« Une exploitation, ce n'est pas que des chiffres, c'est l'histoire de la famille, prévient Me Colette Gasselin, notaire à Romanèche-Thorins, en Saône-et-Loire. Il y a beaucoup d'affectif dans les vignes.» Une transmission réussie doit intégrer cette dimension humaine. Quoi qu'il en soit, tôt ou tard, il faut s'attaquer à l'évaluation de la valeur de l'exploitation, une étape souvent redoutée. Les comptables ont deux méthodes à leur disposition. La première est patrimoniale. « Nous procédons à une évaluation des actifs de l'entreprise, c'est-à-dire en prenant en compte les équipements (matériels et bâtiments d'exploitation, cuverie, etc.) et les stocks de vins à leur valeur vénale, explique Éric Garcia, conseiller de gestion spécialisé en viticulture à FDSEA conseil dans la Marne. Cela nous donne la valeur de l'actif global dont on déduit ensuite le passif, à savoir les dettes. On obtient ainsi la valeur patrimoniale de l'entreprise. Si c'est une société, on divise cette valeur par le nombre de parts pour obtenir la valeur de chacune. » Dans une grande majorité des cas, les vignerons sont soit locataires, soit propriétaires à titre privé des vignes qu'ils cultivent. Le foncier n'entre donc pas dans l'estimation de la valeur de l'entreprise.
Pour avoir une juste idée de cette valeur, il est conseillé de procéder à plusieurs estimations, notamment pour les bâtiments, afin d'obtenir une moyenne qui sera peu contestable.
Mesurer la capacité à générer des bénéfices
L'autre approche vise à mesurer la rentabilité économique de l'exploitation. « On prend le revenu brut moyen sur cinq ans duquel on retranche la rémunération du vigneron, précise Christian Rellé, conseiller de gestion au Cegar, à Obernai, dans le Bas-Rhin. Le solde est le résultat qui provient vraiment de l'entreprise. »
Reste à déterminer quelle rémunération affecter au vigneron. « Nous estimons que ce doit être celle d'un cadre moyen : entre 2 500 et 3 000 euros nets par mois », poursuit Christian Rellé. FDSEA conseil estime également qu'il est logique de déduire une rémunération et propose une méthode basée sur la valeur ajoutée de l'entreprise pour la calculer. Après avoir déterminé la capacité bénéficiaire moyenne de l'exploitation, il faut définir le taux de rentabilité. La valeur de l'entreprise sera égale à sa capacité bénéficiaire divisée par ce taux. « Le choix de ce taux peut être difficile, admet Éric Garcia. On estime qu'investir dans une petite entreprise présente des risques qu'il faut analyser. Si l'exploitation bénéficie d'un bail à long terme sur la totalité de sa surface exploitée, la situation est moins risquée que pour un exploitant dont des terres peuvent disparaître. En général, on choisit un taux de rentabilité compris entre 8 et 12 % par an. On propose plusieurs hypothèses à l'exploitant. »
L'arbitrage revient aux parents
Une fois les valeurs patrimoniales et économiques calculées, aux parents de trancher. C'est à eux de choisir la valeur qu'ils attribuent à leur exploitation, celle qui sera retenue pour calculer la succession. Souvent, les vignerons prennent une valeur moyenne entre les deux méthodes d'évaluation. « Certains vignerons privilégient la valeur patrimoniale, car c'est plus concret », constate toutefois Christian Rellé. Il faut aussi veiller à ce que la valeur retenue puisse être argumentée en cas de contrôle fiscal.
L'étape d'après consiste à exposer la valeur retenue au repreneur et à ses frères et sœurs. C'est là que les choses peuvent se corser. « Pour celui qui achète, c'est souvent trop cher et pour les autres membres de la fratrie, ce n'est jamais assez élevé, témoigne Me Colette Gasselin. Je fais en sorte de voir l'expert-comptable au préalable. Il voit l'aspect exploitation et moi celui de la famille. Nous avons un rôle de médiateur.»
Christian Rellé organise souvent des réunions avec tous les membres de la famille, où il expose comment la valeur de l'exploitation a été déterminée. « Je rappelle aux frères et sœurs du repreneur que si l'exploitation a cette valeur, c'est aussi parce qu'elle a un repreneur, précise-t-il. À 50 ans, quand on sait que personne ne reprend derrière, on développe moins son entreprise. »
Le Point de vue de
Éric Garcia, conseiller de gestion à FDSEA conseil (Marne).
« Procurer un revenu aux héritiers non-exploitants »
« Chaque parent a sa notion de l'équité. Certains considèrent que cela fait partie de la reprise de louer leurs vignes au repreneur avec un bail à long terme. Pour d'autres, ce bail représente un avantage qui suppose une contrepartie pour les frères et sœurs. Pour apporter cette contrepartie, certains choisissent des formules sociétaires associant les enfants non exploitants. Quelquefois, ils créent une société holding qui détient des parts de la société d'exploitation et dans laquelle sont intégrés tous les enfants. Ces derniers bénéficient d'une partie du revenu de l'exploitation qui remonte dans la holding. Pour les enfants non repreneurs, cela peut être plus intéressant de percevoir tout de suite des revenus, plutôt que d'hériter de vignes en nue-propriété dont ils ne tireront aucun revenu jusqu'au décès de leurs parents. En percevant plus vite un revenu, les frères et sœurs du repreneur seront peut-être moins tentés de vendre le foncier qu'ils reçoivent. De toute façon, sauf à partager l'entreprise entre tous ses enfants, la transmission égalitaire n'est pas possible. Ce qui ne veut pas dire que le repreneur soit toujours avantagé. Des biens immobiliers peuvent s'avérer plus rentables et moins risqués qu'une exploitation sur laquelle planent des incertitudes. »
Le Point de vue de
Christian Rellé, conseiller de gestion au Cegar, à Obernai (Bas-Rhin).
« Attention aux comptes courants d'associés »
« Dans les sociétés agricoles, il est important de faire le point à chaque assemblée générale sur les comptes courants d'associés (CCA). Quand la transmission approche, la vigilance doit redoubler sur ce point. Il faut que l'entreprise contracte un prêt à la banque pour rembourser les CCA de celui qui va partir. Sinon, c'est une bombe à retardement pour le repreneur. Les CCA, cela ne veut pas dire grand-chose pour un jeune qui reprend. C'est au fil des AG et des exercices qu'on appréhende cette notion. Si on lui transmet une EARL avec 300 000 euros de CCA à devoir à ses parents, cela sera très compliqué pour lui à moyen terme. Autant que la situation soit claire avec, au besoin, un échéancier pour les rembourser. Mais il faut que le repreneur ait intégré ce que ces comptes signifient. »