L'inertage, c'est-à-dire la protection du vin avec un gaz neutre, reste encore marginal sur le terrain. Pourtant, il limite les risques d'oxydation et de déviations organoleptiques et permet de réduire le sulfitage. Passage en revue des conseils prodigués par les spécialistes pour réussir cette opération. Tout d'abord, il est recommandé d'investir dans un bon oxymètre afin de vérifier si l'inertage est ou non suffisant. Ceux fonctionnant par luminescence et dotés d'une sonde plongeante sont conseillés. Les moins chers valent 1 500 euros environ. Avec ces appareils, on peut mesurer la teneur en oxygène dans l'air ou dissous dans le vin.
Ensuite, il faut bien choisir son gaz. L'utilisation de l'azote ou d'un mélange CO2 et azote est à privilégier, surtout pour les vins rouges. Les mélanges sont moins chers que le CO2 pur. Ce dernier peut être intéressant sur blancs et rosés auxquels on souhaite conserver du CO2 dissous. Le CO2 existe sous forme de neige carbonique et de gaz. La première est généralement employée pour inerter les raisins, les maies de pressoir ou encore les chapeaux de cuve avant le début de la fermentation. Mais au cours des étapes qui suivent, la forme gazeuse est souvent préférée.
POMPAGE : Evitez les turbulences
Avant un pompage, il est préconisé de remplir entièrement la cuve de destination de CO2 (ou d'azote) ou de constituer un matelas de quelques dizaines de centimètres de hauteur si la cuve est grande. Certaines caves le font en injectant du CO2 au refoulement de la pompe déjà reliée à la cuve de réception. Ainsi, au bout de plusieurs minutes, le tuyau est inerté, tout comme la cuve au fond de laquelle s'est installé un matelas de CO2.
« Il est aussi possible d'inerter les cuves avec des pellets (bâtonnets) ou des glaçons de CO2 », complète Jean-Claude Vidal, de l'Inra. Mais attention, l'utilisation d'un tromblon par le haut de la cuve n'est pas recommandée. « On a l'impression de mettre beaucoup de CO2, analyse Nicolas Constantin, d'Inter-Rhône. Or, l'efficacité est limitée. Le tromblon crée des turbulences et appauvrit l'air en oxygène au lieu de créer un matelas de CO2 » Après avoir inerté la cuve, il faut inerter les tuyaux. Alors seulement, le pompage peut débuter.
Pour minimiser la consommation de gaz, il convient d'utiliser les tuyaux les plus courts et avec le moins de raccords possible. Ces tuyaux doivent être placés de manière à éviter les coudes ou les points en hauteur. Les joints doivent être étanches et les raccords adaptés.
Lors d'un pompage, il ne suffit pas d'inerter : il faut aussi éviter de dissoudre de l'oxygène dans les vins. Le fait d'utiliser des tuyaux de la bonne longueur y contribue. De même, mieux vaut placer la pompe en poussée plutôt qu'en aspiration pour éviter l'effet Venturi. Il faut aussi remplir la cuve de réception par le bas ou, si c'est par le haut, avec le manche touchant le fond de la cuve au début du pompage. Ensuite, il est préférable de démarrer et finir le pompage à faible vitesse afin de limiter les turbulences qui dissolvent de l'oxygène dans le vin. Lors d'un pompage, le vin dissout de l'oxygène en quantité d'autant plus grande que les turbulences sont importantes. Selon Inter-Rhône, les quantités d'oxygène dissous vont de 0,1 à 1 mg/l en conditions normales. En cas de non-maîtrise, les concentrations sont nettement supérieures.
