La quatrième journée scientifique de la vigne et du vin a eu lieu le 20 mai à Montpellier sur le campus de l'Inra-Supagro (1). Cent quatre-vingt-dix personnes y ont participé. Voici ce qu'il faut en retenir.
BOURBES : La turbidité n'est pas un indicateur suffisant
Classiquement en blanc, on recommande d'atteindre entre 50 et 150 NTU après débourbage, cela pour avoir des moûts fermentescibles et des vins fins. Mais selon Jean-Michel Salmon, de l'Inra de Montpellier, cet indicateur n'est pas suffisant. Il a expliqué pourquoi le 20 mai, lors de la quatrième journée scientifique de l'Inra Supagro, à Montpellier.
Les bourbes contiennent des phytostérols, des molécules importantes pour la nutrition des levures au cours de la fermentation alcoolique. Elles renforcent les membranes des levures, ce qui leur permet de mieux résister à l'éthanol. Il faut donc conserver un peu de trouble dans les moûts. Cependant, la biodisponibilité des phytostérols des bourbes est variable. « La turbidité est un paramètre qui se mesure facilement, mais il n'est plus suffisant pour orienter les fermentations et caractériser l'aspect nutritionnel des bourbes en phytostérols », indique Jean-Michel Salmon.
Lors de ses expérimentations, ce chercheur a également observé qu'en cours de fermentation, les bourbes disparaissent avant de réapparaître à la fin. « Un remodelage des bourbes s'opère lors de la vinification avec des phénomènes de désagrégation et de réagrégation », commente-t-il. Ce remodelage a des conséquences sur la disponibilité, pour les levures, des nutriments présents dans les bourbes.
Jean-Michel Salmon a souligné que les bourbes ont également un effet sur le dégagement du CO2, ce qui permet de désaturer le moût en gaz carbonique. Cette propriété a été démontrée en brasserie. Mais les bourbes peuvent aussi favoriser des déviations organoleptiques. C'est pourquoi, il en faut ni trop, ni trop peu.
LEVURES ŒNOLOGIQUES : Leur génome mieux connu
En 1996, des chercheurs ont séquencé le génome d'une souche de laboratoire de S. cerevisiae. Mais cette levure n'est pas adaptée à la vinification. Les chercheurs de l'Inra Supagro ont donc récemment séquencé le génome de la levure « prise de mousse » EC 1118, sélectionnée en Champagne (Vitilevure EC 1118). Puis ils ont comparé les deux génomes. Quelles sont les différences ? « Il y a 50 000 mutations qui séparent les deux souches. Cela représente 0,5 % de divergence totale. Pour mémoire, entre l'homme et le chimpanzé, les divergences sont de 2 % », explique Sylvie Dequin, directrice de recherche à l'Inra.
Ensuite les deux génomes sont structurés différemment. Les chercheurs ont noté des réarrangements dans les chromosomes de la souche EC 1118. L'un de ces réarrangements permet une meilleure résistance aux sulfites. Enfin, ils ont observé la présence de 34 nouveaux gènes dans la levure œnologique qui jouent un rôle dans le métabolisme des sucres et l'assimilation de l'azote. Ces gènes sont regroupés dans trois régions A, B et C.
Après avoir fait cette découverte, l'Inra a séquencé le génome d'autres levures œnologiques et découvert qu'elles aussi comprennent les nouvelles régions. La région A est présente principalement chez les levures champenoises et les souches de voile. Les régions B et C se retrouvent dans les trois quarts des souches analysées. Les chercheurs ont identifié la levure Zygosaccharomyces bailli, un contaminant du vin, comme donneur des gènes de la région B.
De nouvelles stratégies pour améliorer les souches
De son côté, Bruno Blondin, Professeur à Supagro, a expliqué que la recherche de QTL était indispensable pour améliorer les souches de levures par hybridation. Les QTL sont des régions chromosomiques où sont localisés un ou plusieurs gènes qui conditionnent un caractère complexe de la levure comme la vitesse de fermentation ou la production de composés aromatiques. Les chercheurs de Montpellier travaillent à identifier ces zones. Ils ont ainsi pu déterminer les bases génétiques déterminant la vitesse de fermentation, la production de sulfites, de composés volatils divers et la capacité à fermenter en milieu carencé en azote. Ces données serviront à sélectionner de nouvelles souches et à leur amélioration génétique.
THIOLS : L'oxydation contrôlée du moût peut les favoriser
Les thiols sont des composés aromatiques importants, responsables des notes de buis, pamplemousse et fruits de la passion. Ils sont présents dans beaucoup de vins blancs, mais aussi dans certains rosés et rouges. Ils sont révélés en début de fermentation à partir de précurseurs conjugués à la cystéine ou au glutathion.
Rémi Guérin-Schneider, de l'IFV, a rappelé que la plupart des précurseurs des thiols sont présents dans les pellicules des raisins. La macération pelliculaire est donc un bon moyen de favoriser les thiols. Mais ce chercheur a expliqué que certains précurseurs se retrouvent préférentiellement dans la pulpe. C'est le cas du précurseur glutathionylé du 3 mercaptohexanol pour le cépage melon de Bourgogne.
Rémi Guérin-Schneider a révélé un fait plus surprenant encore : l'oxydation des moûts n'est pas forcément préjudiciable à la teneur en thiols. En effet, une oxydation contrôlée ne dégrade pas les précurseurs conjugués à la cystéine. Et surtout, elle augmente la teneur en précurseur glutathionylé du 3 mercaptohexanol.
