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VIN - POUR APPROFONDIR

Les amines biogènes

Géraldine Barioz - La vigne - n°232 - juin 2011 - page 72

Qu'est-ce que c'est ?

Les amines biogènes sont des composés issus de la transformation des acides aminés – les constituants des protéines – par des bactéries lactiques. Elles sont présentes dans tous les aliments soumis à une fermentation lactique comme les fromages, les charcuteries, le vin, le cidre ou la bière.

Les plus fréquentes dans les aliments sont l'histamine, la tryptamine, la tyramine, la putrescine, la cadaverine et la spermidine. La putrescine, l'histamine et la tyramine sont les plus courantes dans les vins.

Comment apparaissent-elles ?

Pour pouvoir produire des amines biogènes, les bactéries lactiques doivent posséder des décarboxylases. Ces enzymes transforment les acides aminés en amines biogènes en leur faisant perdre une molécule de CO2. C'est la décarboxylation. A chaque acide aminé correspond son amine biogène. Ainsi, l'histidine se transforme en l'histamine et la tyrosine donne la tyramine.

Pourquoi en reparler ?

Parce que les amines biogènes sont la première cause d'intoxication alimentaire en Europe. Devant ce constat, l'Union européenne a financé le programme Biamfood visant à mieux comprendre leur formation dans les aliments, afin de limiter leur présence. Ce programme s'est achevé en début d'année.

Quels problèmes posent-elles ?

L'histamine est l'amine biogène la plus fréquemment incriminée dans les cas d'intoxications. Ingérée en grande quantité, elle provoque des réactions allergiques (rougeur faciale, éruption cutanée et démangeaisons) suivies de maux de tête et de nausées. Les symptômes disparaissent habituellement au bout de 2 à 3 heures. Leur intensité dépend de la sensibilité de chaque individu.

En général, les intoxications sont dues à l'histamine apportée par les fromages qui en contiennent bien plus que les vins. Mais l'alcool peut être un facteur aggravant de la toxicité de cette substance.

De leur côté, la putrescine et la cadavérine masquent les arômes fruités, même à faible dose. Au-delà d'une certaine dose, elles altèrent le profil des vins.

Quand se forment-elles dans le vin ?

Surtout lors de la fermentation malolactique. C'est pourquoi on en trouve plus fréquemment dans les vins rouges que dans les vins blancs. Plus rarement, elles peuvent se former dès la fermentation alcoolique ou après la mise.

Quelles sont les bactéries impliquées ?

Selon un travail d'Inter-Rhône dans le cadre du programme Biamfood, sur les vins de la vallée du Rhône, plusieurs espèces de bactéries sont responsables de la production d'amines biogènes : O. æni (la bactérie de la malo), P. parvulus (bactérie d'altération), L. plantarum (participant aux malos spontanées) et L. hilgardii (bactérie d'altération).

Au sein de chaque espèce, toutes les souches ne produisent pas d'amines biogènes. Seules celles qui possèdent les gènes nécessaires à la fabrication des décarboxylases ont cette propriété.

Cependant, ces souches sont très courantes. Les études menées par Patrick Lucas, de la faculté d'œnologie de Bordeaux, sur 264 vins du Bordelais montrent que 97 % d'entre eux en contiennent naturellement et 70 % à un taux affectant la qualité.

Quelles sont les doses présentes dans les vins ?

Dans le cadre du programme Biamfood, Inter-Rhône a analysé 84 vins de la vallée du Rhône de trois millésimes (2005, 2006 et 2007). En moyenne, ils renferment 13,27 mg/l de putrescine, 5,04 mg/l d'histamine, 4,70 mg/l de tyramine et 0,40 mg/l de cadavérine. Dans la majorité de ces vins, ces amines se trouvent en quantité bien inférieures, mais quelques-unes présentent des taux anormalement élevés, sans qu'un effet millésime apparaisse.

La comparaison de ces résultats avec ceux obtenus en 1995 montre une tendance à la hausse des doses. Ce phénomène serait lié à l'augmentation du pH et de la teneur alcoolique des vins, facteurs favorisant la production d'amines biogènes.

Une étude menée par l'IFV de Beaune en 2000 sur des vins de Bourgogne présente des teneurs en amines de respectivement 14,7 mg/l de putrescine, 13,9 mg/l d'histamine et 4,6 mg/l de tyramine.

Ces doses posent-elles un problème de santé ?

