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Magazine - Etranger

Colares : Un vin de sable rare et menacé

Marie-Line Darcy - La vigne - n°235 - octobre 2011 - page 88

Sur la côte Atlantique du Portugal, le vignoble de Colares est une rareté qui se mérite. Quelques passionnés tentent de sauver ses parcelles dispersées, plantées d'une manière unique au monde et menacées de disparition par des projets immobiliers.
VIGNE PALISSÉE à la Quinta Vinha de Areia. Cette propriété a renoncé à la culture traditionnelle au ras du sol pour pouvoir mécaniser les travaux, une nécessité pour perpétuer le vignoble dont la surface s'est réduite à peau de chagrin. PHOTOS P. AMORIM

VIGNE PALISSÉE à la Quinta Vinha de Areia. Cette propriété a renoncé à la culture traditionnelle au ras du sol pour pouvoir mécaniser les travaux, une nécessité pour perpétuer le vignoble dont la surface s'est réduite à peau de chagrin. PHOTOS P. AMORIM

FRANCISCO FIGUEIREDO, œnologue de la coopérative régionale de Colares, dans une vigne traditionnelle en araignée

FRANCISCO FIGUEIREDO, œnologue de la coopérative régionale de Colares, dans une vigne traditionnelle en araignée

FRANCISCO FIGUEIREDO, œnologue de la coopérative régionale de Colares, se prépare à déguster le moût d'une vendange qu'il vient d'encuver.

FRANCISCO FIGUEIREDO, œnologue de la coopérative régionale de Colares, se prépare à déguster le moût d'une vendange qu'il vient d'encuver.

JOSÉ BEATA, propriétaire de l'adega Viúva Gomes (la cave Veuve Gomes), est l'un des deux privés opérant sur l'AOC Colares. Il développe l'œnotourisme, faisant visiter ses bâtiments construits en 1808. Il achète de la vendange qu'il vinifie dans le respect de la tradition.

JOSÉ BEATA, propriétaire de l'adega Viúva Gomes (la cave Veuve Gomes), est l'un des deux privés opérant sur l'AOC Colares. Il développe l'œnotourisme, faisant visiter ses bâtiments construits en 1808. Il achète de la vendange qu'il vinifie dans le respect de la tradition.

ÉLEVAGE dans les chais de la coopérative de Colares.

ÉLEVAGE dans les chais de la coopérative de Colares.

ANTÓNIO PAULO DA SILVA, négociant et viticulteur, est la mémoire vive d'une histoire viticole unique.

ANTÓNIO PAULO DA SILVA, négociant et viticulteur, est la mémoire vive d'une histoire viticole unique.

CAVES DU VICONTE DE SALREU à Colares. Elles ont servi de hangar au tramway qui transportait le vin jusqu'à Lisbonne. Aujourd'hui, elles abritent un centre culturel qui propose régulièrement des expositions rappelant l'importance historique et culturelle du vignoble de la région. On peut également y déguster des vins.

CAVES DU VICONTE DE SALREU à Colares. Elles ont servi de hangar au tramway qui transportait le vin jusqu'à Lisbonne. Aujourd'hui, elles abritent un centre culturel qui propose régulièrement des expositions rappelant l'importance historique et culturelle du vignoble de la région. On peut également y déguster des vins.

Situé à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Lisbonne, Colares a longtemps été la plus grande région viticole du Portugal en raison de sa proximité avec la capitale. Aujourd'hui, il ne reste plus que 40 ha de vignes, dont quatorze classés dans l'aire de l'AOC Colares. Sur ces 14 ha, on ne produit plus que 200 hl de rouge qui représente 80 % de la production de l'appellation. Un rendement de 2 à 3 tonnes par hectare. Cette rareté fait son charme et sa fragilité.

Le vignoble est aussi un exemple de longévité sous sa forme originelle. C'est à la fin du XIIIe siècle que la production prend son essor, sous l'impulsion du roi Alphonse III. Il est possible que les premiers greffons soient venus de France. Le Colares a une autre particularité : ses vignes sont aujourd'hui parmi les rares franches de pied d'Europe. Il a résisté au phylloxéra, protégé par le sable dans lequel il pousse.

Traditionnellement, les ceps sont plantés selon une méthode laborieuse et unique au monde. Dans les terrains sablonneux, sur les plateaux qui dominent l'océan, on creuse des tranchées jusqu'à atteindre la couche argileuse, parfois jusqu'à 7 ou 8 mètres de profondeur. On y plante le jeune cep. Puis on rebouche la tranchée avec le sable, au fur et à mesure de la croissance du plant. Il faut un minimum de quatre ans pour la fermer. Ainsi, les plants sont alimentés en eau.

