Ce chercheur de l'Inra d'Angers vient de soutenir une thèse sur le « lien au terroir et la typicité ». Selon lui, les vignerons pensent que la typicité est directement liée au sol et en oublient leur rôle dans cette affaire. Or, selon ses observations, la date de récolte, la durée de cuvaison et de l'élevage sont plus déterminantes de la typicité que la nature du sol.
LA VIGNE : Quel a été le point de départ de vos travaux ?
Y. C. : Tout est parti d'une demande des producteurs d'Anjou-Village-Brissac, petite appellation au sud d'Angers. Ils se posaient la question suivante : alors que l'aire de notre appellation couvre plus de 2 000 ha, pourquoi seulement une petite centaine est revendiquée ? Doit-on redélimiter ? Doit-on mieux définir l'appellation ? Le syndicat s'est adressé à l'Inra d'Angers.
Alors vous vous êtes intéressé à la typicité…
Y. C. : Oui. J'avais commencé à travailler sur la notion. J'ai émis l'hypothèse qu'on ne peut pas étudier les caractéristiques sensorielles d'un vin si on ne s'intéresse pas également aux objectifs des vignerons. Généralement, les travaux de caractérisation de la typicité s'effectuent sur un vin fini. J'ai voulu travailler différemment, en étudiant la typicité en fonction des objectifs de départ des producteurs, des résultats obtenus et des écarts entre les deux.
Quelle a été votre méthode de travail ?
Y. C. : Nous avons d'abord réalisé des entretiens sur la façon dont les quarante et un producteurs de la zone d'anjou-villages-brissac élaborent leurs vins : de la taille à la mise en bouteilles, en passant par leurs choix de parcelles ou de cépages. J'ai proposé de définir la typicité, comme étant l'ensemble des caractéristiques définissant l'appartenance d'un produit à une famille et ce qui le distingue d'autres produits. Qu'est ce qui les rassemble ? Qu'est ce qui les distingue d'une autre famille ? Les vignerons ont défini la typicité de l'anjou-villages brissac : un vin de couleur intense, structuré, aux tanins fondus, aux arômes de fruits noirs ou rouges. A l'opposé, l'anjou rouge est moins coloré, moins structuré…
La seconde étape a consisté à caractériser d'un point de vue sensoriel l'anjou-villages-brissac rouge. Pour cela, nous avons pris trente quatre vins, représentatifs de la diversité des facteurs du milieu physique et des pratiques agroviticoles, de trois millésimes : 2005, 2006 et 2007. On a demandé à un jury expert tout à fait neutre basé à Montpellier, de les caractériser selon une méthode qui ne prend en compte que l'intensité de chaque sensation. Rien d'hédonique, c'est une description objective pure et dure. Les jurés devaient noter l'intensité visuelle, l'intensité de l'arôme de cassis, etc. C'est l'analyse descriptive quantitative. On a croisé ces données avec celles des vignerons pour définir la typicité de l'anjou-villages-brissac.
Et ensuite ?
Y. C. : Ensuite, on a appliqué un profil JAR (Just About Right) dans une dégustation organisée pour les vignerons. Cette méthode est très couramment employée dans l'industrie. On demande aux dégustateurs de dire, pour chaque descripteur d'un vin (couleur, tanins, végétal, fruits rouges, fruits noirs, complexité…), s'il est très insuffisant, insuffisant, comme il faut, trop prononcé ou beaucoup trop prononcé. Par exemple, la couleur de ce vin est-elle conforme à celle que vous attendez d'un anjou-villages-brissac, trop claire ou trop sombre ? A partir de là, on peut construire le vin idéal de chaque dégustateur. Ensuite, j'ai étudié, pour les vins jugés, les plus et les moins typiques, le lien avec cinq facteurs d'élaboration : le sol, le cépage, la date de vendange, la durée de cuvaison et la durée d'élevage.
Quels sont vos résultats ?
Y. C. : On se rend compte que la date de vendange, la durée de cuvaison et la durée d'élevage interviennent fortement dans la typicité alors que le sol n'explique rien. Les vins jugés les plus typiques sont ceux qui ont été vendangés le plus tard et ayant subi les durées de cuvaison et d'élevage les plus longues. Pourtant, lorsqu'on a demandé aux vignerons quels étaient les facteurs importants pour produire un anjou-villages-brissac, ils ont répondu dans l'ordre : le sol et le sous-sol, le climat, le cépage et le porte-greffe et enfin les pratiques viticoles. Ils ne parlent pas de la vendange et du travail en cave. Il y a un écart très net entre les facteurs que l'on croit influant sur la typicité et ceux qui le sont vraiment ; un vrai décalage.
C'est une remise en cause de l'importance du sol dans le terroir ?
Y. C. : Non. Mais le sol ne fait pas tout. Les pratiques œnologiques ont un impact très fort sur la typicité du vin. Les vignerons connaissant leur sol et leur matériel végétal, adaptent leurs pratiques. Ils gomment l'effet du sol et de la plante. Il est vrai qu'on trouve des porte-greffes ou des clones pas toujours très bien adaptés dans l'appellation. On peut plus facilement accommoder les pratiques œnologiques ou la date de vendange que changer le matériel végétal.
Selon l'idée courante, le sol est primordial…
Y. C. : Effectivement. Le terroir = le sol est l'idée largement partagée par les vignerons. C'est très important pour l'AOC, car c'est ce qui est mis en avant sur le lien entre le terroir et la typicité, mais cela ne correspond pas aux pratiques réelles.
Qu'observez-vous d'autre ?
Y. C. : La typicité de l'appellation telle qu'elle est définie oralement par les vignerons fait plutôt consensus, mais la réalité est très différente. En fait, ils jugent leur propre vin éloigné de leur idéal de typicité. Le jugement qu'ils portent sur leur vin est aussi différent de celui porté par le groupe. Pour quelques rares vignerons, le vin idéal correspond au vin qu'ils produisent, mais cet idéal n'est pas celui de l'ensemble du groupe. Finalement, les acteurs de la production ne sont pas d'accord entre eux sur ce qu'ils doivent produire collectivement.
Comment sortir de ce décalage ?
Y. C. : Il faut que les producteurs discutent de la façon de mieux faire correspondre leur concept à leurs pratiques et trouver un équilibre entre le rôle du sol, de la plante et de l'homme.
Quelles sont les voies de progrès ?
Y. C. : Il y en a deux. Il y a des progrès techniques individuels à faire sur l'adaptation du matériel végétal au sol. Et, il y a un travail collectif à faire sur l'appellation. Le cahier des charges qui régit la production n'est pas suffisant. Une appellation doit se construire à partir de rencontres entre les producteurs. Il faut qu'ils parviennent à plus se confronter pour définir cette typicité. Il faut qu'ils partagent une idée commune, par des échanges plus fréquents autour de dégustations.
Vos travaux sont-ils exportables ?
Y. C. : Oui. La méthodologie est reproductible. L'objectif est d'ailleurs de l'utiliser sur d'autres appellations, dans d'autres régions. En particulier sur des AOC qui ont des problèmes d'image.