Vincent Gerbaux, de l'IFV de Beaune, a réalisé des essais faisant consommer des vins riches et pauvres en amines biogènes à des sujets sains. Il n'a pas vu d'effet. Ces résultats tendent à montrer que les amines biogènes du vin ne sont pas à l'origine de troubles. Mais la question reste controversée.

Dépassent-elles les normes ?

Non, pour la bonne raison qu'il n'y a aucune dose limite d'amines biogènes pour les vins dans l'Union européenne. La Suisse, qui avait fixé une limite de 10 mg/l d'histamine aux vins importés, a annulé cette réglementation début 2010.

Cependant, de plus en plus d'importateurs imposent des limites de teneur en amines biogènes dans leur cahier des charges. C'est un gage de qualité vis-à-vis des consommateurs. Pour satisfaire leurs exigences, on peut faire doser les amines biogènes les plus répandues par un laboratoire (histamine, cadavérine, putrescine et tyramine).

Qu'est ce qui favorise leur apparition ?

Un pH élevé, un TAP élevé, des malos indigènes ou le manque de SO2 pendant l'élevage. Inter-Rhône montre aussi qu'il existe une corrélation positive entre la quantité d'amines biogènes dans les vins et la dose d'azote apportée à la parcelle ou ajoutée aux moûts avant la fermentation alcoolique.

De façon logique, toute fermentation malolactique mal gérée ou trop longue est un risque supplémentaire.

Par ailleurs, des travaux mettent en évidence le rôle favorisant de la macération pelliculaire ou de l'élevage sur lies.

Comment limiter leur production dans le vin ?

Du côté d'Inter-Rhône, Benoît Bach démontre que l'ajout d'azote lors de la FML permet de diminuer la quantité d'amines biogènes produites, même pour des moûts riches en acides aminés.

Mais le moyen le plus efficace est l'emploi de bactéries sélectionnées, sans décarboxylase. Le travail mené par Vincent Gerbaux, de l'IFV de Beaune, montre que leur utilisation permet de diminuer considérablement le taux d'amines biogènes des vins. Et cela, même après un enrichissement des vins en acides aminés. Ces résultats sont confirmés par Patrick Lucas dans le Bordelais : « L'ensemencement en bactéries lactiques sélectionnées limite significativement la teneur en amines biogènes dans les vins. »

Autre facteur essentiel : la durée des fermentations malolactiques. Plus elles sont courtes, moins les vins contiennent d'amines biogènes.

L'OIV (Organisation internationale de la vigne et du vin) travaille à l'élaboration d'un code des bonnes pratiques vitivinicoles en vue de limiter la présence d'amines biogènes dans les vins.

Deux sont toxiques, la troisième occasionne des défauts

Ces trois amines biogènes sont les plus communes dans les vins, mais non les seules. Aux doses rencontrées dans les vins, l'histamine et la tyramine ne semblent pas responsables d'intoxications ; la putrescine masque les arômes ou provoque des faux goûts. Les fromages sont la principale source d'amines biogènes.

Ces trois amines biogènes sont les plus communes dans les vins, mais non les seules. Aux doses rencontrées dans les vins, l'histamine et la tyramine ne semblent pas responsables d'intoxications ; la putrescine masque les arômes ou provoque des faux goûts. Les fromages sont la principale source d'amines biogènes.

<p>Ces substances se trouvent dans les vins à des doses qui peuvent affecter la qualité, mais qui semblent sans danger pour la santé publique.</p> <p>Des études récentes soulignent l'importance de la maîtrise de la fermentation malolactique pour limiter leur présence.</p>

Plusieurs bactéries sont impliquées

La moitié des souches contaminantes sont des Œnococcus œni, les autres sont des bactéries d'altération ou des bactéries participant spontanément à la malo. Photo d'œnococcus œni : Jeff Broadbent, Utah State University.

La moitié des souches contaminantes sont des Œnococcus œni, les autres sont des bactéries d'altération ou des bactéries participant spontanément à la malo. Photo d'œnococcus œni : Jeff Broadbent, Utah State University.

Répartition de producteurs d'amines biogènes au sein des bactéries lactiques naturellement présentes dans les vins après la fermentation alcoolique.

L'ensemencement, le remède

L'ensemencement avec une souche d'Œnococcus œni permet de diviser par 10 la teneur en acide aminé du vin. © J.-C. GUTNER

L'ensemencement avec une souche d'Œnococcus œni permet de diviser par 10 la teneur en acide aminé du vin. © J.-C. GUTNER

Effet d'un ensemencement en bactéries sélectionnées sur la teneur en amines biogènes d'un pinot noir non enrichi en acides aminés.

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