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DOSSIER - Transmission : L'affaire d'une vie

Des transmissions de plus en plus difficiles

Christelle Stef - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 46

Dans beaucoup de régions, les difficultés économiques rendent la transmission des exploitations délicate. Dans d'autres, c'est le prix du foncier qui freine les repreneurs.

AUDE : Trop d'incertitudes

En 2009 et 2010, le pôle appui aux exploitations (Apex) de la chambre d'agriculture de l'Aude a réalisé une enquête auprès des adhérents aux Vignerons indépendants du département qui ont 55 ans et plus. « 60 % de ces exploitations seront reprises. Dans 30 % des cas, la transmission est incertaine ou non assurée, rapporte Betty Serieys, conseillère transmission. Les viticulteurs restant continueront d'exploiter tant qu'ils le pourront ou arracheront définitivement leurs vignes. » Au total, les transmissions problématiques concerneraient près de 1 660 ha de vignes.

En cause : le contexte économique qui n'incite pas à la reprise. « Les enfants des viticulteurs se tournent vers d'autres métiers », constate Betty Serieys. Et peu de jeunes issus d'autres milieux s'intéressent à la viticulture. Sans compter que, souvent, les viticulteurs surévaluent leurs biens. Résultat: de nombreux domaines ne trouvent pas de repreneurs, surtout les exploitations de 20 à 30 ha, essentiellement tournées vers le vrac. Maintenant que les primes à l'arrachage définitif sont terminées, tous se demandent ce qu'il va advenir de ces exploitations.

Même sur Limoux, un secteur qui était assez privilégié jusqu'à présent, les reprises familiales ne sont plus systématiques. D'après une enquête de l'Apex réalisée cette année, 54 % des viticulteurs de l'AOC de plus de 55 ans ont une succession assurée. Mais 33 % n'ont pas de successeur ou sont dans l'incertitude. Cela représente 779 ha.

« On amorce un virage », note Betty Serieys. Les cours ont chuté alors que le prix de l'hectare de vigne est resté assez élevé. « Jusqu'à présent, lorsqu'il n'y avait pas de successeurs, des voisins rachetaient les terres pour s'agrandir. Mais aujourd'hui, ces personnes ont bien restructuré leur vignoble et arrivent à saturation », explique la conseillère.

AQUITAINE : Des répercussions sur l'emploi

En 2007, Agreste, le service statistique du ministère de l'Agriculture, a évalué que dans les cinq ans à venir, 3 300 exploitations spécialisées en viticulture pourraient changer de main en Aquitaine en raison de l'âge du chef d'exploitation. Cela représentait 51 300 ha de vignes, soit 35 % des surfaces viticoles de la région. Pour mieux appréhender le devenir de ces exploitations, Agreste les a étudiées en 2010. Résultats : sur ces 51 300 ha, 800 risquent d'être arrachés d'ici les cinq prochaines années et 6 500 ha n'ont pas de repreneur connu.

Là encore, le contexte économique morose est en cause. « Bordeaux connaît une crise importante : une baisse de la consommation, des ventes au négoce à des prix inférieurs aux coûts de production, etc., confirme Éléonore Daly, conseillère transmission au service développement et formation de la chambre d'agriculture de la Gironde. Sans compter la modification des cahiers des charges des appellations qui impose une restructuration des vignobles. Ce contexte difficile implique qu'il y a peu de candidats à la reprise des exploitations viticoles. »

Les formes sociétaires facilitent la transmission, lit-on souvent. Malgré cela, 36 % des exploitations sous forme sociétaire n'ont pas de successeur.

L'incertitude qui pèse sur les exploitations risque d'affecter l'emploi salarié. Rappelons que l'Aquitaine est la première région française pourvoyeuse d'emploi salarié dans le secteur viticole. De même, il risque d'y avoir des répercussions sur l'économie en aval (coopératives, négociants, commerçants…).

LOIR-ET-CHER : Les reprises coûtent trop cher

En 2010 et 2011, la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher a sondé les chefs d'exploitation de plus de 50 ans sur les communes de Contres, Montrichard, Selles-sur-Cher et Saint-Aignan. Là encore, les résultats montrent que la transmission risque d'être délicate dans de nombreux cas. Sur les 129 exploitations viticoles enquêtées, 76 n'avaient pas de successeurs connus. Cela représente 1 100 ha de vignes sur un total de 2 215. Tous les types d'exploitations sont concernés, quels que soient leur mode de commercialisation et leur taille.

Pourquoi de telles difficultés ? « Les reprises familiales ne sont plus systématiques. Il n'y a pas de candidats à l'installation et les montants de reprise sont trop élevés compte tenu des cours actuels, rapporte Gaëlle de Magalhaes, conseillère transmission de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher. Nous réfléchissons à des solutions. Nous sensibilisons les viticulteurs au coût des reprises. Nous leur expliquons qu'ils peuvent donner leurs terres à louer plutôt que de les vendre. Nous essayons également de trouver des candidats d'autres régions qui ne trouvent pas d'exploitations à reprendre chez eux. »

MAINE-ET-LOIRE : Une rentabilité attractive

Dans ce département, le CER France a réalisé dix à quinze installations ou transmissions par an ces cinq dernières années. « Nous ne sommes pas les seuls, mais nous réalisons environ 60 % des installations totales », précise Julien Mallon, conseiller d'entreprise au CER France du Maine-et-Loire.

