Anciens, rares, oubliés, secondaires… Comment nommer tous ces cépages qui ne survivent que localement ? « Nous voulions leur trouver un nom sympa. Nous avons eu l'idée de faire référence au Miam, le Musée international des arts modestes de Sète (Hérault). C'est un clin d'œil », explique André Deyrieux, spécialiste en œnotourisme et vice-président de l'association Rencontres des cépages modestes créée fin 2010 et qui s'est réunie pour la première fois fin octobre, en Aveyron.
« Cépages modestes, c'est un nom poétique pour parler des variétés autochtones ou de collection », reconnaît Olivier Yobrégat, en charge du matériel végétal au pôle Sud-Ouest de l'IFV. Rien qu'en Aveyron, l'institut a identifié quatorze cépages « plus que modestes », dont quatre blancs (le saint-côme, le noual, le fel et le bernadou) et dix rouges, comme le mouyssaguès, le moural, la tarabassié ou le négret de Banhars.
« On dénombre en France une centaine de ces cépages cultivés sur moins de 10 ha chacun, souligne Jean-Michel Boursiquot, professeur à Sup-Agro (Montpellier) et ampélographe réputé. Pour ma part, je définis les cépages modestes comme des cépages locaux, qui ne sont généralement pas inscrits au catalogue officiel. Mais ce paramètre n'est pas forcément déterminant, car des cépages comme le petit verdot figurent dans la liste officielle et restent très confidentiels. »
Un vivier dans le Sud-Ouest et dans les Alpes
Le Sud-Ouest et les Alpes sont particulièrement bien lotis et ont donné lieu à des découvertes intéressantes ces dernières années. « L'Aveyron était un département très viticole avant le phylloxéra : on y cultivait 20 000 ha de vignes, poursuit Olivier Yobrégat. Aujourd'hui, on n'en compte plus que 950, mais de vieilles vignes familiales abandonnées ont permis de retrouver des cépages qu'on ne connaissait pas. Nous avons prospecté 150 parcelles entre 1995 et 2011, observé une centaine de cépages et réalisé six conservatoires Nous avons retrouvé des cépages de toute la France et de l'étranger, apportés par les pèlerins en route vers Compostelle. »
Dans le Gers, les producteurs Plaimont et l'IFV ont récemment découvert douze cépages complètement inconnus, dont trois rouges semblent très prometteurs : le dubosc 1 et le pebernade 5, du nom des viticulteurs à qui appartiennent les vignes, et une forme intéressante de pinenc.
Les vignerons des Alpes remettent au goût du jour des cépages comme le bia blanc, l'étraire de l'adui et la verdesse. Et, en Savoie, un projet franco-italien initié par le Centre d'ampélographie alpine Pierre Galet vise à créer, en 2012, un conservatoire regroupant 150 à 200 cépages retrouvés des Alpes-Maritimes à la Slovénie.
Les analyses génétiques permettent de vérifier l'identité d'un cépage et de confirmer, le cas échéant, qu'il est vraiment inconnu. Mais les découvertes ne sont pas toujours au rendez-vous. Michel Laurens, vigneron sur l'AOC Marcillac, a préservé pendant quarante ans de vieux ceps qu'on lui avait offerts. Il pensait qu'ils étaient rares. En réalité, ce sont des cabernet-sauvignons. Ce qui ne l'empêche pas d'être fier d'avoir préservé cette vieille parcelle.
C'est chez lui qu'Olivier Yobrégat a planté, à la demande des vignerons de l'AOC Marcillac, deux parcelles d'étude de raisins blancs, l'une de saint-côme, précoce, qui est comparée à une parcelle de muscadelle, et l'autre de fel, tardif, placée aux côtés de pieds de chenin. Les premiers résultats ont été présentés lors de la rencontre des cépages modestes. Le saint-côme découvert à Estaing, Nauviale et Saint-Christophe-Vallon, montre une vigueur et une fertilité moyennes, une bonne acidité et une sensibilité au botrytis. Ses vins possèdent des arômes fruités et une bouche acidulée. Le fel, retrouvé à Estaing et autour de Marcillac, s'avère vigoureux, fertile, productif, peu sensible au botrytis et présente un équilibre alcool/acidité élevé.
La Champagne teste l'arbane
« On note un intérêt croissant pour les cépages locaux un peu partout en France, reprend Jean-Michel Boursiquot. La Champagne teste l'arbane et le petit meslier ; le Sud-Est, le riverenc ; sans oublier les Charentes où l'on a découvert que la magdeleine noire était l'ancêtre du merlot et du côt. Depuis 2007, une dizaine de nouveaux cépages ont été rajoutés à la liste officielle qui n'avait presque pas évolué depuis cinquante ans. »
Ainsi, en septembre, le ministère de l'Agriculture a-t-il inscrit le bia blanc et le trousseau gris au catalogue officiel des variétés cultivées en France. Le bia est le cépage blanc de la viticulture iséroise cultivé avant le phylloxéra. Quant au trousseau gris, il vient de Cognac (Chraente) où il donne de bons résultats pour le pineau.
Pour ces vignerons, l'intérêt est de maintenir une biodiversité génétique, mais aussi une diversité de goûts, tout en proposant une alternative aux vins « stéréotypés et sans caractère ». La deuxième édition des rencontres des cépages modestes est déjà programmée, en Aveyron, en novembre 2012. Avis aux passionnés !
Le Point de vue de
Michel Laurens, viticulteur à Clairvaux-d'Aveyron (Aveyron), sur 20 ha
« Le fer servadou nous a permis d'obtenir l'AOC Marcillac »
«Je cultive une vingtaine d'hectares, 90 % de fer servadou et 10 % de cabernet-sauvignon et de merlot. Le fer servadou est un cépage assez résistant au mildiou, je le traite moins que les autres. Mais il est très irrégulier en production. Les écarts peuvent être de 30 % de récolte en plus ou en moins selon les années. Il est très difficile à réguler, même en faisant des vendanges en vert. De plus, il est très sensible à la coulure et au moment de la floraison. Le réchauffement climatique lui permet, ces dernières années, d'atteindre 12 à 13° d'alcool, c'est une bonne chose.
C'est un cépage auquel il a fallu s'adapter, mais qui apporte une typicité au Marcillac, ce qui nous a permis d'obtenir l'AOC. »
Le Point de vue de
Michel Grisard, vigneron à Fréterive (Savoie), sur 6 ha
« Retrouver les cépages anciens est un devoir »
«Depuis mon installation en 1971, j'ai toujours cru en la mondeuse noire, un cépage savoyard que cultivait déjà mon père. À l'époque, elle avait presque disparu et je voulais lui redonner ses lettres de noblesse. J'en cultive 4,5 ha.
C'est un cépage tardif, très prolifique, tannique et qui ne monte pas en alcool (12° maximum). Tous les ans, il faut le chaptaliser un peu. Il donne un vin moderne, frais et épicé, avec beaucoup de poivre. J'ai récemment ouvert une bouteille de 1981 encore très bonne. Je possède aussi 1,5 ha d'altesse, un cépage blanc mi-tardif, assez fragile en culture mais qui donne de très grands blancs secs, très fins, qui sont de bons vins de garde. Le potentiel alcoolique, l'acidité de l'altesse et son aptitude à développer de la pourriture noble permettent de produire de très beaux liquoreux. Ces qualités sont de bons atouts pour obtenir les « bulles » réputées des vins de Seyssel, entre autres. »