous nous retrouvons démunis »
Cette situation inquiète Nicolas Cambos, viticulteur sur 50 hectares à Larroque-sur-l'Osse, dans le Gers. Dans cette région, la résistance aux CAA est bien implantée. « Jusqu'à présent, je n'ai pas subi de grosses attaques de mildiou, constate-t-il. Mais je sais que dans le département, les produits à base de CAA ont perdu de leur efficacité lorsqu'ils sont appliqués en curatif. Ainsi, en cas d'attaque déclarée, nous nous retrouvons démunis. Nous n'avons pas le droit à l'erreur. Nous devons impérativement intervenir en préventif et alterner les matières actives. » Pour élaborer son programme, il se base sur les observations qu'il réalise avec les techniciens de la coopérative Terre de Gascogne, et sur les informations du « Bulletin de santé du végétal » (BSV). Cette année, en raison des conditions météo exceptionnelles, il a effectué son premier traitement la semaine du 25 avril. A cette occasion, il a appliqué un produit systémique type Mikal, pour que les nouvelles pousses formées après le traitement soient protégées. Il a fait de même pour les deux traitements suivants.
Au moment de la fleur, il prévoit d'appliquer un Pergado, un produit de la famille des CAA. « Mais si le mildiou est déclaré, je mettrai plutôt un fosétyl pour ne pas appliquer un CAA en curatif », précise-t-il. Ensuite, il fera certainement un Mildicut, puis à nouveau deux à trois fosétyl. Il terminera par un curzate pour protéger le feuillage du haut. « Je privilégie les produits qui ont une cadence de quatorze jours, afin d'économiser un passage », explique Nicolas Combos.
Ailleurs, les viticulteurs interrogés restent sereins. « L'augmentation des résistances ne m'inquiète pas. Je n'ai jamais été confronté à ce problème. Les produits restent efficaces », rapporte Joël Morin, viticulteur à Montigny-lès-Arsures (Jura) sur 18 hectares.
« Chaque année, je change au moins un produit »
Pour éviter l'apparition des résistances, ce viticulteur suit les conseils de la chambre d'agriculture du Jura et de la coopérative Interval. Il travaille en réduction de dose depuis quelques années. Et sur l'ensemble d'une campagne, il peut aller jusqu'à 50 % de réduction. Il adapte les doses en fonction du volume foliaire. Ainsi, en début de campagne, il ne met que 28 % de la dose, puis 80 % de la dose en fin de campagne.
« Mes vignes sont bien palissées, enherbées et je suis équipé d'une rampe AB Most qui traite en face par face », détaille-t-il. Mais surtout, il alterne les produits. « Je traite rarement plus de deux fois de suite avec le même produit ou avec des produits d'une même famille. Et chaque année, je change au moins un produit dans mon programme. Je n'hésite pas à tester les nouveautés. »
Cette année, il compte démarrer son programme avec Enomix (sulfate de cuivre + cymoxanil + mancozèbe), puis il mettra Arco Dti. En encadrement de floraison, il appliquera Sillage et Mildicut. Il finira par deux cuivres. « Généralement avec six traitements, je m'en sors bien, indique-t-il. Quelque fois, je suis amené à en réaliser un septième en fin de saison avec du cuivre pour favoriser la maturité des bois. »
« Il n'y a pas de produit qu'on peut appliquer toute la campagne »
Pas d'inquiétude non plus chez Pascale Croc et Gary Charré, viticulteurs sur 25 hectares à Thézac (Charente-Maritime). « Nous avons toujours pris en compte le risque de résistance, affirment-ils. Nous avons toujours été raisonnables, car nous savons qu'il n'existe aucun produit miracle que l'on peut appliquer durant toute la campagne. »
Leur programme antimildiou est basé à 75-80 % sur des applications de cuivre sous-dosé à un tiers ou un quart de dose, des produits où il n'y a pas de résistance. Il n'y a qu'au moment des relevages où ils font trois interventions avec des produits de synthèse, car ils sont moins disponibles, mais aussi pour mieux gérer les délais de rentrée dans les parcelles après les traitements. Cette année, ils ont ainsi prévu deux Mildicut et un Ocarina. « Ce dernier produit appartient à la famille des CAA, nous le réservons au cas où nous nous retrouverions débordés par le mildiou », justifie Pascale Croc.
Son confrère Jean-Luc Marquizeau, viticulteur à Givrezac (Charente-Maritime) sur 16 hectares, n'a pas non plus rencontré de problème de résistance sur son exploitation. « Il y a assez de matières actives pour diversifier les traitements en changeant de famille chimique, assure-t-il. Je recours aux CAA le moins possible. Par exemple, je n'ai appliqué qu'un seul Panthéos l'an passé. Je préfère réserver ces produits, peut-être à tort, au cas où je subirais une grosse attaque de mildiou. »
(1) Note rédigée par la Protection des végétaux, l'Anses, l'Inra, le CIVC, l'IFV et des chambres d'agriculture.
Le Point de vue de
Jacques Grosman, expert vigne à la protection des végétaux
« Les CAA gardent leur intérêt »
LA VIGNE : Les viticulteurs respectent-ils bien les recommandations de la note nationale ?
Jacques Grosman : D'après les échos que je peux avoir, tout dépend des régions. Par exemple, en Champagne, les viticulteurs respectent bien les préconisations des services officiels. Dans d'autres régions comme l'Armagnac, c'est plus compliqué. Tout dépend de la virulence du mildiou. Les années à forte pression, les CAA peuvent enrayer une attaque. Mais l'année d'après, il faudra veiller à bien agir en préventif, car on aura sans doute sélectionné des individus résistants dans les populations de mildiou.
Qu'est-ce qui explique l'apparition de la résistance aux QiI au bout d'un an seulement d'utilisation ?
J. G. : Effectivement, nous avons décelé en 2010 des souches résistantes à la cyazofamide, une molécule de la famille des QiI dans quatre vignobles différents. Cela peut sembler curieux pour une première année d'utilisation. Mais il est important de signaler qu'il s'agit d'une résistance au laboratoire. On ne peut pas parler de baisse d'efficacité au vignoble. Pour l'explication, on ne peut faire que des suppositions. Les QiI ont un mode d'action proche des QoI. Les applications répétées par le passé de fongicides de la famille des QoI auraient-elles favorisé l'apparition de la résistance aux QiI ? C'est une hypothèse qui doit être vérifiée. Nous ne savons pas comment la situation va évoluer. Par précaution, la note mildiou demande donc aux viticulteurs de se limiter à deux applications par an de fongicides à base de QiI en prenant également en compte l'amétoctradine. Cette vigilance est nécessaire pour préserver l'efficacité des produits à base de QiI.
Pourquoi malgré une faible pression de mildiou l'an passé et une baisse d'utilisation des CAA, la résistance à cette famille de produits reste-t-elle toujours importante ?
J. G. : On peut supposer que les souches résistantes aux CAA ont un bon fitness. Elles peuvent se maintenir dans le vignoble. Elles peuvent être plus agressives. Mais si la résistance aux CAA reste importante, pour l'instant nous n'avons pas de remontée de terrain indiquant des échecs d'efficacité pour ces produits. Si les CAA gardent leur intérêt dans la lutte contre le mildiou, il est indispensable de poursuivre la surveillance de cette résistance. Il est de toute façon important de respecter la limitation à un, voire deux traitements par an pour préserver l'efficacité.