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VIGNE - POUR APPROFONDIR

La vigueur

Christelle Stef - La vigne - n°231 - mai 2001 - page 46

Comment la définit-on ?

La vigueur est l'expression de la croissance des organes végétatifs. Plus une vigne est vigoureuse, plus ses bois poussent vite et plus ils sont gros. « Il faut distinguer la vigueur printanière, de la vigueur estivale. La première est un facteur d'augmentation de la fertilité, mais aussi du risque de coulure. La seconde retarde le vieillissement des feuilles. Mais elle induit une concurrence vis-à-vis de la maturation des raisins », a expliqué Alain Carbonneau, professeur à Montpellier Supagro, lors de la 13e journée Vignoble et qualité du CVC Nicolas Feuillatte, le 22 mars à Epernay (Marne).

En quoi diffère-t-elle de l'expression végétative ?

« Souvent les viticulteurs confondent la vigueur avec l'expression végétative qui correspond à la biomasse (bois de taille, de feuilles, de grappes et de racines) produite par la vigne durant une année », remarque Jean-Pascal Goutouly, chercheur à l'Inra de Bordeaux. « Or, ce sont deux notions différentes », a insisté Alain Carbonneau lors de la journée Vignoble et qualité. Ainsi, une jeune vigne peut être très vigoureuse mais avoir une expression végétative faible. Elle produit peu de sarments qui sont très gros. A l'inverse, une vigne peut produire beaucoup de bois qui restent grêles. Elle est peu vigoureuse.

Quels paramètres influencent la vigueur ?

Les vignes sont vigoureuses lorsque tous les paramètres qui contrôlent la croissance sont optimaux. Pour cela, il faut de la chaleur, du soleil, de l'eau et de l'azote. La fertilisation, l'irrigation, l'entretien des sols et la lutte contre les parasites sont donc des facteurs importants de gestion de la vigueur.

La densité de plantation joue aussi un rôle important. Dans les vignes larges, les ceps ont plus de volume de sol à exploiter que dans les vignes étroites. Les souches peuvent être plus vigoureuses.

« Les vignes taillées en cordon sont moins vigoureuses que celles taillées en guyot, car les yeux de la base sont moins fertiles », illustre Jean-Pascal Goutouly.

Citons encore le porte-greffe. « En sol fertile, une vigne greffée sur un porte-greffe faible sera aussi vigoureuse qu'une vigne greffée sur un porte-greffe vigoureux. En sol peu fertile, l'importance du porte-greffe peut devenir notable », lit-on dans l'ouvrage « Eléments de physiologie de la vigne » de François Champagnol.

Y a-t-il une vigueur idéale ?

Non. Tout dépend de l'objectif qu'on vise et du type de vin qu'on souhaite élaborer en rouge, en blanc, en rosé ou en liquoreux. Une forte vigueur entraîne un retard de l'arrêt de croissance estival, et donc un retard de maturité.

« S'il souhaite obtenir un rouge très haut de gamme, le viticulteur devra maîtriser la vigueur et les rendements. Pour maîtriser la vigueur, il faut augmenter les densités, réguler la charge à la taille, enherber, passer plus souvent dans les vignes pour ébourgeonner, épamprer, écharder (supprimer les entre-cœurs), effeuiller, éclaircir à la véraison si besoin… Autant d'opérations qui nécessitent un investissement conséquent. A l'inverse, si le vigneron souhaite élaborer des cuvées cœur de gamme, il pourra tolérer une vigueur plus élevée », explique Pascal Goutouly

Quel impact sur les maladies annuelles ?

Les vignes très vigoureuses favorisent le mildiou et l'oïdium. En effet, elles produisent plus d'apex et de jeunes feuilles, des organes très sensibles à ces deux maladies. Ces apex sont proches les uns des autres, ce qui favorise les contaminations de l'un à l'autre lors des pluies. Le feuillage est aussi entassé, créant un microclimat favorable aux maladies.

« Des études italiennes montrent que les feuilles exposées au soleil produisent 75 % de flavonoïdes en plus que les feuilles à l'ombre. Les flavonoïdes gênent la germination des spores de mildiou. Or, dans les vignes vigoureuses, il y a plus de feuilles à l'ombre », constate Jean-Pascal Goutouly. Une forte vigueur favorise aussi le botrytis.

Et sur les maladies du bois ?

L'Inra de Bordeaux suit un réseau de vingt-deux parcelles en Gironde depuis 2004. Les vignes situées sur des sols à plus forte réserve utile sont les plus touchées par les maladies du bois. « En situation de forte croissance, la vigne élabore essentiellement des composés primaires (glucides, lipides et protéines). En revanche, lorsqu'elles sont peu vigoureuses, elles élaborent davantage de composés phénoliques dont certains font partie des mécanismes de défense des plantes contre les pathogènes », analyse Pascal Goutouly.

