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VIN - POUR APPROFONDIR

La sucrosité des vins

Marine Balue - La vigne - n°235 - octobre 2011 - page 54

Qu'est-ce que c'est ?

Le terme de sucrosité est un néologisme que les dégustateurs utilisent de plus en plus souvent pour décrire les vins. « C'est l'aptitude d'un vin à procurer une saveur sucrée », définit Axel Marchal, docteur en œnologie qui travaille sur la sucrosité des vins secs. Pour lui, cette sensation est très subtile et participe à l'équilibre du vin.

« Nous avons travaillé pendant cinq à six ans pour essayer de la définir, sans réel succès, expose Daniel Granès, directeur scientifique de l'ICV et œnologue consultant. Il y a bien cette idée de saveur sucrée, mais beaucoup de dégustateurs confondent sucrosité et volume en bouche. »

Pour Virginie Moine, directrice scientifique chez La_fort œnologie, le volume se rapporte plutôt à la structure du vin, alors que la sucrosité, qui se perçoit en attaque de bouche, vient contrebalancer l'acidité et l'amertume.

Quel rôle jouent les sucres ?

Parmi les sucres présents dans le vin, le glucose et le fructose sont les plus abondants. Ils ont un fort pouvoir sucrant, surtout le fructose. Ils sont responsables de la saveur sucrée des vins doux. Ces vins contiennent souvent deux à quatre fois plus de fructose que de glucose. Et à quantité de sucres résiduels équivalente, c'est le rapport glucose/fructose qui détermine l'intensité de leur goût sucré d'après le « Traité d'œnologie ».

Dans les vins secs, la sucrosité ne peut pas être due aux sucres. En effet, ils se trouvent dans des teneurs inférieures à 2 g/l, c'est-à-dire nettement en dessous de leur seuil de perception.

Comment la mesure-t-on ?

« Il n'existe pas de technique analytique pour quantifier la sucrosité », rappelle Axel Marchal. En revanche, on peut noter son intensité à la dégustation en bouche. Cette notion est donc subjective. Daniel Granès explique que l'ICV n'a pas encore trouvé de standard pour s'entraîner à l'évaluer.

Quelles pratiques contribuent à la sucrosité ?

Les œnologues considèrent qu'un bon niveau de sucrosité passe d'abord par des raisins de bonne qualité. « Bien mûrs et équilibrés, souligne Daniel Granès. D'où l'intérêt de la sélection parcellaire et de bien fixer la date de récolte. »

Pour conserver la sucrosité de ces raisins, il estime qu'il faut une fermentation bien conduite, des températures maîtrisées et une bonne protection vis-à-vis de l'oxygène jusqu'au conditionnement.

Un élevage long sur lies y contribue également. « Un bâtonnage sans apport d'oxygène est idéal, ce qui est possible avec certains systèmes de pales en cuve ou des fûts sur roulettes », suggère Daniel Granès. L'élevage en barrique de vins assez concentrés est aussi positif. Bien sûr, il doit être réservé aux vins bien valorisés.

« Pour des blancs et rosés de moins bon niveau, le travail des lies fonctionne bien, ajoute Daniel Granès. Mieux vaut des lies fines que totales. » Il indique aussi qu'ajouter des levures inactivées en début de fermentation augmente la sucrosité et le volume en bouche.

La micro-oxygénation est aussi intéressante. Attention, la dose d'oxygène et le temps d'apport doivent être pilotés en fonction du niveau de maturité et de concentration des raisins.

Enfin, de nombreux vinificateurs soulignent que la thermovinification entraîne un gain de sucrosité pour des raisins de bonne qualité.

Qu'apportent les copeaux ?

D'après les essais que mènent les fournisseurs, ces produits peuvent apporter de la sucrosité lorsqu'ils sont ajoutés en fermentation. Dans une enquête menée dans le Bordelais après les vinifications 2009, beaucoup des vignerons interrogés l'ont remarqué.

Là encore, la dose apportée, la taille des morceaux de bois et le choix entre bois frais ou toasté dépendent de la qualité des raisins.

Glycérol et éthanol sont-ils impliqués ?

Depuis longtemps, la sucrosité est réputée liée au glycérol et à l'éthanol. Des travaux récents contredisent cette hypothèse. En 2008, des chercheurs australiens ont fait déguster à des experts des échantillons de vins de riesling additionnés de quantités variables de glycérol et d'éthanol. Les dégustateurs n'ont pas perçu de différences significatives de sucrosité entre les vins.

Dans sa thèse publiée fin 2010, Axel Marchal a réalisé le même type d'expérience sur un vin rouge de Bordeaux. Son constat a été similaire.

Certes, l'éthanol peut avoir un effet positif sur la saveur sucrée. Mais lorsque sa teneur augmente, il accentue l'amertume et a une saveur brûlante. « Les variations de concentrations en éthanol et glycérol entre les vins sont faibles, alors que les écarts de sucrosité sont très importants, souligne Axel Marchal. Ils ne peuvent donc pas être des marqueurs principaux de la sucrosité. »

Connaît-on les molécules responsables ?

