Les vinificateurs veulent avoir l'esprit tranquille. Ils demandent donc que les levures soient de « bonnes fermenteuses », qu'elles produisent peu d'acidité volatile, peu de mousse, de SO2 et d'H2S… Surtout lorsque les conditions sont difficiles comme cela risque d'être le cas cette année.
S. CEREVISIAE PURES : De la robutesse
Lalvin clos (Lallemand) satisfait à cette exigence. Lallemand a trouvé cette souche dans le Priorat, région d'Espagne spécialisée dans les rouges, où les moûts sont souvent riches en alcool. Elle possède une forte capacité d'implantation et entre en fermentation après un temps de latence très court. « Elle s'adapte sans peine à des moûts présentant de hautes teneurs en alcool (>17 %) et carencés en azote. Sa capacité de fermentation englobe une large plage de température (de 13 à 35 °C) », indique la firme. Ses besoins en azote sont faibles. Elle produit des vins complexes aux tannins fondus.
Cependant, Lalvin clos est la seule nouveauté sélectionnée pour sa robustesse. Toutes les autres promettent de révéler ou de produire quantité d'arômes variés ou originaux.
En fait, les vinificateurs veulent plus qu'une simple assurance du bon déroulement des fermentations. « La grande tendance sur le marché, ce sont les levures aromatiques. Pour tous les types de vins, et plus particulièrement pour les rosés, constate Christophe Morge d'Œnofrance. Les acheteurs veulent avant tout améliorer le côté aromatique de leurs assemblages. Dans un second temps, ils cherchent à jouer sur la rondeur en bouche. »
Fermol pur blanc (AEB Spindal) est une S. cerevisiae bayanus, issue de Champagne. Elle a été retenue pour son excellent pouvoir fermentaire et son aptitude à élaborer des vins d'une grande finesse. Ses faibles exigences nutritionnelles, son pouvoir alcoogène et son caractère cryotolérant en font une levure bien adaptée à la prise de mousse des vins effervescents. Production de SO2 nulle. « Une souche très performante pour la reprise de fermentation », souligne encore Spindal.
Des arômes, encore des arômes
Viniferm aura (Agrovin). Les fruits tropicaux ont la cote. Agrovin a sélectionné cette levure qui produit une quantité importante d'arômes fermentaires. Selon ce distributeur, elle convient à l'élaboration de vins blancs de variétés neutres, comme l'ugni blanc. Elle produit des arômes très persistants, frais et intenses, évoquant l'ananas et la banane. Cette levure est également destinée à l'élaboration de vins rosés frais et floraux.
Viniferm diana (Agrovin). Produisant des arômes fermentaires en quantités modérées, cette souche est destinée aux vins blancs offrant des arômes variétaux intenses (colombard, sauvignon, viognier…). Elle confère du volume et de la structure. Elle libère rapidement les polysaccharides lors de l'élevage sur lies. Elle respecte les caractères variétaux, en exaltant les arômes de fruits tropicaux (mangue et fruit de la passion) et de fruits à noyaux (abricot). Et elle apporte de l'onctuosité et du volume en bouche.
Excellence STR (Lamothe Abiet). C'est une S. cerevisiae pour des vins blancs devant « séduire les acheteurs qui prennent des décisions rapides en sélectionnant les échantillons d'abord par le nez ! ». L'entreprise annonce des fermentations irréprochables, même dans des conditions difficiles (basse turbidité, haut degré et faible température).
Révélation thiols (IOC). Sélectionnée pour exacerber le 3MH, un thiol volatil aux notes de pamplemousses, d'agrumes et de fruits exotiques.
RP 15 (IOC). Originaire de la vallée de Sonoma aux Etats-Unis, elle permet de maintenir la fraîcheur gustative et aromatique sur des vendanges récoltées à maturité avancée. Elle a été validée sur grenache et syrah.
