Qu'est que c'est ?
C'est l'étude de la vigne par l'analyse de son ADN. L'ampélographie classique consiste en la description et la caractérisation des cépages. Elle étudie également leur évolution dans le temps et leurs aptitudes culturales et œnologiques selon les terroirs et les itinéraires techniques. Pendant longtemps, elle ne s'est basée que sur l'observation visuelle de la vigne, sur la morphologie des feuilles, des rameaux et des grappes, que l'on comparait selon des critères précis. Aujourd'hui, l'analyse de l'ADN révolutionne la discipline, permettant d'immenses progrès dans la généalogie de la vigne.
Depuis quand est-elle utilisée ?
Les premières techniques d'analyse moléculaire sont apparues au début des années 1990. Mais elles faisaient intervenir la radioactivité. Ces analyses étant relativement lourdes, elles n'ont pas percé. Puis en 1995, la PCR (pour l'anglais Polymerase Chain Reaction ou, en français, réaction en chaîne par polymérase) se développe. Grâce à elle, les chercheurs peuvent recopier un brin d'ADN en grande quantité. Les analyses deviennent alors plus faciles. Les techniques se développent pour devenir effectives au début des années 2000.
A quelles techniques fait-elle appel ?
Il y a d'abord l'analyse par marqueurs microsatellites. Ces derniers sont de courtes séquences d'ADN de deux, trois ou quatre bases (par exemple C-A ou G-A-T) qui peuvent être répétées dix à trente fois. « Ces zones n'ont pas d'in- fluence sur le comportement de la plante, c'est ce que l'on appelle des marqueurs neutres », précise Jean-Michel Boursiquot, maître de conférence à Montpellier SupAgro et directeur scientifique et technique à l'IFV. Ces zones sont très variables et mutent rapidement. Toutes les espèces vivantes en possèdent.
Les microsatellites de la vigne sont différents d'un cépage à l'autre. « Nous avons ainsi sélectionné neuf marqueurs microsatellites qui nous permettent de différencier les cépages. De cette manière, nous avons pu constituer une base de donnée comprenant les profils de 3 000 cépages_», explique Jean-Michel Boursiquot.
Autre analyse : celle des marqueurs indels. Ces derniers sont des mutations d'insertion ou de délétion de courtes séquences d'ADN. Il y a également l'analyse des éléments transposables ou éléments mobiles, que l'on appelle aussi parfois « gènes sauteurs ». Parmi eux se trouvent les rétrotransposons qui se répandent dans le génome selon un principe de « copier-coller » et les transposons qui se déplacent selon un « couper-coller ». Souvent, ces éléments sont activés lorsque la vigne subit un stress. Ils sont donc une source majeure de mutations, de variabilité génétique et d'évolution.
Enfin, citons l'étude du polymorphisme des nucléotides uniques, ou SNP. C'est un type de polymorphisme de l'ADN dans lequel deux chromosomes diffèrent sur un segment donné par une seule paire de bases. Il s'agit en fait du changement d'une base par une autre.
Qu'a-t-elle permis de découvrir sur l'origine de la vigne ?
Jean-Pierre Péros, de l'Inra de Montpellier, a montré, grâce aux microsatellites et à l'analyse de séquences ADN des chloroplastes (indels et SNP), que l'espèce européenne Vitis vinifera est proche des espèces asiatiques. « Nous avons mis en évidence le caractère ancestral des espèces asiatiques, rapporte Jean-Michel Boursiquot. Celles-ci seraient à l'origine de l'espèce européenne Vitis vinefera d'une part et des espèces américaines d'autre part. Concernant ces dernières, il y aurait eu deux événements distincts de dispersion depuis l'Eurasie vers l'Amérique : l'un est à l'origine des espèces du centre et de l'est de l'Amérique, l'autre à l'origine des espèces californiennes. »
L'analyse des microsatellites a également permis de bien faire la distinction entre les vignes sauvages et les vignes cultivées et de voir comment elles ont évolué. « Cet outil permet de bien classer les individus », insiste Jean-Michel Boursiquot.