Comment la mesurer ?

« Au travers du poids des bois de taille et de leur diamètre », explique Sébastien Debuisson, du CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne). Selon Jean-Pascal Goutouly, la pesée des bois de taille d'une trentaine de cep par hectare chaque année est un moyen simple d'estimer la vigueur.

Attention toutefois, lors des comparaisons entre les parcelles, de bien tenir compte du cépage et du porte-greffe. « Cela permettra au viticulteur d'avoir un suivi pluriannuel de la vigueur de chaque parcelle et de mesurer l'impact des changements de mode de conduite comme, par exemple, la mise en place de l'enherbement », rapporte le chercheur.

Avec quels appareils ?

Des capteurs permettent d'estimer la vigueur et d'en cartographier la variabilité au sein des parcelles. Citons le Greenseeker de Avidorhightech et le Multiplex de Force A. D'autres sociétés travaillent à partir de photos aériennes ou d'images satellites. « Attention ces dispositifs ne réalisent qu'une mesure de l'expression végétative. Or, connaître l'expression végétative sans la vigueur n'est pas intéressant », insiste Sébastien Debuisson. Le CIVC vient donc de mettre au point un nouveau capteur qui mesure directement la vigueur : le capteur bois de taille. Un appareil photo monté sur un chenillard photographie les ceps en hiver, prenant jusqu'à 1 500 photos par hectare. Un logiciel analyse les images. Au final, on obtient trois paramètres : le nombre de sarments, la surface totale des sarments et la surface moyenne d'un sarment. Les deux premiers paramètres permettent d'estimer l'expression végétative, le troisième la vigueur. « Comme les mesures se font en hiver, on a le temps d'analyser les données. Ce nouveau capteur est complémentaire des autres », précise Sébastien Debuisson.

Peut-on la réduire ?

Dans une vigne, le plus simple est de mettre en place un enherbement, avec des espèces plus ou moins concurrentielles selon l'objectif visé. Lors de la replantation, on peut également augmenter la densité, changer de mode de taille, de porte-greffe…

Ou l'augmenter ?

Si le facteur limitant est l'eau, l'irrigation est une solution. Si le facteur limitant est l'azote, on peut relever la fertilisation azotée, mais avec prudence. Au préalable, un diagnostic de l'état général du sol est toujours à effectuer, afin de vérifier les éventuels facteurs limitants comme la compaction du sol, la présence d'hydromorphie, d'un enherbement trop agressif…

Sa maîtrise est indispensable pour obtenir une vendange saine

SOUCHES VIGOUREUSES : Elles ne manquent ni d'eau ni d'azote. Les fortes vigueur favorisent le mildiou, l'oïdium et le botrytis mais également les maladies du bois. © C. WATIER

SOUCHES VIGOUREUSES : Elles ne manquent ni d'eau ni d'azote. Les fortes vigueur favorisent le mildiou, l'oïdium et le botrytis mais également les maladies du bois. © C. WATIER

VIGNES PEU VIGOUREUSES : Elles élaborent davantage de composés phénoliques dont certains font partie des mécanismes de défense des plantes contre les pathogènes. © P. PARROT

VIGNES PEU VIGOUREUSES : Elles élaborent davantage de composés phénoliques dont certains font partie des mécanismes de défense des plantes contre les pathogènes. © P. PARROT

L'ENHERBEMENT : Dans les vignes en place, c'est le moyen le plus simple pour réduire la vigueur. © C. WATIER

L'ENHERBEMENT : Dans les vignes en place, c'est le moyen le plus simple pour réduire la vigueur. © C. WATIER

LE CAPTEUR BOIS DE TAILLE mis au point par le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne), mesure la vigueur et l'expression végétative durant l'hiver. Il permet de réaliser des cartographies parcellaires. © CIVC

LE CAPTEUR BOIS DE TAILLE mis au point par le CIVC (Comité interprofessionnel du vin de Champagne), mesure la vigueur et l'expression végétative durant l'hiver. Il permet de réaliser des cartographies parcellaires. © CIVC

LA PESÉE DE BOIS DE TAILLE est un moyen simple d'estimer la vigueur. L'idéal est de le réaliser chaque année sur une trentaine de ceps par hectare. © CIVC

LA PESÉE DE BOIS DE TAILLE est un moyen simple d'estimer la vigueur. L'idéal est de le réaliser chaque année sur une trentaine de ceps par hectare. © CIVC

Les vignes vigoureuses ne portent pas forcément beaucoup de sarments, mais elles ont de gros bois de taille. L'interprofession champenoise vient de développer un capteur qui permet de mesurer ce paramètre.

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