Pour sa journée Techniloire annuelle organisée le 7 juillet, à Montreuil-Bellay (Maineet-Loire), InterLoire a choisi un thème d'actualité : la réduction des doses de SO2 dans les vins. « Nous voulons anticiper la demande sociétale et l'évolution de la législation, de plus en plus restrictive sur le SO2 », a déclaré Jean-Michel Morille, président de la commission technique d'InterLoire, en guise d'introduction. Les présentations de la matinée ont donné quelques clés aux vignerons pour optimiser l'usage des sulfites.
Calculer la quantité de SO2 actif
« Le SO2 est indispensable », a débuté Philippe Gabillot, conseiller à la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire. Or, la tendance en faveur des vins bios et de la biodynamie ainsi que la pression des médias poussent les producteurs à limiter son emploi. « Mais attention, la prise de risque doit être réfléchie », prévient le conseiller, enchaînant sur les points à maîtriser.
D'abord, il explique que le SO2 actif est une valeur plus utile que le SO2 libre, dont il représente 1 à 10 %. Cette part est efficace contre les micro-organismes. A noter que plus la température est haute ou plus le pH est bas et plus le SO2 est actif. Philippe Gabillot conseille donc d'associer la mesure du SO2 libre à celle du pH et de calculer la part active (notamment avec le formulaire de calcul en ligne de l'IFV). « Pour que le vin soit stable au niveau microbiologique, il faut viser entre 0,35 et 0,6 mg/l de SO2 actif », précise-t-il.
Ce calcul aide à ne pas surprotéger les vins qui ont un pH assez bas. « On peut profiter du pH bas d'un vin pour mettre moins de SO2. Et mieux vaut essayer d'enrober un tel vin plutôt que de le désacidifier », suggère Philippe Gabillot. Le calcul sert aussi à ne pas sous-protéger un vin au pH élevé. Néanmoins, si le pH est vraiment haut, le conseiller estime qu'il est préférable stabiliser le vin par des techniques physiques, comme la filtration, que d'augmenter la dose de SO2. Philippe Gabillot a aussi insisté sur l'importance du levurage en cas de vendange peu ou pas sulfitée, car les levures Saccharomyces doivent coloniser le milieu rapidement. Et sur la nécessité de suivre les populations microbiennes du moût ou du vin.
Autre mesure incontournable : l'oxygène dissous (O2). Philippe Gabillot a rappelé que dans le vin, 1 mg/l d'O2 dissous consomme environ 4 mg/l de SO2 libre. « Si l'on recherche des vins au profil thiolé, on ajoutera plus de SO2 s'il y a beaucoup d'O2 dissous, car ce dernier dégrade les thiols », illustre-t-il. En revanche, les vins de cépages « neutres » ou « terpéniques » n'ont besoin que d'une protection partielle vis-à-vis de l'oxydation, donc d'un peu moins de SO2. Au moment de la mise en bouteille, si le vin contient beaucoup d'O2 dissous, mieux vaut le désoxygéner que le sulfiter davantage.
Pour finir, Philippe Gabillot a noté que plus on sulfite un vin, plus il renferme d'H2S et de méthionol. Donc plus la réduction est marquée. Il conseille d'éviter de sulfiter un moût réduit ou une fermentation tumultueuse et d'apporter de l'azote assimilable avec une dose spécifique à chaque cuve, selon ses besoins.
Bien choisir son bouchon
Le professeur Pierre-Louis Teissedre, venu pour l'occasion de la faculté d'œnologie de Bordeaux, a poursuivi avec des résultats récents sur le bouchage. La thèse d'une de ses étudiantes, Maria Silva, met en évidence que des vins de sauvignon blanc ou de riesling perdent environ la moitié du SO2 libre ajouté à la mise après dix-huit mois de conservation. Maria Silva s'est également intéressée aux vins rouges. Dans les cabernet-sauvignon ou merlots étudiés, la perte en SO2 libre n'est que de 25 % environ. Le vin de syrah a subi une perte plus rapide et plus importante de SO2 libre que les autres vins rouges. Pour Pierre-Louis Teissedre, cela peut s'expliquer par son pH plus élevé.