Et sur l'origine des cépages ?
L'analyse des microsatellites présente également l'intérêt de retrouver les liens de parenté entre les cépages. Les chercheurs ont pu ainsi constater que le gouais a été un géniteur important. Ce cépage blanc croisé avec le pinot noir a donné naissance, entre autres, au chardonnay, à l'aligoté, à l'auxerrois, au melon de Bourgogne et au gamay. Il est également à l'origine de la jacquère, du grolleau, du colombard et du riesling. La liste de ses descendants est longue. Lors de leurs prospections dans de vieilles parcelles de vignes, les chercheurs ont également identifié en Charente la magdeleine noire des Charentes. « Nous avons retrouvé quatre souches de ce cépage. Dès que nous l'avons vu, nous avons constaté qu'il s'agissait d'un cépage original, inconnu des collections _», raconte Jean-Michel Boursiquot. Les analyses par microsatellites ont confirmé les observations et surtout, elles ont prouvé que ce cépage très ancien est la mère du merlot et du cot.
Permet-elle d'identifier les cépages ?
Oui. L'analyse des microsatellites permet d'identifier les principaux cépages cultivés à ce jour. En 2009, Jean-Michel Boursiquot et Laurent Audeguin, de l'IFV, ont pu mettre en évidence un faux albariño lors d'une mission en Australie. Depuis quelques années, des producteurs australiens cultivaient ce cépage en le présentant comme de l'albariño, un cépage de cuve blanc espagnol. Ils obtenaient un vin à la réputation grandissante. Mais les deux chercheurs se sont rendu compte que, visuellement, ce cépage était en fait du savagnin blanc, une variété cultivée dans le Jura. Ils ont alors pratiqué une analyse moléculaire à l'aide des marqueurs microsatellites, laquelle a confirmé qu'il s'agissait bien du savagnin. Un résultat indiscutable qui a surpris les Australiens.
Aujourd'hui, les viticulteurs disposent donc d'un outil qui leur permet d'identifier leur matériel végétal de manière très efficace. S'ils ont un doute sur l'identité de leur cépage ou de leur porte-greffe, ils peuvent demander une analyse à l'IFV. Cette dernière peut se faire durant l'hiver sur des sarments, sur des plants très jeunes pour le cépage ou sur des racines pour le porte-greffe. L'analyse coûte 89 euros HT que ce soit pour l'identification du cépage ou du porte-greffe. Il faut compter entre une semaine et quinze jours pour obtenir le résultat.
Permet-elle de distinguer les clones ?
Non, pas pour l'instant. En effet, au sein d'un même cépage, il existe très peu de différences au niveau des microsatellites. « Pour la syrah, nous avons juste trouvé un marqueur microsatellite dont le profil est différent selon que le clone est sensible ou pas au dépérissement. Mais cela ne va pas plus loin », rapporte Jean-Michel Boursiquot.
De son côté, Grégory Carrier, de l'UMT Géno-Vigne IFV-Inra-Montpellier SupAgro, travaille sur les rétrotransposons. Il a pu mettre en évidence des différences de polymorphisme de ces éléments sur trois clones de pinot noir. Mais il reste à valider la sélection de ces marqueurs, leur stabilité et leur répétabilité avant de pouvoir envisager une identification des clones.
Une technique qui permet d'identifier les cépages...
L'ANALYSE DES MICROSATELLITES sert à éviter les confusions entre les cépages. En Australie, certains producteurs cultivaient depuis quelques années un cépage qu'ils présentaient comme de l'albariño. Leurs vins commençaient à acquérir une très bonne réputation. Mais lors d'une mission, des chercheurs français se sont rendu compte que le cépage en question était en fait du savagnin blanc, une variété cultivée dans le Jura. © J.-M. BOURSIQUOT
Grâce à elle, les chercheurs ont détecté un faux albariño en Australie ou encore prouvé que le gouais était à l'origine de nombreux cépages cultivés actuellement. Bref, cette discipline révolutionne tout ce qui a trait à la connaissance du matériel végétal.
...et de retracer leurs origines