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VIGNE

Le delta C13 révèle le vécu hydrique

Michèle Trévoux - La vigne - n°233 - juillet 2011 - page 32

La mesure du delta C13 permet de connaître le régime hydrique qu'a connu la vigne pendant la maturation. Un indicateur précieux pour affiner ses dates de vendanges, orienter ses vinifications, adapter ses techniques culturales ou préciser ses sélections parcellaires.
ÉTIENNE BESANCENOT, directeur technique du château de Caraguihes à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), adapte son mode de conduite en fonction des résultats de la méthode indirecte d'évaluation du delta 13. © L. LECARPENTIER

ÉTIENNE BESANCENOT, directeur technique du château de Caraguihes à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), adapte son mode de conduite en fonction des résultats de la méthode indirecte d'évaluation du delta 13. © L. LECARPENTIER

Initialement utilisée par les chercheurs, la mesure du delta (Δ) C13 se développe à l'échelle des exploitations viticoles. « C'est un outil très intéressant pour évaluer la contrainte hydrique. La mesure est beaucoup plus simple à faire que celle du potentiel hydrique foliaire de base », constate Jean-Christophe Payan, de l'IFV de Nîmes (Gard). « Le régime hydrique de la vigne est le paramètre le plus déterminant pour la qualité des vins. De ce fait, la mesure du Δ C13 est précieuse pour apprécier le potentiel de chaque parcelle », affirme Olivier Tregoat, ingénieur de l'Enita de Bordeaux, qui a réalisé sa thèse sur le sujet et intervient comme consultant en France et à l'étranger.

« Nous l'utilisons pour hiérarchiser nos parcelles »

Bon nombre de grands crus du Bordelais y ont recours pour affiner la connaissance de leur terroir et leurs sélections parcellaires. « Nous suivons cet indicateur sur nos 90 parcelles depuis quatre ans, confirme Pascal Baratié, chef de culture de Château Haut-Brion, grand cru classé des Graves. Nous l'utilisons pour hiérarchiser nos parcelles, en complément de critères plus classiques comme le cépage, le porte-greffe, le terroir, l'âge de la vigne et la dégustation des baies. Ce critère a beaucoup pesé dans l'orientation de nos cuvées du millésime 2010, car nous avons connu des conditions particulièrement sèches. »

Pour Pascal Baratié, cet indicateur est également précieux lors du choix d'un porte-greffe et d'un cépage à la replantation d'une parcelle.

Au château Smith Haut Lafitte, autre grand cru classé des Graves, le suivi du Δ C13 a démarré il y a trois ans. « Au départ, nous l'avons mesuré sur quelques parcelles pour mieux comprendre nos observations de terrain. Depuis l'an dernier, ce suivi a été étendu à l'ensemble du vignoble (67 ha) et a permis de moduler les techniques culturales », témoigne Fabien Teitgen, directeur technique du château. Ce dernier a maintenu le travail intégral des sols dans les zones les plus stressées, alors qu'il a enherbé les zones les moins sensibles au stress. Dans les zones intermédiaires, il n'a enherbé que l'interrang, maintenant le travail du sol sous le rang. Et l'an prochain, les relevés de Δ C13 seront exploités pour définir une hauteur de feuillage en fonction du niveau de stress. Ce nouvel outil est également utilisé en complément des cartes de résistivité des sols ou d'indice de végétation, pour définir des zones de maturité homogène, bien que « la dégustation des baies reste le critère décisif. Nous avons perçu la différence en 2010 avec des cuvées qui ont gagné en précision de texture, d'arômes et de qualité des tannins ».

Un historique de quatre ans des indices de delta C13

Dans l'Aude, le laboratoire Dubernet a mis au point une méthode indirecte d'évaluation du Δ C13, avec des résultats en temps réel. Certains domaines et caves coopératives du Languedoc l'exploitent. Etienne Besancenot, le directeur du château de Caraguilhes, 135 ha de vigne à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse dans les Corbières, dispose d'un historique de quatre ans des indices de Δ C13 pour chaque contrôle de maturité.