« Attention, l'inertage est toujours important. Mais pour certains cépages, comme le melon de Bourgogne, qui sont pauvres en précurseurs de thiols, le fait d'ajouter au moût de faibles quantités d'oxygène peut être bénéfique. Au niveau du process, l'utilisation du réacteur d'oxydation de Vivélys semble intéressante. Mais pour l'instant, nous ne savons pas quelles doses apporter en fonction des cépages », rapporte-t-il.
Pendant la fermentation, la révélation des thiols dépend de la souche de levures utilisée et de la température, l'optimum étant 18-20°C. La composition azotée des moûts est également importante. Plus les moûts sont riches en azote assimilable, plus le rendement en thiols est important. Les apports d'azote foliaire sur les vignes au moment de la véraison donnent donc de bons résultats. Néanmoins, en cas de carence azotée du moût, l'apport d'ammonium en cours de fermentation n'est pas judicieux. « L'ammonium inhibe les transporteurs d'acides aminés et donc les précurseurs de thiols dans la levure. Mieux vaut apporter de l'azote complexe en début de fermentation », conseille Rémi Guérin-Schneider.
ENZYMES DE MACÉRATION : Plus de couleur et de tanins dans les rouges
Marie-Agnès Ducasse, aujourd'hui ingénieure à l'IFV, a présenté les résultats d'essais réalisés de 2004 à 2006. Durant ces trois millésimes, elle a étudié l'effet des enzymes de macération sur la composition phénolique des vins rouges. Dans ses essais, les vins enzymés sont plus riches en tanins que les vins témoin lors des trois millésimes. En 2004 et dans une moindre mesure en 2006, les vins enzymés étaient également plus colorés. Mais en 2005, ce ne fut pas le cas. « 2005 était un millésime plus précoce que les autres. L'extractibilité des anthocyanes était plus élevée. L'effet des enzymes sur la couleur serait donc lié à la qualité de la vendange », justifie Marie-Agnès Ducasse.
L'effet sur la couleur ne semble pas être dû à une hausse de la concentration en anthocyanes, mais plutôt à une augmentation des pigments issus des réactions entre les anthocyanes et les tanins.
Cet effet des enzymes sur la couleur est très controversé. « Au niveau national et international, certaines études montrent que les enzymes entraînent une augmentation de l'intensité colorante et de la concentration en anthocyanes, d'autres montrent une augmentation de l'intensité colorante et une diminution de la concentration en anthocyanes et d'autres encore ne montrent aucun effet », rapporte Marie-Agnès Ducasse. Selon elle, ces résultats contrastés sont liés au millésime, aux conditions de vinification, aux préparations testées (proportions des activités et concentrations différentes) et à la manière dont les enzymes sont apportées. « Dans l'esprit des gens, les enzymes, principalement des pectinases, détruisent les parois du raisin, ce qui favorise la libération des anthocyanes et donc augmente la couleur. Mais en fait le phénomène de la couleur est beaucoup plus complexe que ça. »
(1) Cette journée a été organisée par l'Institut des hautes études de la vigne et du vin (IHEV) et l'unité mixte de recherches Sciences pour l'œnologie (UMR SPO).
Esters : jusqu'à 60 % de pertes par évaporation
Jean-Roch Mouret, de l'Inra, a suivi tout au long de la fermentation alcoolique les arômes fermentaires (alcools supérieurs et esters). Toutes les heures, il a mesuré la concentration dans le vin et les pertes par évaporation de 16 composés volatils, parmi lesquels, l'acétate d'éthyle, l'acétate d'isoamyle à l'arôme de banane et l'hexanoate d'éthyle qui contribue à l'arôme de fruits rouges. Il ressort de ces travaux que les pertes en alcools supérieurs sont négligeables. Mais elles sont très importantes pour les esters, même lorsque la température lors de la fermentation est modérée. Pour l'hexanoate d'éthyle, elles représentent jusqu'à 60 % de la production totale.
Dosage de l'azote assimilable : l'IRTF est pratique et fiable
Erick Casalta, ingénieur d'étude à l'Inra, a comparé différentes méthodes de dosage de l'azote assimilable dans les moûts. Il a travaillé sur dix moûts (8 blancs et 2 rouges) du Languedoc-Roussillon provenant de six cépages. Il a pris comme référence la méthode Kjeldahl qui permet le dosage de l'azote total (minéral et organique). Parmi les méthodes alternatives, la plus fi able est celle combinant le dosage des acides aminés par analyseur automatique à la mesure de l'azote ammoniacal par kit enzymatique. En moyenne, les différences entre cette méthode et celle de référence sont de 10,3 mg N/l. Mais cette méthode est coûteuse et longue. Avec l'IRTF, les différences sont en moyenne de 24,5 mg N/l, ce qui est acceptable. Cette méthode est donc relativement fi able. Rapide et non destructrice, elle est bien adaptée à une utilisation en routine. A noter toutefois, un écart très important sur un moût de merlot issu de flash-détente, ce qui fait dire au chercheur « que cette méthode ne convient pas à certains moûts atypiques ». Erick Casalta a également testé la formol titration et la combinaison de la méthode NOPA et du kit enzymatique. Toutes deux sous-estiment les teneurs en azote assimilable. La moyenne des différences est respectivement de 54,2 ml N/l et de 37,6 mg N/l. Ces deux méthodes présentent néanmoins l'intérêt de ne pas nécessiter d'équipement important. Lorsqu'on les utilise, il faut donc corriger les valeurs obtenues.