Fermicru rosé (La Littorale) est une S. cerevisiae killer pour des vins rosés. Cette souche produit beaucoup d'acides gras, d'esters éthyliques (fruits rouges, fruits à chair blanche), d'acétates d'alcools supérieurs (ananas, rose) et un volume en bouche remarquable. Cette levure peut s'utiliser en macération pelliculaire ou après pressurage direct. Elle donne la meilleure expression du profil « rosé fruité » pour des turbidités comprises entre 50 et 100 NTU et pour des températures comprises entre 14 et 18°C. La production de SO2 et H2S est très faible.
SOUCHES EN MELANGE : Pour des utilisations bien spécifiques
Maurivin unity (AB Mauri) est un mélange de deux Saccharomyces cerevisiae, sélectionnées en Bourgogne pour exacerber les arômes et le goût des chardonnays premium et super premium. Ce mélange renforce également l'effet millésime, selon la firme.
ThermoPremium (Institut coopératif du vin) est destiné aux ateliers industriels en rouge. Chaque sachet renferme deux Saccharomyces. Dotés du phénotype killer K2, les deux souches du mélange ne souffrent pas de la concurrence des levures indigènes. Ces deux levures ont une très bonne résistance à l'alcool. Avec elles, le temps de latence entre le levurage et le démarrage de la fermentation alcoolique est court et les fermentations sont rapides. Comme elles ne produisent pas de SO2, la fermentation malolactique peut rapidement s'enchaîner derrière la fermentation alcoolique.
Excellence alliance (Lamothe Abiet) contient deux espèces de Saccharomyces, une cerevisiae et une uvarum. « Les propriétés intrinsèques de S. uvarum, telles que la cryotolérance, la faible production d'acide acétique, la forte production de glycérol et l'importante libération d'esters (phényl-2-éthanol) et de thiols permettent l'élaboration de vins blancs de qualité, aromatiques, complexes et ronds », indique la notice commerciale.
Duo Red-Y-fruits (Lallemand) se distingue des préparations précédentes puisqu'il s'agit d'un kit avec d'une part, une S. cerevisiae et d'autre part, une bactérie Œnococcus œni. L'ensemble est vendu pour assurer une fermentation malolactique rapide. Il est destiné à la co-inoculation de 25 hl de vin rouge qui doit être consommé jeune et que l'on veut fruité. Lallemand avait déjà dans sa gamme un Duo riesling, dédié, comme son nom l'indique, à la co-inoculation du riesling.
NON-SACCHAROMYCES : Pour se distinguer
De l'aveu même des firmes, les kits comprenant une levure saccharomyces et une non saccharomyces ne connaissent pas de grand développement commercial. Qu'à cela ne tienne, plusieurs se lancent sur ce nouveau créneau. « Les non-Saccharomyces offrent un nouvel axe de différenciation, une valeur ajoutée évidente ! » estime Laurent Hubert, de Chr. Hansen. « Les levures non Saccharomyces ont un potentiel aromatique supérieur, différent et plus complexe que les S. cerevisiae », explique Anne Julien, de Lallemand. En 2010, cette société a lancé une non-Saccharomyces sous forme de levure sèche active. Quelque temps après l'avoir ajoutée à un moût, on renouvelle l'opération, avec une levure classique qui achèvera la fermentation. Le vinificateur reproduit ainsi, avec sécurité et efficacité, la succession des populations de levures qui survient lors d'une fermentation spontanée.
Level 2 TD, c'est le nom de ce kit distribué par l'Institut œnologique de Champagne. Il comprend une Torulaspora delbrueckii et une Saccharomyces cerevisiae qui fonctionnent en synergie sur le plan sensoriel et fermentaire. On ajoute la première levure, puis la seconde, après la perte de 10 à 15 points de densité.
Ce duo est recommandé pour les blancs dont il augmente la qualité, l'intensité, la complexité aromatique et le volume en bouche. « On a identifié des marqueurs spécifiques de ce couple, observe Olivier Pillet, de Lallemand. Deux esters aromatiques qui sont toujours en quantité supérieure aux autres souches.»
