La marge de progression est importante pour la maîtrise des teneurs en CO2 dissous dans les vins. Voici quelques points d'éclairage sur ce gaz, dont on sous-estime souvent le rôle.
Quelle quantité de CO2 apportent les fermentations ?
La fermentation alcoolique produit près de 50 l de CO2 pour un vin titrant 10 % vol, à 20°C. Il se forme beaucoup moins de CO2 lors de la fermentation malolactique, c'est-à-dire 0,64 l par gramme d'acide malique dégradé. Après les fermentations, les vins tranquilles sont saturés en CO2, ils en contiennent autour de 1-1,2 g/l.
Quelles teneurs trouve-on dans les vins en bouteille ?
Les vins tranquilles ont des concentrations différentes en CO2 selon leur couleur. Les blancs et les rosés en bouteille contiennent de 600 à 1 100 mg/l. « La plupart se situent autour de 1 000 mg/l », précise Xavier Vignon, œnologue-conseil. Dans les rouges, elles vont de très peu à 600 mg/l, entre 400 et 600 mg/l en général.
Quel impact le CO2 a-t-il sur la dégustation ?
Il joue un rôle prépondérant dans l'équilibre du vin. Dès que l'on atteint 500 mg/l de CO2 dissous dans le vin à 20°C, la majorité des gens perçoivent un petit picotement en bouche. Au-dessus de 1 000 mg/l, on peut sentir que le vin est « perlant ». « Lorsque cette sensation est voulue par le vinificateur, il ne doit pas hésiter à communiquer là-dessus, pour ne pas laisser penser au consommateur qu'il s'agit d'un défaut », note Christophe Coupez, le directeur du centre œnologique de Pauillac.
La température peut modifier la perception du CO2. Xavier Vignon explique que plus le vin est froid, moins on sent le CO2.
« C'est un acide, alors il augmente la sensation de fraîcheur et de mordant du vin », souligne Olivier Zebic, consultant. Cet aspect est intéressant pour les blancs et rosés manquant un peu de vivacité. Néanmoins, en excès, il atténue la sucrosité des vins à sucres résiduels.
Selon Christophe Coupez, le CO2 peut aussi augmenter l'intensité aromatique du vin. « Attention, si le vin est acide et/ou s'il contient beaucoup de tanins, le CO2 accentue l'astringence et l'amertume », préviennent les œnologues. Il est donc préférable de ne pas dépasser 600 mg/l de CO2 dissous dans les rouges et d'adapter la teneur à leur structure tannique et à leur acidité. « Chaque vin a une teneur en CO2 optimale pour être équilibré », résume Xavier Vignon.
Comment mesure-t-on sa teneur dans le vin ?
Au chai, on utilise en général un carbo-doseur. On introduit du vin dans cette éprouvette, on mesure la température, puis on chasse le CO2 par agitation. Le volume de vin éjecté en même temps que le gaz est lié à la teneur en CO2 dissous. On la calcule à l'aide d'une table. « La valeur obtenue n'est pas forcément très précise, mais les écarts avec les mesures au laboratoire par IRTF sont constants », remarque Christophe Coupez. Un autre appareil, le Van Slyke, peut servir en cave ou en laboratoire. Il permet un dosage simple du CO2 par dépression au mercure.
Le CO2 protège-t-il le vin de l'oxydation ?
Les œnologues sont partagés sur la question. Pour Christophe Coupez et Xavier Vignon, le CO2 a un effet protecteur, car la place qu'il occupe dans le vin n'est pas disponible pour l'oxygène. Plus le vin en contient, moins il est sensible à l'oxydation. Olivier Zebic, quant à lui, estime que le CO2 dissous n'a pas d'impact sur la teneur en oxygène dans les vins en bouteille. « Qu'il y ait du CO2 ou pas, l'oxygène diffusera toujours dans la bouteille, à cause du gradient de concentration entre l'air et le vin », ajoute Bertrand Robillard, de l'Institut œnologique de Champagne. C'est seulement s'il se trouve en ciel gazeux au-dessus du vin en cuve que le CO2 peut avoir un effet antioxydant. De même, s'il sert à inerter l'espace de tête lors d'une mise en bouteille.
