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VIGNE

De l'énergie et des fertilisants dans les marcs et les lies

Christophe Reibel - La vigne - n°231 - mai 2001 - page 48

Marcs et lies peuvent être valorisés autrement que par la distillation. A condition de le vouloir. C'est l'enseignement d'un colloque qui s'est tenu sur le sujet à Colmar, où Allemands, Suisses et Luxembourgeois ont fait part de leur expérience.
EN FRANCE, ON ÉPAND SURTOUT DU MARC DE RAISIN DISTILLÉ, mais on peut aussi utiliser du marc frais ou du compost à base de marc frais. © C. WATIER

EN FRANCE, ON ÉPAND SURTOUT DU MARC DE RAISIN DISTILLÉ, mais on peut aussi utiliser du marc frais ou du compost à base de marc frais. © C. WATIER

Le forum transfrontalier sur la valorisation des marcs et des lies organisé à Colmar (Haut-Rhin) le 14 avril devait être une journée purement technique. Mais l'aspect politique de ce dossier est rapidement apparu. « Pourquoi la France s'arc-boute-t-elle sur la distillation obligatoire, alors que l'Allemagne ou la Suisse laissent leurs viticulteurs épandre ces matières organiques dans leurs vignes ? » a demandé un participant dans la salle.

La distillation obligatoire est « un socle pérenne et une condition de maintien de l'activité des distilleries », a expliqué Marie-Ange-Duluc, de FranceAgriMer. Autrement dit : la France conserve cette mesure pour préserver une filière industrielle.

Seul moyen d'y échapper : demander à FranceAgriMer un « retrait sous contrôle », c'est-à-dire le droit d'épandre ses marcs et lies. Cette autorisation est accordée quand le coût de la distillation est jugé disproportionné, ainsi qu'aux viticulteurs en bio, mais pas aux autres.

Débat franco-français

En Alsace, le malaise est profond depuis 2008, quand la hausse des tarifs a été décidée par la seule distillerie de la région. Il s'accentue avec la perspective de la suppression des aides à la distillation après 2014. En coulisse, certains participants au forum, ont dénoncé le « lobby des distillateurs » qui aurait fait pression sur des personnalités pour qu'elles ne viennent pas.

« En 2014, s'il est décidé de mettre fin à l'obligation de livrer en distillerie, il faudra être prêt », a souligné Pierre Becht, président de l'IFV Alsace, tout en demandant « le triplement des volumes attribués à l'expérimentation nationale sur la valorisation des marcs » lancée par l'Institut en septembre 2010.

Etrangers à ces débats franco-français, des experts allemands, suisses et luxembourgeois sont venus expliquer comment ils valorisent les marcs et les lies. Voici l'essentiel de leurs interventions.

MÉTHANISATION, DESSICCATION : Deux méthodes de valorisation énergétique

Les marcs sont une source d'énergie. En Allemagne, la société Badenova, fournisseur d'énergie de taille régionale, a testé la méthanisation de 2 500 tonnes de marcs alsaciens de la récolte 2010. L'un de ses techniciens a présenté les résultats de cet essai. Le rendement en gaz s'élève en moyenne à 126 m3 par tonne de matière fraîche, soit 484 m3 par tonne de matière sèche. En dégradant les pépins par un procédé chimique, on augmente cette performance de 10 %. C'est moins que le maïs ensilage, mais les marcs gardent leur intérêt, car ils échappent à la controverse énergie ou alimentation.

Granulés de chauffage

Sur un plan économique, un prix de rachat du kWh de 12 centimes valorise la tonne de marc à 30 euros, ce qui équivaut à peu de chose près aux frais de transport pour acheminer le marc depuis le vignoble alsacien jusqu'aux centrales de Badenova.

De son côté, le Luxembourg a décidé de transformer, à partir de 2011, les quelque 5 000 tonnes de marcs produites chaque année dans le grand-duché en granulés de chauffage. Ces granulés reviennent à 260 €/t, selon les chiffres présentés lors du colloque. Leur combustion dégage autant de chaleur que celle des céréales. Toutefois, elle provoque des émissions de chlore et d'oxyde d'azote, ce qui interdit de les utiliser purs. Ils seront donc mélangés à du bois.