Une grande majorité des entreprises viticoles trouvent un repreneur. Du fait de l'importance de la vente directe, les exploitations sont rentables, ce qui favorise les installations et la transmission.

Mais 40 % des viticulteurs ont plus de 50 ans. Depuis plus de deux ans, le CER France suit ces chefs d'exploitations. 20 % d'entre eux ont une reprise assurée dans les cinq ans à venir.

« Ils dirigent de grosses exploitations qui ont du personnel et un ou plusieurs associés. Ils ont beaucoup investi et ont une belle vente au détail. Nous les aidons à préparer leur transmission sur les plans fiscaux et administratifs. »

Cependant, 60 à 70 % des chefs d'exploitations de plus de 50 ans n'ont pas de repreneur connu. « Souvent, ils ne se sont pas encore posé la question. Il s'agit de petites exploitations de 10 à 20 ha dont la vente au détail s'éteint gentiment. Ils ont des actifs bien amortis et ont peu investi. Nous voyons avec eux quelles stratégies ils doivent adopter vis-à-vis de la transmission. Nous essayons de mettre en place un plan d'action. »

Enfin, dans 10 à 20 % des cas, il y aura cessation d'activité. « Ces entreprises sont en bout de course. Leurs actifs sont en fin de vie. Souvent, les exploitants ne sont pas propriétaires du foncier. Et il y a des problèmes de commercialisation », explique Julien Mallon.

VAR : Des investisseurs changent la donne

En Côtes-de-Provence, le rosé est en bonne santé. La région se porte bien. « Les cours sont stables depuis trois à quatre ans », précise Alain Baccino, le président de la chambre d'agriculture. La viticulture séduit toujours. Du coup, il n'y a pas de difficulté pour la transmission des exploitations viticoles dans le cadre familial. En revanche, hors cadre familial, les choses se corsent. À moins d'être fortuné, il devient difficile de reprendre une exploitation. « Beaucoup d'investisseurs ont acheté des domaines avec des moyens importants. C'est positif pour notre image. Mais le prix du foncier a augmenté. L'agrandissement des exploitations et l'installation hors cadre familial deviennent très compliqués », indique Alain Baccino.

CHAMPAGNE : Le mot d'ordre : anticiper

« Plus de 6 000 vignerons ont plus de 50 ans sur les 15 000 exploitants que compte la région. Les transmissions vont donc être nombreuses dans les années à venir », explique Nicolas Didier, vigneron à Saint-Martin-d'Ablois (Marne) et administrateur au SGV. En Champagne, il n'y a pas de difficulté à trouver des repreneurs. Mais, vu le prix du foncier, autour d'un million d'euros l'hectare, il est impératif d'anticiper la succession si l'on veut éviter un démantèlement des exploitations. C'est le mot d'ordre de la région.

Le Point de vue de

Philippe Potin, président de la cave de Oisly-Thésée (Loir-et-Cher)

« Il est très compliqué pour un jeune de s'installer »

Philippe Potin, au centre. Le président de la cave de Oisly-Thésée, est entouré de collaborateurs.

Philippe Potin, au centre. Le président de la cave de Oisly-Thésée, est entouré de collaborateurs.

« Notre coopérative comprend 27 vignerons et couvre 220 ha. La moyenne d'âge des apporteurs est de 45 ans. Cette année, quatre nouveaux viticulteurs, dont des jeunes (moins de 40 ans), sont rentrés, ce qui est une bonne performance, car nous étions plutôt en perte d'adhérents. Ce n'est pas un hasard. Nous avons mené une démarche volontariste pour expliquer le fonctionnement de la coopérative. Nous avons modifié nos statuts pour pouvoir accueillir des vignerons indépendants en apport partiel. Ces vignerons ont leur propre circuit de commercialisation pour une partie de leur production et vendaient le reste en vrac au négoce. Avec nous, c'est un troisième moyen d'assurer leurs débouchés commerciaux, en nous confiant une partie de leurs raisins. Mais dans les cinq ans à venir, certains de nos adhérents vont devoir transmettre leur exploitation et n'ont pas de repreneurs. Cela représente une cinquantaine d'hectares et pourrait réduire nos volumes. C'est d'autant plus problématique que ces viticulteurs produisent du sauvignon, le cépage fer de lance à l'export. Le problème est qu'il est très compliqué aujourd'hui pour un jeune de s'installer. La valeur des entreprises est élevée alors que les cours des vins n'assurent plus une rentabilité suffisante. Actuellement, l'AOC Touraine Sauvignon se vend 1,25 € le litre en contrat de négoce. Il y a deux ans, il se vendait 1,35 € le litre. Pour favoriser les installations, le cours correct serait entre 1,40 et 1,45 €. Le négoce et l'ensemble des intervenants commercialisant les sauvignons de Touraine doivent prendre conscience de cela s'ils veulent à l'avenir sécuriser leurs apports. »

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