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DOSSIER - Transmission - Transmission : L'affaire d'une vie

Six questions pour savoir si vous êtes prêt à franchir le pas

Aude Lutun - La vigne - n°236 - novembre 2011 - page 106

Transmettre son exploitation suppose de se projeter et de faire preuve de psychologie pour maintenir l'harmonie familiale. Ces six questions test vous diront si vous êtes prêt…

Y avez-vous déjà pensé ?

Si vous avez 55 ans, il est grand temps à en croire les conseillers de gestion. Rien n'interdit d'y penser avant. Mais avec l'allongement de l'espérance de vie et le recul de l'âge où les Français ont des enfants, il est souvent difficile d'avoir de la visibilité sur son avenir.

Il est conseillé d'anticiper pour plusieurs raisons. La première est d'ordre psychologique. La transmission d'un domaine sur lequel on a travaillé toute sa vie, qui appartient souvent à sa famille depuis plusieurs générations, peut être vécue comme une rupture, voire comme un deuil. Mais il faut s'en faire une raison. Pour cela, il est important de se projeter dans l'après, de réfléchir à son futur lieu d'habitation, à son emploi du temps de retraité, etc.

L'autre intérêt d'anticiper est d'avoir le temps d'organiser juridiquement sa transmission et d'étudier tous les scénarios possibles. Cela permet de réaliser de belles économies de frais de cession ou de donation. On peut effectuer sa transmission en plusieurs étapes et bénéficier ainsi, à plusieurs reprises, des abattements autorisés par la loi.

Êtes-vous patient ?

Il en faut, de la patience ! Car les carrières professionnelles des enfants s'organisent différemment de celles des parents et s'affranchissent des schémas établis. Pour la jeune génération, il est bien moins naturel et automatique qu'avant de reprendre l'exploitation de ses parents ou de venir y travailler.

Beaucoup d'enfants de vignerons débutent leur carrière dans des secteurs bien éloignés de la viticulture. Pendant ce temps, leurs parents désespèrent de trouver un successeur. Mais il n'est pas rare que ces enfants s'intéressent au domaine après quelques années de salariat. Avec l'expérience, ils prennent conscience de l'intérêt d'être à son compte et d'exercer un métier qui porte de belles valeurs.

Il faut donc attendre que jeunesse se passe, ce qui peut être éprouvant et rendre difficiles certains montages juridiques. Mais quelle satisfaction de voir revenir des enfants motivés ! Un conseil : ne jamais se décourager. Continuez, dans la mesure du possible, d'investir pour que votre exploitation reste attractive. Vous augmenterez vos chances d'avoir un successeur.

Savez-vous ce que valent votre exploitation et vos terres ?

Que le repreneur soit de votre famille ou non, il est important de connaître la valeur de votre exploitation pour optimiser sa transmission. « Il faut faire un état des lieux de votre patrimoine professionnel et privé avant 60 ans, préconise Christian Rellé, conseiller de gestion au Cegar, à Obernai (Bas-Rhin). Cela vous permettra de réaliser ce que vaut vraiment votre exploitation. » Beaucoup de vignerons en sous-estiment la valeur.

Avez-vous une idée du montant de votre retraite ?

« Il faut que vous soyez au point sur le montant de vos revenus à la retraite, ajoute Christian Rellé. Quel sera le montant de votre pension ? Aurez-vous des revenus immobiliers, fonciers ? Cet état des lieux permet de savoir si vous pouvez faire une donation de vignes en nue-propriété ou en céder un peu en pleine propriété, etc. Je vous déconseille de conserver des parts de la société d'exploitation pour percevoir des revenus lors de votre retraite. Après votre décès, ces parts entreront dans l'indivision successorale et le repreneur sera dans une position inconfortable. »

Avez-vous une idée très arrêtée ?

Il est préférable que non, car il est fréquent que les schémas prévus ne se réalisent pas tels quels. Il se peut que l'enfant qui prévoyait de revenir rencontre un conjoint qui ne partage pas le même projet. Il se peut aussi que le repreneur auquel vous pensiez change d'avis et qu'il découvre l'intérêt d'un autre métier.

« Dans le monde de l'entreprise classique, il arrive que nous rencontrions des surprises de dernière minute, mais c'est assez rare, témoigne un avocat du Sud-Est. En viticulture, les rebondissements sont fréquents. La dimension affective est importante. Dans leur jeunesse, tous les enfants ont participé aux travaux de la vigne. Certains ont vinifié, d'autres ont aidé à vendre. Chacun a le sentiment que l'exploitation est un peu à lui, au moins dans son cœur. Ce n'est pas le cas pour un médecin ou un géomètre dont les enfants ne travaillent que rarement avec eux. C'est riche humainement, mais cela complique les affaires. D'autant qu'auparavant, les parents choisissaient plus ou moins leur enfant successeur. C'était parfois brutal et injuste, mais pratique. Maintenant, c'est plus équitable, mais bien plus complexe. »

Êtes-vous un bon communicant ?

Il vaut mieux ! Une bonne dose de pédagogie, de psychologie et de maîtrise de soi n'est pas inutile pour aborder cette phase de transmission. Les conseillers de gestion insistent sur le fait de tenir informés tous les enfants sur l'évolution du dossier de la reprise, qu'ils soient repreneurs ou non.

Si vous faites évaluer votre patrimoine privé et professionnel, tenez-en informés tous vos enfants de la même manière. Si vous décidez de transmettre ce bilan à vos enfants, faites-le au même moment pour tous. Au contraire, si vous ne voulez pas communiquer ce bilan, ne le transmettez à aucun d'entre eux. Souvent, celui qui est pressenti pour reprendre dispose de plus d'informations que les autres, ce qui peut susciter de la jalousie et de la méfiance.

De même, il est important de parler de la transmission du domaine à chaque enfant séparément, pour que leur liberté de parole soit entière. L'objectif est d'éviter les non-dits qui détériorent à moyen ou long terme les relations familiales.

Il faut également rassurer chacun sur le fait que son opinion a le droit d'évoluer au fil du dossier. Un enfant qui travaille dans une banque sera probablement plus prompt à analyser les enjeux qu'un instituteur.

Un livre pour y voir plus clair

Philippe Quéron, avocat, et Philippe Laveix, notaire, ont condensé leur savoir dans le livre « La transmission d'un domaine viticole » paru chez Féret en 2009. Avant de passer au sujet proprement dit, ils rappellent qu'il faut commencer par évaluer la valeur du bien à transmettre, ce qui suppose de distinguer le capital foncier, c'est-à-dire les terres et les bâtiments, du capital d'exploitation : le matériel, les stocks, la cuverie, les marques, etc. En lisant ce livre, on comprend la complexité du sujet et la nécessité de s'entourer d'experts pour mener à bien une transmission.

Cet article fait partie du dossier Transmission : L'affaire d'une vie

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