FIN JUIN, EMMANUELLE ET ANNE BURC effeuillent à la machine la totalité du vignoble côté soleil levant. Cette parcelle de 5 hectares d'un seul tenant, située sur les troisièmes terrasses du Lot, entre dans la cuvée haut de gamme L'Authentique créée en 1995. Elle bénéficie d'un effeuillage manuel complémentaire une dizaine de jours plus tard, toujours côté soleil levant. PHOTOS F. BAL
ANNE BURC EST RESPONSABLE DE LA PRODUCTION. Le domaine dispose d'un parc de 250 barriques pour élever trois des quatre vins rouges. Les cuvées Château Pineraie et Malbec du château Pineraie sont élevées pendant un an. La cuvée L'Authentique est vinifiée en partie en bois dans une cuve de 60 hl, puis élevée dix-huit mois en barriques neuves à 60 %.
« On parle de plus en plus de Cahors de manière positive. » Emmanuelle et Anne Burc, du château Pineraie, à Puy-l'Evêque dans le Lot, s'en réjouissent. Les deux sœurs reviennent sur le domaine familial en 2001 à l'âge de 25 et 23 ans. Il compte alors 31 hectares et vend déjà sa production en bouteilles. Leurs parents, Jean-Luc et Arlette, aujourd'hui âgés de 59 ans, leur en cèdent les rênes, tout en restant salariés.
« Le marché était porteur, explique Anne Burc. En 2002, nous avons investi 220 000 € pour augmenter la qualité de nos vins : table de tri, 14 cuves de 220 hl thermorégulées, station d'épuration, cuve en bois ouverte de 60 hl pour vinifier la cuvée haut de gamme, etc. Depuis, nous trions toute la vendange, même l'entrée de gamme. »
Elles achètent également 7 hectares qu'elles défrichent et replantent en albec. Parallèlement, elles optent pour la certification Qualenvi proposée par les Vignerons indépendants. « C'était un bon moyen de tout mettre à plat et de préparer la succession, assurent-elles. Il a fallu donner un bon coup de collier pour assurer une traçabilité totale. Mais après, c'est un gain de temps considérable en terme d'organisation. »
Stratégie interprofessionnelle
En 2004, elles prennent la crise de plein fouet. Les visites et ventes au caveau chutent. Elles réfléchissent à de nouvelles pistes. Elles décident d'élargir leur gamme qui ne compte alors que trois vins rouges et de développer les exportations.
En 2006, Anne, responsable du chai, crée « La Rosée Pineraie », un rosé de saignée sec « à la couleur assez prononcée et aux arômes très fruités. Ce vin plaît beaucoup, l'été lorsqu'il fait très chaud », indique-t-elle. Cette année-là, elle crée aussi « Malbec du château Pineraie ». C'est un 100 % malbec, alors que leur cœur de gamme « Château Pineraie » est un assemblage de merlot et de malbec. Elle vinifie les deux cuvées de la même façon. Les deux sœurs appliquent ainsi la stratégie de l'interprofession qui vise à se servir de la notoriété mondiale du malbec pour remettre Cahors en selle. « Nous avons cherché à faire un vin typiquement malbec, fruité, rond, avec un boisé très fondu », souligne Anne. Elle pratique une macération préfermentaire à froid pour favoriser le fruité, contrôle la température de fermentation pour qu'elle ne dépasse pas 28°C – « afin d'empêcher l'apparition de mauvais goûts » – et effectue le microbullage lors de la macération. Les vins sont élevés un an en barrique et un an en cuve. Ils sont tirés deux ans et demi après la récolte.
Sur le plan commercial, les deux sœurs restent prudentes : elles n'associent pas franchement le cépage malbec à Cahors. « On ne voulait pas bousculer nos clients, ils ont leurs habitudes, analysent-elles. Maintenant nous sommes convaincues. » Cinq ans après : « Nous avons capté une nouvelle clientèle, plus jeune, confie Emmanuelle, responsable du commerce. Certains bars à vins de Toulouse prennent notre malbec du chateau Pineraie comme vin de la semaine, c'est une révolution, car les VRP ne voulaient plus de l'AOC Cahors. » Cette révolution demande tout de même un travail d'explication sur le cépage malbec et sur Cahors, son pays d'origine. Pour cela, les deux sœurs s'appuient sur les applications pour smartphone conçues par l'interprofession qui donnent « un coup de jeune ». Tout ce travail, mené par bien d'autres domaines, porte ses fruits. « Cahors n'est plus la bête noire des VRP, poursuit Emmanuelle. L'accroche malbec facilite les choses. »
Tous les ans, elle participe à un salon ou une mini-exposition à l'étranger et à deux ou trois animations avec leurs importateurs. En France, elle supervise une dizaine de VRP. Elle accompagne chacun d'eux un ou deux jours par an « pour les motiver ». Et en hiver, les deux sœurs accueillent leurs clients professionnels à Lalbencque, lors du marché de la truffe. Tous sont « ravis ». « Aujourd'hui, les ventes en France stagnent, mais nous exportons 40 % de la production contre 15 % en 2001 », affirme Emmanuelle.
En 2010, elles créent même une SARL de négoce « Burc et filles distribution », prévoyant de décrocher de nouveaux marchés à l'étranger.
Cette année, à la demande de leurs acheteurs, elles démarrent une certification Terra Vitis en agriculture raisonnée, « plus connue que Qualenvi ». En 2011, afin d'offrir une gamme complète, elles élaboreront leur premier blanc en IGP Lot à partir de viognier et de chardonnay plantés en 2008.
Enfin, malgré la crise, elles ont repris 6 hectares supplémentaires en fermage en 2007. Leur domaine compte aujourd'hui 50 hectares. La preuve qu'elles ont toujours eu foi en l'avenir de Cahors.
Et si c'était à refaire ? « Nous partirions à la reconquête du marché belge »
« Nos parents avaient 5 à 6 importateurs en Belgique. En 1995, le plus important d'entre eux leur a demandé l'exclusivité de ventes. Ils lui ont accordé. Or, cet importateur les a lâchés un an plus tard. Ils ont perdu l'intégralité du marché belge. A notre arrivée en 2001, nous aurions dû partir à sa reconquête, car c'est un marché intéressant. En 2002, nous nous sommes agrandies en profitant des rares opportunités d'achat qui se présentaient. Nous aurions dû attendre, car la crise a provoqué une libération de terres. Nous aurions pu acheter près de chez nous. Au lieu de cela, nous avons 30 parcelles éloignées les unes des autres (20 km entre les points extrêmes), dont deux sont très excentrées. Ce n'est pas pratique et c'est coûteux en gasoil, en temps de transport et en main-d'œuvre, d'autant que les routes sont étroites et sinueuses. La situation a toutefois un avantage : cette diversité de terroirs et de lieux limite les risques liés à de forts orages. »