Raymond et Hubert Deffois ont compris depuis longtemps que l'exploitation qu'ils pilotent depuis 1976 quitterait le giron familial à leur retraite. Les deux frères ont quatre filles, mais pas une ne se destinait à reprendre leur exploitation basée à Cléré-sur-Layon, dans le sud du Maine-et-Loire.
Car pour reprendre le château de Brossay, il faut afficher une sacrée compétence. L'exploitation mène deux activités : viticole avec 44 hectares de vignes en appellation et agricole avec un troupeau de vaches allaitantes, 60 hectares de céréales et 80 hectares de prairies.
Les tâches sont bien réparties entre les deux frères. Raymond, l'aîné, a en charge la partie agricole et les vignes. Hubert est concentré sur les vinifications et l'élevage des vins. L'entreprise vend 85 % de ses quelque 2 500 hl au négoce, le reste se répartissant entre 11 % aux particuliers et 4 % aux réseaux professionnels (CHR et supermarchés).
Tournure inattendue
En 2008, quand l'heure de la retraite commence à poindre pour Raymond, les deux frères décident de scinder leur exploitation en deux sociétés distinctes : l'une agricole, l'autre viticole. À cette époque, aucun successeur n'est en vue. « On envisageait de vendre la partie agricole et de conserver la partie viticole », raconte Hubert. « Mais nous avons toujours fait comme si nous avions des repreneurs, souligne Raymond. Nous avons continué d'investir pour transmettre un outil en état de marche. »
C'est à cette période que les choses prennent une tournure inattendue. L'une des filles de Raymond épouse Nicolas Tamboise, la petite trentaine, salarié dans une entreprise d'aliments pour animaux et ingénieur agricole de formation. D'origine agricole, l'idée de s'installer ne lui est pas étrangère. En 2010, elle prend corps. Le gendre se met en congé de son entreprise pour devenir salarié du château de Brossay. « Pour voir », sourit Nicolas.
L'affaire est rapidement sur les rails, et Nicolas s'installe à la place de Raymond le 1er janvier 2011. Ce dernier devient salarié, remplaçant ainsi un des trois permanents de l'exploitation parti en retraite. Parallèlement, Nicolas se forme à la vinification, histoire d'élargir ses compétences. La succession de Raymond est donc calée. Reste Hubert qui, à 58 ans, a encore quelques années d'activité devant lui. Le hasard de la vie prend alors toute sa saveur. Arrive Benjamin Grandsart, copain de promo de Nicolas à l'École supérieure d'agriculture d'Angers. Lui-même salarié dans le milieu agricole, il épouse la seconde fille de Raymond. Sa belle-famille lui présente assez rapidement l'idée de s'installer sur l'exploitation.
Et le voilà qui marche dans les pas de son ami devenu son beau-frère ! Il intègre l'entreprise comme salarié le 1er janvier 2011. Il devrait s'installer le 1er janvier de l'année suivante. En parallèle, il suit une formation en vinification : c'est lui qui, à terme, en aura la charge. « Nous avons travaillé avec le conseiller de notre centre de gestion », relate Raymond. Le dossier était tout à fait viable. Les banques ont suivi. Il est vrai que les terres restent dans les mains des deux frères Deffois, qui les louent aux sociétés d'exploitation. « C'est un point important, insiste Nicolas. Le fait que Raymond et Hubert restent sur l'exploitation a rassuré les banques.»
Nicolas a emprunté pour reprendre un tiers des parts des deux SCEA. Hubert en a gardé la moitié et Raymond le reste. Quand Benjamin s'installera, les frères lui vendront, à parts égales, un tiers du capital. Hubert, Nicolas et Benjamin seront donc cogérants à part égale des deux SCEA. Ces sociétés d'exploitation ne comprennent pas les terres. Elles les louent aux deux frères qui les conservent en nom propre.
Débuts facilités
Cette succession en douceur, lissée sur cinq années, ne tranquillise pas seulement les banques. Elle rassure aussi les quatre protagonistes. Hubert et Raymond sont satisfaits de voir leur entreprise pérennisée. Et Nicolas et Benjamin se sentent épaulés pour leurs débuts. « Il faut quatre à cinq ans pour bien transmettre », estime Raymond.
Si les deux repreneurs maîtrisent bien l'aspect agricole des choses, il leur reste à travailler à la gestion de l'entreprise, de l'aspect financier à la gestion du personnel en passant par la vente des vins…
Sur ce point, Nicolas et Benjamin aimeraient développer la vente directe. « La relation avec le négoce est solide. Elle ne date pas d'hier. Mais nous pensons développer un peu la vente aux particuliers, souligne Benjamin. Dans le vin, on a la chance de pouvoir vendre en direct. » Ils comptent bien s'y atteler rapidement. « Nous allons profiter du fait que Raymond et Hubert sont encore avec nous pour développer ce projet. Après, nous n'aurons peut-être plus assez de temps. »
La plus grosse difficulté Gérer le temps et la paperasse
Dans une entreprise à double activité, la difficulté pour Nicolas Tamboise et Benjamin Grandsart est d'avoir en tête le calendrier des travaux agricoles. « Il est des périodes où tout s'enchaîne très vite, souligne Raymond Deffois. Il faut tout anticiper. » Pour Nicolas, « le plus compliqué à ce stade est de bien gérer le travail des deux permanents ». Seconde difficulté : « le papier ». Deux activités réparties sur deux sociétés multiplient les formalités administratives. Pour l'heure, Raymond effectue l'ensemble de cette mission qui représente un temps plein. Peu à peu, les deux repreneurs se répartiront la tâche. « Ils ont un avantage sur nous, sourit Raymond, ils sont plus performants en informatique. »