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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Les servitudes d'urbanisme sont constitutionnelles

Jacques Lachaud - La vigne - n°235 - octobre 2011 - page 75

Un producteur était confronté à une servitude d'urbanisme impactant son domaine. Il a cherché à faire valoir l'inconstitutionnalité d'une telle charge. Les juges lui ont donné tort…

Imaginez un vieux château, entouré de vignes, appartenant à un viticulteur. La commune sur laquelle est située la propriété décide de faire construire un golf attenant à l'une des parcelles de vignes. Il en découle une servitude d'urbanisme : une petite bande de terre située sur la parcelle de vigne, le long du terrain de golf, se retrouve ainsi inexploitable. Le viticulteur ne l'entend pas ainsi et porte l'affaire devant les tribunaux. Car cette servitude a les mêmes conséquences qu'une expropriation, si ce n'est qu'elle n'ouvre pas le droit à une indemnisation. En effet, l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme édicte la règle suivante : « N'ouvrent droit à aucune indemnité, les servitudes instituées par application du présent code. »

Juridiquement, les servitudes d'urbanisme sont constitutives de charges pesant de plein droit sur des terrains ou sur des bâtiments.

Ces charges ont pour effet de limiter ou d'interdire l'exercice des droits des propriétaires sur ces biens. C'est, par exemple, un plan local d'urbanisme qui réglemente la hauteur des bâtiments que l'on veut construire. C'est l'obligation faite à tout propriétaire de ne pas construire en bordure de route…

On comprend bien que ces servitudes d'urbanisme constituent une atteinte au droit de propriété, lequel est par ailleurs un droit considéré comme fondamental. La preuve, la Convention européenne des droits de l'homme le protège (article 1 du protocole additionnel n° 1).

Malgré cela, des servitudes peuvent s'appliquer au propriétaire pour la conservation d'un patrimoine culturel ou sportif, pour préserver l'accès à certaines ressources (carrières, mines) ou équipements (canalisations), pour la sécurité nationale ou pour des raisons de sécurité (l'interdiction de construire au bord des routes).

Le législateur français a franchi un cap dans la défense des droits du justiciable en 2010. En effet, depuis le 1er mars 2010, il est désormais possible pour un individu de soutenir, à l'occasion d'un procès administratif ou judiciaire, « qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ». En clair, cela signifie qu'une personne a le droit de contester un texte légalement établi en soulevant son inconstitutionnalité. C'est ce que l'on appelle une question prioritaire de constitutionnalité ou QPC.

« Une charge spéciale et exorbitante »

La procédure est la suivante : le demandeur, à l'occasion d'un pourvoi, peut soutenir devant la Cour de cassation ou le Conseil d'État l'inconstitutionnalité d'un texte qui lui porte préjudice. Si la QPC paraît sérieuse, le juge judiciaire ou administratif la transmet au Conseil constitutionnel. Si l'inconstitutionnalité est avérée, la décision qui reposait sur le texte incriminé est annulée. Dans notre affaire, le viticulteur a posé une question de constitutionnalité concernant l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme. Il a argumenté que cet article était contraire au droit de propriété énoncé dans la Déclaration des droits de l'homme et au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques. Malheureusement pour lui, le Conseil d'État n'a pas transmis sa QPC au Conseil constitutionnel parce que ce dernier avait déjà tranché la question rappelant que « l'article L. 160-5 […] ne pose pas un principe général de non-indemnisation […] mais l'assortit expressément de deux exceptions. » Ainsi, « une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain. »

Les juges ont ainsi considéré qu'il pourrait y avoir indemnisation « dans le cas exceptionnel » où la servitude en question ferait supporter au propriétaire « une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ». Les juges en concluent que l'article L. 160-5 n'est pas anticonstitutionnel. Et le viticulteur a dû se plier aux servitudes de son encombrant voisin.

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