La firme a réalisé des essais sur chardonnay, muscadelle, sémillon, chenin, muscat et maccabeu. Dans tous les cas, elle affirme avoir obtenu des vins aux arômes plus intenses, en bouche comme au nez, avec une meilleure longueur en bouche.
Tandem (Institut coopératif du vin, ICV) sera disponible pour les prochaines vendanges. C'est un couple de Torulaspora delbrueckii et S. cerevisiae. Pour des vins blancs et rosés originaux, avec des notes vanillées, florales et fraîches. En bouche, l'ICV promet « beaucoup de volume et de rondeur ». On ajoute d'abord la Torulaspora au moût, puis, après la chute de 10 à 15 points de densité, la Saccharomyces. « Un produit assez technique, pour des vins à haute valeur ajoutée », précise Caroline Bonnefond, de l'ICV.
Zymaflore alpha (Laffort) est une Torulaspora delbrueckii, vendue seule. Comme elle ne tolère pas plus de 10° d'alcool, elle n'achève pas les fermentations. Aux vini_ cateurs de choisir la S. cerevisiae qui la complètera. La souche de Torulaspora produit une grande complexité aromatique et beaucoup de volume en bouche. Elle convient parfaitement pour l'élaboration de vins expressifs et ronds, avec une bonne révélation des thiols (3MH, A3MH : pamplemousse et fruits exotiques). Laffort conseille cette levure aussi bien pour des vins blancs et rosés, que pour des rouges, des vins secs et des liquoreux.
Viniflora FrootZen (Chr. Hansen) se distingue à plus d'un titre : c'est la première levure congelée à inoculation directe, sans étape de réhydratation. Cette souche, commercialisée depuis le 1er juin en France, booste l´intensité aromatique et la rondeur en bouche des vins de sauvignon, chardonnay et riesling. Elle convient également aux rouges.
Viniflora FrootZen est une Pichia kluyveri sélectionnée en Nouvelle-Zélande par l'université d'Auckland. Elle améliore la libération des précurseurs d'arômes et le volume en bouche. Selon Chr. Hansen, elle apporte la complexité aromatique typique des fermentations alcooliques spontanées.
Sur blancs et rosés, FrootZen s'utilise à la fin du débourbage, au moment où la température remonte. Après la perte de 30 points de densité, ce qui peut demander plusieurs jours, on ensemence le moût avec la souche de S. cerevisiae que l'on utilise habituellement.
HYBRIDES : Concilier robustesse et originalité
En raison de son coût, le double levurage s'adresse à un marché spéci_ que et limité. Pour utiliser les avantages de deux souches différentes, sans les inconvénients du double levurage, les producteurs de ferments mettent au point ou sélectionnent des hybrides. L'hybridation est une ancienne technique de croisement des souches, qui ne met pas en jeu d'OGM.
Anchor Exotics SPH (La Littorale) est la première levure hybride produite à partir de S. cerevisiae et S. paradoxus. Selon La Littorale, cette souche permet de mener la fermentation alcoolique jusqu'à son terme, facilite la fermentation malolactique et peut produire des concentrations en glycérol 15 g/l. Elle dégrade partiellement l'acide malique, ce qui permet des fermentations malolactiques plus rapides. Cela raccourcit le temps d'élaboration du vin et le protège d'éventuelles contaminations microbiennes.
Lorsque la richesse en sucres des moûts est élevée, cette levure produit nettement plus de glycérol et un peu moins d'alcool (environ - 0,5 %) que la plupart des autres souches présentes sur le marché. De plus, elle permet aux vinificateurs d'élaborer des vins complexes et bien structurés. Exotics a produit des syrahs bien équilibrées, complexes et rondes.