A partir de ses travaux, Maria Silva a pu établir une échelle de l'oxygène diffusé dans le vin lors du vieillissement à travers différents bouchons. Le bouchon en liège aggloméré testé dans son étude laisse passer moins d'oxygène que le liège naturel ou que le bouchon synthétique ; la capsule à vis étant celle qui en laisse diffuser le moins. « Le choix du bouchon peut participer à diminuer les doses de SO2 ajouté à la mise. Mais il faut aussi tenir compte de la quantité d'oxygène apportée et du temps de conservation souhaité », a conclu Pierre-Louis Teissedre. Pascal Poupault, de l'IFV Val de Loire, s'est quant à lui focalisé sur les vins à sucres résiduels. Son premier conseil : « Bien évaluer l'état sanitaire de la vendange. La présence de pourriture grise peut faire varier du simple au double la combinaison du SO2. » Un tri très sélectif permet donc de réduire le sulfitage. Comme il permet d'éviter la trituration des raisins, qui ouvre des portes d'accès aux micro-organismes.
Optimiser le mutage
Il a aussi indiqué qu'avant fermentation alcoolique (FA), un sulfitage léger suffit à protéger les moûts surmûris de l'oxydation. En effet, ils sont presque dépourvus de composés phénoliques oxydables.
Dernière étape qui requiert beaucoup de SO2 : le mutage. Ralentir au préalable la FA, en refroidissant la cuve autour de 10°C, le rend plus efficace. La quantité de SO2 à ajouter pour arrêter la FA en sera plus faible. Enfin, Pascal Poupault conseille de pratiquer un test de combinaison du SO2, seul moyen de cibler la dose exacte nécessaire au mutage.
Deux vignerons qui limitent l'usage des sulfites témoignent
David Remonteu est intervenu en vidéoconférence depuis la Nouvelle-Zélande où il est consultant en œnologie et vinificateur. Il vinifie une part de ses raisins avec peu de SO2, voire sans. Mais, dans ces vins, il cherche des caractères réducteurs. Il protège les blancs de l'oxydation, avec l'hyperoxygénation : il apporte une forte dose d'O2 aux moûts avant fermentation, ce qui les débarrasse des polyphénols réactifs. Il sépare les jus de goutte des presses, qu'il colle. Il privilégie par ailleurs l'élevage sur lies, en fût. « Je déguste constamment les vins, surtout les cuvées “sans soufre“ », ajoute-t-il. Il suit aussi les populations microbiennes. Dès qu'il observe des Brett sur ses rouges, il les soutire et élimine les lies. Enfin, il veille à maintenir des températures basses et est attentif à l'hygiène et au pH. Si le pH d'un lot est trop élevé, il le travaille à part, avec un peu plus de SO2.
Charles Pain (à droite), viticulteur à Chinon, en Indre-et-Loire, a expliqué comment il réduit les doses de SO2 dans ses rosés et ses cabernets. Il met d'abord l'accent sur le travail à la vigne, où il recherche une maturité optimale. A la cave, il inerte à l'azote et pratique un ouillage très rigoureux. Il n'utilise plus de pompe à la vendange, transférant tout par tapis. Enfin, il a recours à la filtration tangentielle pour stabiliser ses vins. « Mes rouges ne dépassent pas 40 mg/l de SO2 total. »
Des réponses aux questions de la salle
Après leur présentation, les intervenants ont répondu aux questions des auditeurs.
Le soufre utilisé à la vigne a-t-il un effet antimicrobien dans les moûts et les vins ?
« Je ne pense pas, a répondu Philippe Gabillot. Cela n'a pas été prouvé jusqu'à présent. »
Quel est l'impact aromatique du SO2 sur les cabernets ? « J'ai l'impression qu'un excès de SO2 accentue le côté végétal, la perception des pyrazines et le caractère réducteur », estime le conseiller.
Doit-on fractionner l'apport de SO2 après la malo ? Pierre-Louis Teissedre est partisan d'un sulfitage direct, en une seule fois, après soutirage. « Ce qui évite que d'autres fermentations bactériennes s'enclenchent. » Au contraire, Philippe Gabillot conseille de retarder l'apport de SO2 et de le faire en plusieurs fois, en sortie de malo. « Si le pH est de 3,4 à 3,5, que la température est basse et qu'il n'y a pas de risques microbiens. »
Quand faire un test de combinaison du SO2 ? « Le plus près possible du mutage, pour limiter la dose de SO2, préconise Pascal Poupault. Certains tests donnent un résultat en cinq heures. »