MISE EN BOUTEILLES : Trois points clés
Pour Jean-Claude Vidal, il y a trois points clés à respecter pour une mise. Tout d'abord, il faut s'assurer que le vin de la cuve de tirage a une teneur en oxygène inférieure à 0,5 mg/l. Ensuite, il faut employer une tireuse qui ôte l'air des bouteilles grâce à une pompe à vide et qui le remplace par une injection d'azote. Le remplissage peut alors avoir lieu. Dernière précaution : juste avant bouchage, la tireuse doit inerter l'espace de tête. « En l'absence d'inertage à ce stade là, on fait rentrer dans le goulot autant d'oxygène qu'il y a d'oxygène dissous dans le vin », insiste Jean-Claude Vidal. Il est donc primordial d'en faire entrer le moins possible. « Nous avons fait des mesures sur des vins avec 0,6 et 1,5 mg/l d'oxygène, poursuit le chercheur. Un mois après la mise, il y avait 44 % de SO2 en moins dans le second vin. Ce qui veut dire que le vin est bien moins protégé. »
« Avec la phase préfermentaire, la préparation à la mise est la phase la plus critique, prévient Nicolas Constantin. Il faut raisonner non pas étape par étape, mais de manière globale. Par exemple, la filtration tangentielle avant la mise est une étape qualitative. Mais sur de petits lots, on va dissoudre de l'oxygène. De ce fait, on perd tout l'intérêt de la filtration tangentielle. Dans ce cas, il vaudra mieux opter pour une filtration sur plaque. »
TRANSPORT : Pas de poche en vidange
Lors du chargement d'un vin en vrac, les mêmes précautions que lors du pompage s'appliquent. Il est en outre préconisé de transvaser les vins entre 13 et 20°C. Comme pour les cuves, il est préférable de remplir les poches du camion par le bas. Et ne pas transporter le vin dans des poches en vidange. Sinon, il faut les inerter, de préférence à l'azote. Enfin, à l'arrivée, il faut fermer les vannes des poches dès qu'elles sont vidées pour éviter tout siphonnage.
Albert Blanc (en photo), directeur, et Olivier Lambert, oenologue, des Vignerons réunis de Cabrières-d'Aigues (Vaucluse) « Nous inertons pour obtenir des vins qui collent à la demande »
« Nous avons investi dans l'inertage afin de mieux coller à la demande. Nous avons commencé par acheter deux pressoirs pneumatiques inertés Pera pour les vendanges 2009. En 2010, nous avons poussé le système pour protéger la vendange dès l'entrée en cave, ainsi que les moûts et les vins. Nous inertons tous les raisins. Pour cela, nous injectons de l'azote à 4 bars par un piquage sur la canalisation placé à la sortie du conquet de réception. Cette injection se met en route et s'arrête en même temps que la pompe à vendange. C'est là que nous consommons le plus d'azote. Nous pressons ensuite les blancs et les rosés sous azote, mais seulement les jus de goutte, obtenus jusqu'à 0,8 bar de pression. Avant d'envoyer ces moûts en débourbage ou en fermentation, nous inertons la cuve de réception par une injection de CO2 au tromblon. Nous visons la formation d'un nuage de CO2 de 30 à 40 cm de hauteur au fond de la cuve. Les vendanges pour les rouges sont elles aussi désoxygénées par injection d'azote. On peut ensuite faire des macérations préfermentaires à froid sans risque. Concernant les vins, nous inertons la cuve de réception avec du gaz carbonique avant chaque transfert. Dès que le transfert démarre, de l'azote pénètre dans la cuve de tirage par le haut, venant combler le vide. Il n'y a aucune entrée d'air. Pour obtenir cela, nous avons relié toutes nos cuves à notre générateur d'azote via des tuyaux fixes par lesquels l'azote arrive sous 0,3 bar de pression. Nous avons équipé les cuves de cheminées et de joints étanches. Le générateur d'azote, les lignes d'inertage et le changement des chapeaux nous ont coûté environ 130 000 euros. Mais nous avons obtenu 30 % d'aides. Et les résultats sont très concluants. Nous conservons le support aromatique des blancs et des rosés. Les rosés gardent une couleur rose plus nette et plus vive. Les blancs restent sur des teintes très vertes. »
Pressurage : pas d'excès
Selon la faculté d'œnologie de Bordeaux, il y a un intérêt à inerter un pressoir pour recueillir les jus de goutte, mais pas pour les fi ns de presse. En effet, les fi ns de presse extraites à l'abri de l'oxygène contiennent plus de fl avanols que les mêmes jus extraits au contact de l'air. Or, ces fl avanols peuvent former des pièges à thiols dans les vins en bouteilles et ainsi détruire les arômes. « Avant de décider d'un inertage au pressurage, il faut déterminer si le moût en a besoin ou non, confi rme Patrick Ducournau, de Vivelys. Cela revient à connaître la quantité de polyphénols qu'il contient. S'il y en a beaucoup, il n'y a pas besoin d'inerter. Ce sont des composés oxydables qui ont besoin de consommer de l'oxygène. Si on les surprotège, ils se dégraderont ultérieurement au moindre contact avec l'oxygène. En revanche, s'il n'y en a pas, il faut prévoir une protection. »