Oui, des chercheurs bordelais en ont récemment mis quelques-unes en évidence. L'équipe de Virginie Moine a identifié des peptides qui interviennent dans le goût du vin. Ce sont des molécules d'origine levurienne, composées d'un petit nombre d'acides aminés. « La majorité de ces peptides est issue de la protéine Hsp12, une protéine de choc thermique, libérée pendant l'autolyse des levures », décrit la chercheuse. Cette observation permet d'expliquer l'augmentation de la sucrosité pendant la macération post-fermentaire des vins rouges, ou encore lors de l'élevage sur lies des vins blancs. Axel Marchal a confirmé que cette protéine de levure augmente bien la sucrosité des vins. Le jeune chercheur a aussi observé que la sucrosité des vins rouges ou blancs élevés en barrique était jugée plus intense que celle des vins élevés en cuve inox. « Cette sensation est d'autant plus marquée que la barrique est récente », précise-t-il. Grâce à une technique d'analyse innovante, la « gustatométrie », il a identifié deux nouvelles molécules non volatiles, transmises par le bois de chêne au cours de l'élevage en barrique. Elles apportent de la sucrosité au vin. Il les a baptisées QTT_I et II, (quercotriterpénosides, querco signifiant qu'elles viennent du chêne). QTT I a une saveur douce, assez marquée dans les vins blancs, et son seuil de perception est de 600 μg/l environ.

Axel Marchal a dénombré plusieurs autres molécules appartenant à cette famille, mais n'a pas encore pu tester leur effet sur la sucrosité du vin. « Les quantités de QTT sont faibles, mais certaines ont peut-être une activité plus intense et il peut aussi exister entre ces molécules des synergies qui augmentent la saveur sucrée. »

La sucrosité a-t-elle d'autres origines ?

Probablement. Les recherches sur les marqueurs de la sucrosité ne font que débuter. « Beaucoup d'autres molécules non volatiles doivent intervenir, concède Axel Marchal. Nous n'avons pas pu identifier toutes celles qui sont cédées par le bois, ni toutes les déguster. »

Enfin, les chercheurs ajoutent que la sucrosité trouve forcément des origines dans le raisin. Mais les mécanismes et les molécules mis en jeu restent à déterminer.

Une sensation sucrée en bouche

DÉGUSTATION La sucrosité du vin est une notion subjective. On peut l'évaluer par la dégustation en bouche. © J. NICOLAS

DÉGUSTATION La sucrosité du vin est une notion subjective. On peut l'évaluer par la dégustation en bouche. © J. NICOLAS

MORCEAUX DE CHÊNE Plusieurs études mettent en évidence que l'usage de copeaux en fermentation entraîne un gain de sucrosité dans le vin. © P. ROY

MORCEAUX DE CHÊNE Plusieurs études mettent en évidence que l'usage de copeaux en fermentation entraîne un gain de sucrosité dans le vin. © P. ROY

PROTÉINE DE LEVURE Des chercheurs bordelais ont mis en évidence que la protéine Hsp12 contenue dans la paroi de certaines levures Saccharomyces, confère de la sucrosité au vin. Elle est libérée lors de l'autolyse des levures, en phase post-fermentaire. © BSIP

PROTÉINE DE LEVURE Des chercheurs bordelais ont mis en évidence que la protéine Hsp12 contenue dans la paroi de certaines levures Saccharomyces, confère de la sucrosité au vin. Elle est libérée lors de l'autolyse des levures, en phase post-fermentaire. © BSIP

MICRO-OXYGÉNATION Cette technique peut améliorer la sucrosité. Mais il faut raisonner la dose et le temps d'apport d'oxygène en fonction du niveau de maturité et de concentration des raisins © P. ROY

MICRO-OXYGÉNATION Cette technique peut améliorer la sucrosité. Mais il faut raisonner la dose et le temps d'apport d'oxygène en fonction du niveau de maturité et de concentration des raisins © P. ROY

L'ÉLEVAGE EN BARRIQUE apporte de la sucrosité, d'autant plus que le bois est neuf. Un jeune chercheur a identifié une famille de molécules cédées par le bois de chêne ayant une saveur sucrée. © C. WATIER

L'ÉLEVAGE EN BARRIQUE apporte de la sucrosité, d'autant plus que le bois est neuf. Un jeune chercheur a identifié une famille de molécules cédées par le bois de chêne ayant une saveur sucrée. © C. WATIER

Cette sensation qui participe à l'équilibre du vin est étudiée depuis peu. Dans les vins doux, elle est due à la présence de sucres. Mais dans les vins secs, d'autres molécules provenant du chêne ou des levures interviennent. Reste à découvrir celles provenant du raisin.

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