Les vignes poussent en araignée au niveau du sol

Les vignes ne sont pas palissées. Elles poussent en araignée au niveau du sol, si bien que certaines parcelles ne portent que deux à trois ceps qui, avec l'âge, ont peu à peu occupé toute la surface. Les grappes bénéficient ainsi de la chaleur du sol. Pour qu'elles ne brûlent pas sous les fortes chaleurs estivales, les viticulteurs relèvent les sarments de quelques centimètres sur Un vin de sable rare et menacé des piquets, entre six à huit semaines avant la vendange qui se déroule fin août.

Les parcelles sont protégées du vent par des canisses, qui complètent le caractère particulier de ce paysage viticole.

« Nous tentons de réhabiliter ces vignes qui font partie du patrimoine, explique Francisco Figueiredo, œnologue de l'Adega regional de Colares. Mais elles demandent des soins particuliers et difficiles. Et elles sont peu rentables. Certains agriculteurs n'ont que deux paniers à nous livrer ! Les terrains disparaissent sous la pression urbanistique. »

Cette coopérative a été créée en 1931 pour soutenir les efforts des producteurs. Elle réunit 90 % d'entre eux et représente 50 % de la production. Par ailleurs, deux caves privées achètent du raisin aux viticulteurs : l'adega (cave) Viúva Gomes, à Almoçageme, propriété de José Beata, et l'adega Beira-Mar, à Azenhas do Mar, qui appartient à António Paulo da Silva, lequel est également viticulteur. Ces caves vinifient, embouteillent et commercialisent leur production.

Véritable mémoire vive des vins de Colares, António Paulo da Silva défend avec acharnement la tradition. Il continue à écouler son stock d'étiquettes « art nouveau », dont certaines datent des années vingt et trente, car elles font le bonheur des collectionneurs. Quant à son concurrent et complice, José Baeta, il développe l'œnotourisme et les visites de sa cave, bijou d'un autre temps.

Tannique, titrant 11 à 12,5 degrés, le colares rouge est un vin de garde qui s'épanouit en quinze ou vingt ans. Il a une robe rubis pâle, des notes de fruits rouges (mûres), avec des nuances de résine.

Ce vin acide a besoin d'un long élevage pour gagner en rondeur : trois ans en barrique de bois du Brésil (acajou, cambala ou macauba), plus un an en chêne français. Les barriques ont toujours au moins deux ans, afin d'éviter la dominance du boisé, contraire à la tradition.

Une parcelle sauvée par une fondation culturelle

Quant au blanc, c'est un vin sec, très minéral, aux arômes citronnés avec une touche salée en fin de bouche dont on attribue l'origine au sol.

La ville de Sintra, toute proche, classée au patrimoine mondial de l'Unesco, est intervenue en 2000 auprès de la Fondation Oriente – puissante organisation aux intérêts culturels et financiers variés – pour qu'elle rachète une vieille vigne menacée par un projet immobilier. Quand il a fallu replanter cette parcelle, « notre principal problème a été de trouver des plants sains, expose César Gomes, maître de chais à la Quinta Vinha de Areia, appartenant à la Fondation Oriente. Tous étaient infectés par des virus. Aujourd'hui, notre expérience permet de garantir la fourniture de plants sains pour le remplacement des manquants ou la plantation de nouvelles vignes. Mais notre production a pris beaucoup de retard. »

Le domaine de la Fondation Oriente s'étend sur 9 ha de vignes, dont une partie est classée en AOC Colares. Des 4 ha de rouge ramisco, seuls 1,5 ha sont en production. « Nous avons décidé de palisser la vigne, rapporte César Gomes. Nous plantons seulement à un mètre de profondeur. Et nous avons obtenu le droit d'arroser au goutte-à-goutte. Enfin, nous retardons la vendange pour garantir la maturation. Tout est mécanique, sauf les vendanges. »

Un vin de collectionneurs et d'amateurs exigeants

Un camion vient faire l'embouteillage. « Notre production est petite. Nous sommes entre 5000 et 7000 bouteilles selon les années, indique César Gomes. L'objectif est d'atteindre 40 000 bouteilles, mais sans savoir si nous aurons les marchés correspondants. » Le colares va en effet à contresens de la tendance des vins frais et faciles à boire.

L'AOC est vendue à 90 % chez les cavistes de Lisbonne. Le reste part en Angleterre, en Suisse et en Allemagne, chez des collectionneurs. Le jour où ils disparaîtront, les promoteurs auront gagné la partie.

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