« Cela nous permet de repérer les parcelles ou les zones à l'intérieur d'une même parcelle qui sont les plus touchées par le stress hydrique, indique-t-il. Ce paramètre vient en complément des observations de terrain et nous permet un zonage précis. Nous pouvons ensuite adapter notre mode de conduite en limitant les rognages ou les effeuillages dans les secteurs les plus stressés. L'indice Δ C13 nous aide aussi à orienter les vinifications : les raisins les plus stressés sont vinifiés en rosé ou en rouge, mais avec des cuvaisons rapides pour limiter l'extraction. » Enfin, le domaine, qui s'apprête à installer l'irrigation, dispose d'une bonne vision des secteurs à irriguer en priorité.

Non loin de là, à la cave coopérative d'Embres-et-Castelmaure, cette nouvelle analyse est un outil pour déterminer la date de vendanges. « Nous suivons cette donnée dans toutes les parcelles qui entrent dans nos cuvées haut de gamme, explique Bernard Pueyo, le directeur de la cave. Tant que les raisins ne souffrent pas de stress hydrique, on peut laisser mûrir pour atteindre la maturité phénolique. Quand la vigne souffre, on sait qu'il n'y a plus aucun intérêt à attendre. » Depuis trois ans, la cave constitue aussi une base de données des mesures de Δ C13 et d'analyse de pétiole, sur ses 130 ha en sélection parcellaire. Cette base de données pourrait servir à redéfinir ses critères de sélection.

Des résultats instantanés avec le laboratoire Dubernet

Spécialiste de l'analyse infrarouge, le laboratoire Dubernet, à Narbonne (Aude), a analysé quantité de moûts sur plusieurs années d'une part avec la méthode de référence de mesure du Δ C13 et d'autre part par infrarouge. Il a trouvé une bonne corrélation entre les résultats issus des deux méthodes. Il propose donc une évaluation du Δ C13 à partir d'une extrapolation des résultats des mesures infrarouges. « Nous n'obtenons pas la même précision qu'avec la méthode de référence, le facteur de variabilité est de 20 % contre 10 % pour la méthode de référence. Mais nos résultats donnent une vision juste et en temps réel du stress subi par la vigne », souligne Matthieu Dubernet, l'œnologue du laboratoire. Depuis 2006, l'établissement fournit d'office à tous ses clients les valeurs de Δ C13 mesuré au moment des contrôles de maturité, au même titre que les sucres, le degré probable et les acides malique, tartrique, gluconique et citrique. Mais il réalise aussi, à la demande de ses clients, des analyses du C13 selon la méthode de référence.

Méthode de référence et mesure infrarouge

Le delta C13 est la mesure du rapport entre deux isotopes de carbone : le carbone 12 et le carbone 13. Le principe est le suivant : lorsque la vigne bénéficie d'une bonne alimentation hydrique, elle absorbe préférentiellement le carbone C12 de l'atmosphère. En revanche, quand elle souffre de stress hydrique, ses stomates se ferment. Elle absorbe davantage de C 13. Le rapport entre les deux isotopes mesurés dans les moûts dépend donc de la contrainte hydrique subie par la plante durant la maturation. Les résultats s'échelonnent entre - 27 pour mille et - 20 pour mille. A - 27 pour mille, la vigne ne subit aucune contrainte hydrique. - 20 pour mille correspond à une vigne touchée par un stress sévère. La mesure s'effectue par spectrométrie de masse isotopique : c'est une analyse très lourde. La préparation des échantillons est longue et complexe. Pour diminuer les frais, les analyses sont groupées. Actuellement, elles ne se font qu'une fois par an, d'où le délai (un à deux mois) pour obtenir les résultats. Coût de l'analyse : de 25 à 40 € selon les quantités. En France, seuls deux laboratoires proposent cette analyse : le laboratoire Dubernet à Narbonne (Aude) et Sovivins à Marcillac (Gironde).

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