ÉPANDAGE DIRECT, COMPOSTAGE : Des précautions s'imposent

Intervenants allemands et suisses ont expliqué que le retour à la vigne est la manière la plus répandue chez eux de recycler les résidus de vinification. Ces deux pays ont étudié de près la valeur fertilisante des marcs, mais très peu celles des lies.

Selon l'Institut viticole de Fribourg, une tonne de matière sèche de marc apporte 18 kg d'azote, 5,6 kg de phosphore, 18,9 kg de potassium et 1,3 kg de magnésium. Potasse et phosphore sont rapidement disponibles. En revanche, seulement 1 % de l'azote est directement assimilable par la vigne.

Le reste est libéré de manière assez imprévisible. D'où la prudence des techniciens allemands qui recommandent de ne pas dépasser les 20 tonnes de matière sèche par hectare en trois ans, soit 50 tonnes de marcs frais. Cette limite tient également compte de la lenteur de la décomposition des marcs épandus dans les vignes.

En pratique, les marcs peuvent être stockés six mois au maximum. Ils sont le plus souvent épandus frais, sur toute la surface des vignes, sauf sur les bordures de parcelles. Il faut attendre la fin des vendanges pour commencer à les épandre, sous peine de voir exploser la population de mouches.

« Vingt tonnes de matière fraîche de marc apportent cinq tonnes de matière organique. Une telle dose couvre les besoins de la vigne en potasse et en magnésium pendant trois ans et en phosphore pendant deux ans », a assuré Serge Amiguet, de l'association de recherche agronomique Sol-Conseil en Suisse.

Un compost fertilisant

Contrairement à l'Allemagne, la Suisse favorise le compost de marc pour son effet structurant du sol et la protection contre l'érosion. C'est pourquoi un criblage grossier de 25 à 40 mm est préconisé.

En France, les premières données disponibles confirment les observations allemandes et suisses. Rittmo agroenvironnement, un centre de recherche appliquée sur la fertilisation organique basé à Colmar, a testé l'aptitude des marcs au compostage. Pour que l'opération se passe bien, la matière de départ doit présenter 60 à 70 % d'humidité et un rapport C/N (carbone sur azote) de 30 à 35. Si le marc est plus sec que cela, il faut l'arroser. L'ajout d'autres matières organiques (rafles, fumier, sarments et boues de station d'épuration) favorise la montée en température et accélère le compostage. Il faut au moins quatre mois pour obtenir la décomposition des polyphénols. Un tel compost a une valeur fertilisante proche d'un compost de déchet vert. Le compostage de marc épuisé (après distillation) seul est possible, mais réclame un gros suivi.

(1) Forum organisé par l'Association des viticulteurs d'Alsace, l'Institut français de la vigne et du vin et l'Institut transfrontalier d'application et de développement agronomique.

Le savoir-faire des distilleries

Une distillerie valorise les marcs en produisant de l'alcool industriel et bien d'autres sous-produits. Elle en extrait du tartrate de calcium (TCA), précurseur de l'acide tartrique. Elle génère des pulpes sèches et humides qui servent d'aliment du bétail ou d'engrais. Elle tire de l'huile et des polyphénols des pépins. Ces polyphénols intéressent l'industrie pharmaceutique pour leur action antioxydante et antiradicalaire. Ils fournissent des tanins œnologiques, des ingrédients pour les fonds de sauce et des anthocyanes qui servent de colorant rouge (E163) dans l'industrie agroalimentaire. Les marcs et les tourteaux de pépins peuvent être brûlés comme biocombustible..

Souvent, les marcs épuisés (distillés) sont compostés. Les possibilités de valorisation des lies sont moindres. La distillerie peut néanmoins en extraire du TCA et des huiles essentielles.

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