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Magazine - Histoire

Roger Dion : Pas de terroir sans homme

Florence Bal - La vigne - n°233 - juillet 2011 - page 79

Le célèbre géographe français montre que le travail de l'homme et l'accès au marché prévalent sur le type de sol dans l'obtention de grands vins.
« Le rôle du terrain dans l'élaboration d'un grand cru, ne va-t-il guère au-delà de celui de la matière dans l'élaboration de l'oeuvre d'art », écrit Roger Dion en 1952. © ARCHIVES FAMILIALES DE MADAME JACQUIN

« Le rôle du terrain dans l'élaboration d'un grand cru, ne va-t-il guère au-delà de celui de la matière dans l'élaboration de l'oeuvre d'art », écrit Roger Dion en 1952. © ARCHIVES FAMILIALES DE MADAME JACQUIN

Né en 1896 à Argenton-sur-Creuse dans l'Indre, Roger Dion grandit à Blois. Il entre à l'école normale supérieure en 1919 et obtient l'agrégation en 1921. Il soutient sa thèse sur le Val de Loire et les paysages agraires en 1934. Il est ensuite nommé à l'université de Lille, puis à la Sorbonne en 1945.

En 1948, il obtient la chaire de géographie historique au Collège de France. Il écrit plusieurs ouvrages comme « Paysages de la vigne ». Son livre de références « Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle » paraît à compte d'auteur en 1959. Il bouleverse l'approche traditionnelle de l'histoire et de la géographie viticole qui fait alors la part belle à la notion de terroir au sens étroit de substrat géologique.

Des crus « délicats » en région parisienne

Sans l'action de l'homme et sans un accès au marché, il n'y a pas de grands vins ni de grands terroirs : c'est en substance ce que Roger Dion révèle. Il en a l'intuition alors qu'il prépare sa thèse. Il découvre ainsi que les petits vins de la région parisienne ne l'ont pas toujours été. « Les documents historiques attestaient de manière indubitable la possibilité de récolter dans la région parisienne des vins de hautes qualités », écrit-il.

De fait, les crus de Coucy dans le Laonnois (à 140 km au nord-est de Paris), ceux de Sèvres et de Saint- Cloud (aux portes de Paris, à l'ouest), ont eu leur âge d'or au XVIe siècle où ils sont cités « parmi les plus délicats du royaume ». De même, l'histoire médiévale lui montre « de brillantes réputations viticoles » consacrées par les rois : celles d'Anjou, d'Arbois, de Beaune, de Bordeaux, d'Epernay et de Hautvillers. Ces réputations qui se font et se défont au fil des époques dépendent de la position géographique des vignobles par rapport aux marchés, mais aussi des goûts et de la demande des consommateurs.

Les Anglais déterminants dans le succès de Bordeaux

Très vite, Roger Dion reprend à son compte la célèbre expression d'Olivier de Serres : « Si vous n'êtes en lieu pour vendre votre vin, que feriez-vous d'un grand vignoble ? » Il rappelle dans ses écrits le rôle du marché anglais dans le succès des vins de Bordeaux ou de Champagne. Il explique comment les attentes de la bourgeoisie lyonnaise ont conditionné le développement des côtes-du-rhône septentrionales. Il confirme l'importance du commerce dans le devenir et la réputation des vins.

Il décrit « la longue suite d'ambitions, d'entreprises et de succès à laquelle nous devons d'avoir hérité d'un vignoble sans égal », qui est bien loin de se satisfaire du seul type de sol comme explication prépondérante. « Il démontre le rôle du milieu social, le propriétaire aristocrate ou bourgeois faisant du meilleur vin que le paysan en raison des investissements importants destinés à améliorer la qualité, relate Jean-Robert Pitte dans la préface de l'ouvrage “Le paysage et la vigne” de Roger Dion. La proximité du château ou de la ville se révèle plus prometteuse que le seul terroir. On le voit par exemple avec le rôle prépondérant du diocèse d'Autun dans la répartition des grands crus de la Côte-d'Or. »

Il met en évidence que tous les vignobles de qualité sont situés près des ports, d'une voie fluviale ou d'une ville. « La qualité des vins provient plus du désir de boire bon qui s'exprime près ou loin des vignobles et par voie de conséquences de faire bon, que du terroir qui n'est qu'une heureuse opportunité parmi mille autres possibles », poursuit Jean-Robert Pitte.

En France, l'histoire du vin éclaire celle du peuple

Ainsi, « le rôle du terrain dans l'élaboration d'un grand cru, ne va-t-il guère au-delà de celui de la matière dans l'élaboration de l'œuvre d'art », écrit Roger Dion en 1952. A marché populaire, vin simple et peu cher. A marché haut de gamme : grands vins et grands crus onéreux.

Chercheur solitaire, discret et précis, Roger Dion est peu attaché à la notoriété de ses travaux. Mais il apprécie le bon vin. Il meurt à Paris en 1981 mais son message reste d'actualité. « De tous les territoires où s'est propagée la civilisation latine, il n'en est aucun à qui l'implantation de la viticulture ait apporté autant de bienfaits qu'à la France (...), écrivait-il. (...), la France, pays où l'histoire de la vigne et du vin éclaire celle du peuple tout entier. » Ne l'oublions pas.

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SOURCES

« Histoire de la vigne et du vin en France des origines au XIXe siècle », Roger Dion, CNRS éditions.

« Le paysage et la vigne », Roger Dion, bibliothèque historique Payot.

« Le bon vin, actualité de la pensée » de Roger Dion, sous la direction de JR Pitte, CNRS éditions.

Archives du Collège de France.

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