UN CEP DE PINOT NOIR greffé sur 161-49 C qui végète entre deux souches au développement normal. Photo prise à Sancerre où une centaine d'hectares sont touchés par ce mystérieux phénomène. © SICAVAC
Didier Viguier, de la chambre d'agriculture de l'Aude, a été l'un des premiers à soulever le problème. Depuis 2009, il constate des arrêts subits de croissance de pieds greffés sur 161-49 C, entre la troisième et la sixième feuille. « Dès le printemps, la croissance de ces ceps s'arrête, rapporte-t-il. Les souches végètent. La récolte est quasi nulle. Après cela, les pieds ne redémarrent pas. Il ne reste plus qu'à arracher la vigne. Lorsqu'on réalise une coupe du porte-greffe, on s'aperçoit que les vaisseaux sont bouchés. » Ce phénomène touche environ 40 hectares dans l'Aude, et plusieurs autres dans le Gard et dans l'Hérault.
Un mal qui frappe tous azimuts
Les vignes sont touchées sans distinction de cépage et de type de sol, et indépendamment du clone ou du fournisseur des plants. Les deux principaux clones de 161-49 C utilisés en France, le 176 et le 198, sont touchés à hauteur du pourcentage planté. La racine du problème ne se trouve donc pas dans les vignes mères. De même, le matériel végétal des parcelles atteintes provient de pépiniéristes différents. Cette origine est donc à écarter.
« Les premiers cas sont apparus sur cabernet-sauvignon et merlot. Mais depuis cette année, nous en avons également sur syrah, chenin, grenache ou caladoc, s'inquiète Didier Viguier. Et nous rencontrons ce problème sur tous les types de sols. »
Ce que confirme François Dal, de la Sicavac (Sancerre, Cher) : « Ce dépérissement se produit sur des sols filtrants, asphyxiants, acides ou calcaires, sur des terrains neufs ou âgés. Sur certaines parcelles, cela fait des ronds qui s'étendent. Dans ces cas-là, la cause pourrait être des mouillères ou des zones argileuses, ou encore un phénomène parasitaire. Sur d'autres, il y a un pied touché par-ci, par-là. » Dans son département, une centaine d'hectares de sauvignon et de pinot noir sont touchés, avec des taux de pieds affaiblis variant entre 5 et 90 %. La situation est la même dans la plupart des départements ayant planté ce porte-greffe. Dans le Vaucluse, une dizaine d'hectares seraient concernés. En Saône-et-Loire, une quinzaine de parcelles « avec des problèmes avérés » ont été signalées à la chambre d'agriculture. En Côte-d'Or, les viticulteurs sont discrets sur le sujet. Néanmoins, la chambre d'agriculture recense une dizaine de cas. Dans le Bordelais, quatre hectares sont pour le moment concernés. Mais un recensement est en cours.
Quant aux pépiniéristes, ils rencontrent « des problèmes de reprise en pépinière depuis trois à quatre ans, indique Didier Jallet, président des pépiniéristes de la région du cognac. De plus, depuis trois ans, nous avons eu des gelées d'automne précoces et ce porte-greffe a très mal résisté. Heureusement, il ne représente que 8 % de nos assemblages. »
Pour l'instant, aucun remède
Les techniciens planchent pour trouver la cause du dépérissement. Mais ce n'est pas gagné. « Sur une partie des parcelles, nous avons des cas de folletage provoqués par une thyllose, expose François Dal. Mais cela ne concerne pas la majorité des surfaces. » Sur les autres, il semblerait que le dépérissement soit lié à un dysfonctionnement cambial du porte-greffe. Il se traduirait par des irrégularités dans le bois et l'écorce qui s'apparentent à des cannelures. L'écorce est alors épaisse et non adhérente. Mais aucune piste encore sur la cause de ces phénomènes.
Pour l'instant, la consigne est donc d'éviter de planter ce porte-greffe. « En décembre dernier, nous avons alerté le Comité technique permanent de la sélection (CTPS), informe Laurent Audeguin, de l'IFV. Nous invitons les pépiniéristes à chercher d'autres porte-greffes, lorsque c'est possible. Nous allons enquêter pour essayer de trouver les facteurs communs, même si pour le moment, cela va dans tous les sens. Et nous allons mener des expérimentations. Nous voulons notamment regarder si les autres clones de ce porte-greffe, non utilisés en France, produisent le même phénomène. De même, nous taillons court les pieds atteints pour leur redonner un peu de vigueur, mais cela semble illusoire… »