Participe-t-il à la stabilité microbienne ?
Non, dans les vins tranquilles en bouteille, il n'a pas d'action sur les microorganismes. Néanmoins, sur des vins après fermentation, une teneur élevée en CO2 limite la sédimentation des lies. « Les vins peuvent alors être plus chargés en micro- organismes et plus difficiles à filtrer », constate Xavier Vignon. A haute dose, le CO2 peut inhiber les levures et gêner la prise de mousse des vins de base.
Quand faut-il ajuster la teneur en CO2 ?
Il est recommandé d'ajuster la teneur en CO2 surtout avant la mise en bouteille. Après les fermentations, la teneur en CO2 des vins tranquilles chute avec les soutirages, les filtrations et autres travaux du vin. Selon la valeur mesurée, on peut en rajouter par carbonication ou en enlever par décarbonication à l'azote.
Les conseillers indiquent qu'un ajustement et une mise doivent être réalisés seulement si le vin est entre 15 et 20°C. Sinon, les transferts de gaz sont très difficiles. « L'idéal est de pratiquer des essais préalables, avec une gamme de teneurs en CO2 allant de 50 en 50 mg/l et de déguster pour s'assurer que l'on ajoute ou que l'on retire la bonne dose », suggère Xavier Vignon.
De son côté, Olivier Zebic insiste : « Il ne faut pas oublier de tenir compte de la température avant d'ajuster le CO2, sinon on peut avoir des surprises. » C'est par exemple le cas des vins en bibs qui se dilatent parfois à la suite de variations de température : le CO2 dissous dans le vin au conditionnement à basse température passe à l'état gazeux quand celle-ci augmente. Une bulle se crée dans la poche du bib et fait gonfler le carton.
Comment retirer une quantité précise de CO2 du vin ?
La décarbonication d'un vin peut s'effectuer en y injectant de l'azote. Elle est plus efficace lors d'un transfert que directement en cuve. A partir d'observations pratiques, le consultant Olivier Zebic a établi une formule qui permet de régler son débitmètre d'azote selon la quantité de CO2 à retirer : débit d'azote/débit de vin = (mg/l de CO2 à retirer/10) + 10. Par exemple, s'il faut enlever 300 mg/l de CO2 pour un débit de pompe à 100 hl de vin/h, il faudra un débit d'azote de 40 hl/h, soit 67 litres/min (1 hl/h d'azote = 1,67 l/min). Cela si le vin est autour de 15°C. Il est d'ailleurs déconseillé de décarboniquer un vin en dessous de 12°C. Notez que quand on décarbonique, on désoxygène d'abord le vin, l'O2 étant bien moins soluble que le CO2.
Que se passe-t-il quand on débouche un champagne ?
Dans le champagne et les vins effervescents issus de méthode traditionnelle, la seconde fermentation génère une grande quantité de CO2. « Avec un tirage effectué à 24 g de sucres par litre, on obtient 11,5 g/l de CO2. Après les pertes au dégorgement, une bouteille de champagne à la consommation en contient encore 9,5-10 g/l », précise Bertrand Robillard. Soit environ 5 litres pour 75 cl. La bouteille est donc sous pression, usuellement à 5-6 bars. La réglementation impose une pression supérieure à 3,5 bars. Quand on débouche un champagne, la pression chute vite au niveau de la pression atmosphérique. Le CO2 dissous s'échappe dans l'air. Après versement du vin dans une flûte, 70 à 80 % du CO2 se dégaze à travers la surface air-liquide, d'une manière invisible à l'œil nu. Le reste du CO2 s'échappe grâce aux bulles générées au niveau des aspérités du verre.