VILLAGE DE WELLENSTEIN. La vigne est située sur la rive gauche de la Moselle, face aux vignobles allemands, situés sur l'autre rive. Mais aussi dans les petites vallées parallèles, comme ici. © PHOTOS M. HULOT
TOURISTES CHEZ LAURENT ET RITA KOX. Le vin est très à la mode, la consommation très élevée. « Ici, c'est d'abord le vin, et après la bière », disent les vigneron avec fierté.
ANOUK BASTIAN DANS SES VIGNES. « La mondialisation ne me fait pas peur. Je fais un vin qui ne suit aucune mode, qui a son propre style. » Lors des portes ouvertes organisées plusieurs fois par an, les clients abondent. Ils repartent avec des cartons.
VINSMOSELLE. Cette union de coopératives couvre 813 hectares sur les 1 270 du pays, elle a donc un rôle essentiel. Très bien équipée techniquement, elle possède aussi plusieurs caveaux de vente impressionnants et innove sans cesse en marketing avec de nouvelles cuvées. © DR.
CAVE DESOM. Ce négoce familial a construit une cave en gravité creusée dans la roche, entièrement dessinée par le père Albert, ingénieur. Le fils Marc, 33 ans, est à la vinification : « Aujourd'hui, les vins doivent être au top, car le consommateur est très exigeant. »
Grand comme un mouchoir de poche (1 270 ha), le vignoble du Luxembourg longe la Moselle sur 42 km de long. Il concentre tout ce dont un vignoble peut rêver d'avoir, à commencer par une clientèle aisée qui consomme beaucoup (53,9 l/hab/an) et un ministre de l'Agriculture, vigneron, qui prône la culture du vin. Sur place, ces clients trouvent de bons restaurants, des bains thermaux, des bateaux de croisière pour descendre ou remonter la Moselle et une piste cyclable tout le long de la rivière. Les ventes au caveau sont une aubaine pour les producteurs : ils reçoivent des groupes entiers venus de France, d'Allemagne et de Belgique qui repartent souvent le coffre plein, attirés par les prix abordables : des vins entre 2,50 € et 10 € en moyenne. Cette « petite Europe » peuplée de 502 066 habitants, dont 43 % de non-Luxembourgeois, bénéficie d'un atout de taille : la proximité entre l'administration et la population. « Aujourd'hui, je contrôle les enfants des producteurs que je contrôlais hier », s'amuse Marc Kuhn, contrôleur à l'Institut vitivinicole. Cette figure emblématique a suivi pendant trente ans les producteurs de façon constructive. « Nous avançons en bonne intelligence », confie-t-il.
Un remembrement total
Le vignoble, pris en sandwich entre la France et l'Allemagne, n'a jamais pu s'étendre au-delà de 1 800 ha. Longtemps, les raisins luxembourgeois ont servi de base au mousseux allemand, jusqu'à l'arrivée du phylloxéra. En 1919, suite à la création de l'Union économique belgo- luxembourgeoise, les producteurs se tournèrent vers la Belgique. Aujourd'hui encore, elle reste, de loin, leur principal marché export : 46 813 hl sont partis en 2010 chez les voisins belges, sur une production totale de 127 284 hl. L'Allemagne est également un bon client tout comme la France.
Depuis le début des années soixante-dix, de gros travaux de remembrement ont facilité le passage des tracteurs et des véhicules. Les vignes ont été replantées à 5 500 pieds par hectare (2 m x 1,10 m). L'elbling n'occupe plus qu'un dixième des surfaces. Il a régressé au profit de cépages nobles : auxerrois, pinot gris, pinot blanc, riesling, pinot noir, gewürztraminer et chardonnay. Le cépage majoritaire reste le rivaner (ou Müller-Thürgau) avec 28 % de la surface.
L'Union des coopératives domaines Vinsmoselle, créée en 1966, vinifie et vend 63 % des volumes. Quelques négociants représentent 15 % de la production. Une cinquantaine de vignerons indépendants réalisent le reste des ventes. Ceux-ci ont le vent en poupe.
Laurent Kox a démarré son affaire dans les années quatre-vingt. Son père était vendeur de raisin. Avec ses 10 ha, il vinifie six cuvées différentes et 100 000 bouteilles en tout. Il organise régulièrement des rencontres œnologiques et des repas de terroir concoctés par sa femme Rita. Il reçoit jusqu'à 700 personnes par an dans son joli jardin de Remich.
Des vins purs et opulents
Anouk Bastian est aussi une vigneronne indépendante. Elle représente la quatrième génération de vignerons sur son domaine. Son grand-père avait des vaches et il vendait ses raisins à la coopérative. Son père et sa mère ont vendu leur première bouteille en 1970, aux restaurants alentours.
Malgré une maîtrise de droit des affaires, Anouck a préféré rejoindre son père et vinifier avec lui. Ils travaillent sur 13,7 ha et produisent 100 000 bouteilles dont 10 % de crémant. « Nous vendons tout dans le périmètre proche à une bonne clientèle privée et à des restaurants », explique-t-elle. Ses vins sont purs et opulents, comme son riesling 2009, grand premier cru Wellenstein Kurschels ou son pinot gris 2010.
« Le bilan est très positif pour ces petits producteurs, admet Marc Kuhn. En revanche, en deuxième activité, c'est de moins en moins rentable de cultiver de la vigne, à moins d'avoir de grandes surfaces. Les frais montent, mais le prix du kilo de raisin stagne », à 1,20 € pour les cépages nobles, tout de même. On assiste donc à une baisse du nombre d'exploitations (392 en 2010) et à une concentration.
D'autres nuages assombrissent le tableau. La liberté de commercer dans ce pays où les banques poussent comme des champignons a ouvert la porte à des vins étrangers dont les ventes ont largement dépassé la production locale, avec 195 851 hl l'an dernier.
Des bulles pour locomotive
Par ailleurs, si la rentabilité est là, la notoriété est loin d'être acquise. Or, c'est ce qui permet de s'imposer à l'export et de défendre son marché local. La plupart des vins sont simplement de bons rapports qualité prix. Il existe pourtant d'excellents vins qui montrent l'étonnant potentiel du terroir luxembourgeois pour l'auxerrois et le riesling, comme ceux d'Abi Duhr. Ce professeur d'œnologie produit 20 000 à 30 000 bouteilles par an. Il a créé « Domaine et tradition » avec sept producteurs, dont les Bastia. C'est une signature commune qui répond à une charte incluant de petits rendements. D'autres chartes ont vu le jour, comme la « Charta Schengen prestige ». Ces producteurs et ces vins haut de gamme hisseront les vins luxembourgeois vers la notoriété.
Mais l'ensemble du vignoble mise surtout sur le crémant pour gagner ses lettres de noblesse. Marque nationale depuis 1991 (équivalent de nos AOC), le crémant du Luxembourg représente désormais 15 % des vins produits dans le pays. « Le crémant attire les jeunes qui passent ensuite au vin blanc », explique Laurent Kox, premier vigneron à avoir tenté les bulles en 1981. Avec ses effervescents, il réalise 30 % de son chiffre d'affaires de 500 000 € alors qu'ils ne représentent que 20 % de son volume. On comprend ainsi l'intérêt de ces vins. En 2013, le concours des crémants de France et du Luxembourg se posera au grand-duché. Tout un symbole.