C'EST SUR LE GOLAN, en Haute-Galilée, à la frontière du Liban, que se concentre la majorité des 4 500 ha de vignes © S. ATTAL/FLASH
DEPUIS LE DÉBUT DES ANNÉES QUATRE-VINGT-DIX, la prolifération des caves « boutique » se poursuit. Quelques-unes sont devenues d'authentiques domaines, d'autres produisent des vins en quantités confidentielles.
LES VINS CACHÈRE représentent près de 100 % de la production. Ces vins sont supervisés par des religieux (ici chez Golan Heights Winery), mais leur élaboration ne diffère en rien de celle des autres vins.
ADAM BOAZ MISRAHI, œnologue chez Galil Mountain Winery, est parti se former à l'université de Californie, à Davis (Etats-Unis). Il travaille pour le développement des vinifications parcellaires à partir des meilleurs terroirs du domaine. PHOTOS R. ABELE/VERTU
LES GRANDS DOMAINES, comme Golan Heights Winery, un des leaders, investissent dans des installations ultramodernes. © GOLAN HEIGHTS WINERY
« Noé commença à cultiver la terre et plant a la vigne », raconte la Genèse (9, 20). C'est dire si elle est de culture ancienne en Israël ! Longtemps, l'ancien pays de Canaan fut un important producteur de vins, comme en attestent des amphores et des presses découvertes en Galilée et dans le Néguev. Mais pendant l'occupation ottomane (1517-1918), le vignoble fut détruit. Les 300 cépages indigènes et tout un savoir-faire disparurent.
Une renaissance en deux étapes
Il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour que la viticulture israélienne renaisse, grâce au baron Edmond de Rothschild (Château Lafite) qui crée les caves de Rishon Le Zion et de Zichron Jaakov. Celles-ci produisent, sous le nom de Carmel, un vin rouge sirupeux plus apprécié pour son respect de la cacherout (règles alimentaires), que pour sa qualité.
La véritable révolution ne débute qu'au cours des années quatre-vingt. Les Israéliens commencent à voyager à l'étranger où ils découvrent le vin plaisir. Puis ils se mettent à exploiter le Golan (sous leur contrôle depuis 1967) où ils produisent aujourd'hui les meilleurs vins du pays.
S'approvisionnant en raisins auprès de kibboutzim et de moshavim (fermes et villages coopératifs), de grandes sociétés voient le jour : Golan Heights Winery, Barkan Segal et Binyamina. Elles représentent 85 % de la production nationale. Les investissements se multiplient : matériel de vinification ultramoderne, systèmes d'irrigation informatisés, œnologues se formant dans les meilleures écoles de Californie ou d'Australie… C'est sur le Golan, en Haute-Galilée, à la frontière du Liban, que se concentre la majorité des 4 500 ha de vignes, devant la Samarie, région viticole traditionnelle. Là, la vigne bénéficie de conditions particulièrement avantageuses pour la maturation des baies : sols volcaniques, mais aussi climat chaud le jour et frais la nuit, du fait de l'altitude culminant jusqu'à 1 200 m. Les cépages internationaux sont cultivés avec succès. En rouge, le cabernet-sauvignon est très majoritaire. En blanc, chardonnay et sauvignon devancent le riesling emerald, le viognier, le muscat d'Alexandrie et le gewurztraminer. Un cépage autochtone, l'argaman, croisement, dit-on, du carignan et du cépage portugais sousao, est également exploité par quelques vignerons avec des résultats plus ou moins heureux.
« On est en permanence dans l'expérimentation »
Ces cépages sont vinifiés seuls ou en assemblage. Pour donner des vins rouges (83 % de la production), des blancs, des rosés, des effervescents et des mutés. Au total, Israël produit 63 millions de cols, essentiellement consommés sur place. Des vins dans le plus pur style Nouveau monde : forte extraction, fort degré et nettement boisés.
« On est en permanence en pleine expérimentation », indique Yael Gai, directrice marketing de Golan Heights Winery, l'un des leaders du marché, qui produit dix vins différents, dont un vin de glace. Cependant, la liberté n'est pas totale : le vignoble suit la réglementation européenne. Ainsi, un vin de cépage doit contenir au moins 85 % du cépage annoncé. Mais les Israéliens ont eu la sagesse de ne pas ajouter leurs propres règles à celle en vigueur en Europe. Sur le plan œnologique du moins…
Car plus de 95 % de ces vins sont cachère, c'est-à-dire produits par des juifs pratiquants et contrôlés, de la vendange à la mise en bouteille, par des religieux. Ces derniers aseptisent le matériel et les installations vinaires à l'aide de vapeur d'eau bouillante. Ils n'emploient que des produits œnologiques naturels. Terre sacrée oblige, ces règles sont beaucoup plus rigoureusement appliquées qu'en diaspora. Mais en dehors de ces prescriptions, la vinification cachère ne diffère en rien de la vinification classique.
Quelques vignerons, peu nombreux, tentent de s'en affranchir. Uri Hetz (Château Golan) est de ceux-là : « Je veux pouvoir faire le vin moi-même. Mais il n'est pas facile de se situer en dehors des sentiers battus. Les supermarchés et les hôtels se fournissant uniquement en vins cachère. » La solution pour ses vins : les restaurants branchés et gastronomiques.
Tout le monde tente sa chance
Plantation de vignobles, construction de caves, lancement de nouveaux vins : la viticulture est en pleine effervescence. Il faut dire que la population craque pour le vin dont la consommation est passée de 3,4 à 7 litres par personne et par an en dix ans. Alors, tout le monde tente sa chance.
Depuis quelques années, on voit se développer les caves « boutiques » de petits domaines privés. On en compte 200, qui imposent leur style de vin avec des succès divers. Ramat Narftaly (Haute-Galilée) s'est lancé il y a dix ans et produit des bouteilles qui figurent en bonne place dans le Rogov, le guide des meilleurs vins israéliens. Mais surtout, le vignoble est entré dans une phase de maturation. La qualité et les cépages se stabilisent. Les vins sont plus aptes au vieillissement. Les terroirs sont mieux connus.
Des sélections parcellaires apparaissent. Chez Galil Moutains Winery, Adam Boaz Misrahi, l'œnologue maison, explique : « En fonction des années, on produit deux vins parcellaires : Meron et Yiron. »
Une politique que l'on retrouve chez Adir Winery avec la cuvée Plato et chez Golan Heights Winery avec les Yarden.
Oded Erlichman, de l'Institut israélien du vin, est optimiste au sujet de l'avenir de l'industrie viticole de son pays : « Grâce à son climat, son terroir et son savoir- faire, Israël produit de bons vins. Des vins de style méditerranéen qui se marient avec notre cuisine. » Avec en arrière-plan la volonté affirmée de devenir un acteur majeur de la viticulture méditerranéenne.