Vitilevure Elixir Yseo (Martin Vialatte SOEC) est un hybride de deux souches de S. cerevisiea, sélectionné pour révéler les arômes primaires des vins blancs et rosés aromatiques. Issue d'une collaboration avec l'université de Stellenbosch en Afrique du Sud, elle fait partie des levures libératrices de thiols volatils, très en vogue, et d'arômes d'autres familles chimiques (terpène, C13 et norisoprénoïdes). Elle fermente bien jusqu'à 25°C et a des besoins modérés en azote assimilable.
Regain d'intérêt pour le levurage
Le coût des fournitures œnologiques reste pointé du doigt, alors que la viticulture sort seulement d'une très grave crise économique. Face à ces difficultés, beaucoup de caves ont fait des économies sur le poste d'achat de levures, choisissant des levures basiques ou faisant l'impasse sur le levurage. Les vinificateurs ont pris des risques. « Mais aujourd'hui, on sort un peu de la crise, commente Olivier Pageault d'AB Mauri. On voit de plus en plus d'entreprises prêtes à tester de nouvelles levures et des dérivés de levures, secteur qui connaît une forte croissance. » Les fournisseurs rappellent aussi que la part des levures est très inférieure à celle des matières sèches (bouchon, étiquette et capsule) dans le prix d'une bouteille (2 à 5 centimes d'euros). « Ce n'est pas là qu'il faut faire des économies ! » insiste un œnologue.
Il y a deux ans, les ventes se faisaient encore essentiellement sur les valeurs sûres, les souches d'entrée de gamme, présentes depuis de nombreuses années. Cette année, les fournisseurs voient l'intérêt pour les levures haut de gamme se renforcer.
Le retour de la polyvalence
Les vinificateurs veulent des arômes, certes, mais pas des recettes. Alors, ils détournent de leur utilisation première des levures sélectionnées et vendues pour un cépage particulier. Ils les testent sur d'autres cépages, voire sur d'autres couleurs.
Parfois, ils obtiennent des résultats intéressants. Martin Vialatte suit le mouvement.
Cette société a construit sa gamme de levures en les déclinant selon les cépages.
« Par exemple, la levure MT, destinée a priori à vinifier les syrahs, est aujourd'hui largement utilisée à Bordeaux sur merlot et cabernets, pour sa capacité à révéler les arômes primaires et sa bonne résistance aux forts degrés alcooliques. Elle est aussi employée pour les rosés de Provence haut de gamme où l'on recherche du gras et de la complexité aromatique », explique Aline Martin, du groupe Sofralab.
L'arrivée des levures bios
Toutes les levures sont « bios », d'un point de vue scientifique, puisqu'elles sont toutes vivantes. Mais sur le plan réglementaire, il en est autrement. Pour obtenir le label bio, les levures doivent êtres produites selon des conditions bien précises. Elles doivent être nourries sur des substrats bios. Cela ne pose pas trop de difficultés. Les choses se compliquent au moment du séchage.
A cette étape, la levure œnologique subit un stress important qui la fragilise.
Pour augmenter sa viabilité, les fabricants emploient un conservateur : le monostéarate de sorbitane (E 491). Des producteurs de vins bios demandent à ce que les LSA soient produites sans ce composé. Satisfaisant à leur exigence, Lallemand sort Lallferm bio, une levure conforme à la réglementation bio européenne et certifiée par SGS. Le processus de fabrication ne comprend que des produits certifiés biologiques. Cette levure a été sélectionnée pour son caractère killer, sa résistance à l'alcool et son aptitude fermentaire dans une large gamme de températures.
Elle est adaptée pour les vins rouges, rosés et blancs. Phyterra Yeast fait encore plus fort. Cette société américaine, présente depuis peu sur le marché français, propose sept levures. Toutes sont bios selon les cahiers des charges européens et américains, « pour garantir les vinifications les plus naturelles possible », indique la société.
D'autres nouvelles LSA bio devraient apparaître bientôt chez Fermentis-Lessaffre.
Cette société met au point un processus de production sans l'additif (E 491), parce qu'un nombre croissant de vignerons bios souhaitent employer des levures qui en sont dépourvues.