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VIN - POUR APPROFONDIR

Les maladies bactériennes

Christelle Stef - La vigne - n°237 - décembre 2011 - page 54

Quelles sont-elles ?

Historiquement, on distingue les altérations produites par les bactéries lactiques (piqûre lactique, maladie de la tourne, maladie de l'amer et maladie de la graisse) et celles produites par les bactéries acétiques (piqûre acétique). Laurent Massini, d'Inter-Rhône, ajoute à cette liste les goûts de souris, imputables à des bactéries lactiques et aux Brettanomyces.

Quelles sont les réactions à l'origine de ces maladies ?

La piqûre lactique résulte de la dégradation des sucres par les bactéries lactiques. Il s'ensuit une production d'acide lactique, d'acide acétique et d'autres sous-produits indésirables comme le mannitol produit à partir du fructose. La maladie de la tourne est aussi provoquée par des bactéries lactiques : des lactobacilles. Ces dernières dégradent l'acide tartrique, le transformant essentiellement en acide acétique. La maladie de la graisse est la conséquence de la production d'un glucane par des bactéries lactiques très particulières : Pediococcus parvulus et Pediococcus damnosus. La maladie de l'amer correspond à la dégradation du glycérol par des bactéries lactiques. Les métabolites du glycérol (l'acroléine notamment) se combinent alors avec les composés phénoliques, ce qui conduit à la formation de composés amers. L'acroléine est très préjudiciable aux vins de distillation, car elle dénature les eaux-de-vie. Quant à la piqûre acétique, elle est due aux bactéries acétiques qui oxydent l'éthanol en acide acétique, lequel réagit avec l'alcool pour donner lieu à de l'acétate d'éthyle. « Un composé dont le pouvoir sensoriel est largement supérieur à celui de l'acide acétique », précise Bruno Blondin, professeur à Montpellier Supagro.

Quelles bactéries provoquent ces réactions ?

« Toutes les souches de bactéries lactiques hétérofermentaires peuvent provoquer la piqûre lactique, avertit Aline Lonvaud, chercheuse à l'ISVV et professeur à l'université de Bordeaux. Outre l'acide lactique, elles produisent du CO2, de l'acide acétique et d'autres composés. De même, toutes les souches de bactéries acétiques peuvent provoquer la piqûre acétique. Ce sont les conditions dans lesquelles se trouvent ces bactéries qui font que l'incident arrive ou pas. En revanche, les autres maladies sont provoquées par des souches bien particulières qui peuvent appartenir à plusieurs espèces. » Quant aux goûts de souris, « on ne sait pas bien comment ils apparaissent. Nous savons juste que les molécules impliquées sont des tétrahydro-pyridines », révèle Laurent Massini.

À quel moment se produisent-elles ?

La plupart du temps, la piqûre lactique intervient lorsque la fermentation alcoolique traîne ou s'arrête prématurément. « Lorsque les levures ne fonctionnent plus normalement, les bactéries lactiques prennent le dessus », explique Bruno Blondin. La maladie de la tourne intervient sans doute pendant ou après la fermentation malolactique.

La piqûre acétique se produit pendant l'élevage, chaque fois que le vin est en contact prolongé avec l'air. « Les bactéries acétiques sont toujours là. Dès qu'il y a de l'oxygène, elles se multiplient et forment de l'acide acétique », rapporte Aline Lonvaud. La maladie de la graisse peut se déclencher après la vinification, pendant la conservation en cuve ou en barrique. Très souvent, elle se produit en bouteille, même plusieurs mois après la mise.

L'amertume intervient également après les vinifications, lors de l'élevage. Les goûts de souris peuvent apparaître à tous les stades, mais plutôt durant l'élevage.

Comment se manifestent-elles ?

Sur le plan visuel, seule la maladie de la graisse est spectaculaire. Le vin prend une consistance visqueuse et huileuse. « Il n'est plus attractif », souligne Bruno Blondin. À l'analyse, l'accident se détecte par la présence de glucane.

Les deux piqûres se caractérisent par une augmentation de l'acidité volatile. « Analytiquement, la piqûre lactique se différencie de la piqûre acétique par une concentration en acide D-lactique du vin supérieure à environ 0,3 g/l », indique Aline Lonvaud. Au niveau sensoriel, la piqûre acétique provoque une acescence : une forte odeur de vinaigre.

La maladie de l'amer est caractérisée par la disparition du glycérol et la synthèse d'acroléine, la maladie de la tourne par une disparition de l'acide tartrique et la production d'acide acétique.

Les goûts de souris sont plus délicats à mettre en évidence. « Certains œnologues les détectent. D'autres pas. Ceux qui les détectent sentent une légère amertume, mais surtout une forte odeur de souris en rétronasal. Il n'y a pas de méthode d'analyse », expose Laurent Massini.

Touchent-elles beaucoup de vins ?

La plupart des maladies bactériennes sont rares, en particulier la tourne et la maladie de l'amer. La piqûre lactique est en fort recul grâce à la meilleure maîtrise des fermentations alcooliques (contrôle des températures, nutrition des levures…). Mais selon Bruno Blondin, elle peut encore se produire, notamment dans le sud de la France lorsque les pH sont très élevés et les moûts très carencés en azote. La piqûre acétique est également bien contrôlée. « Elle survient lorsque des cuves ou des barriques restent en vidange. Mais cet incident est de plus en plus rare, car les vinificateurs font plus attention », confirme Aline Lonvaud.

La maladie de la graisse est un peu plus fréquente. « On la voit réapparaître », constate Laurent Massini. « Il y a eu des années avec épidémies, depuis elle est occasionnelle », ajoute Aline Lonvaud. Enfin, les goûts de souris sont « un phénomène que l'on voit de plus en plus », assure Laurent Massini.

Comment les éviter ?

Toutes les maladies bactériennes sont favorisées par les pH élevés. Un bon contrôle de la fermentation alcoolique permet de s'affranchir de la piqûre lactique. Il faut également éviter les phases de latence entre la fermentation alcoolique et la malo. Pour éviter la piqûre acétique, il faut veiller à bien garder les vins à l'abri de l'air par des ouillages réguliers ou avec des gaz neutres. Il faut aussi maintenir un niveau suffisant de SO2 libre. Les autres maladies – graisse, tourne et amer – sont dues à des souches bien particulières de bactéries lactiques. Un diagnostic microbiologique permet de les détecter. Le vinificateur agira en fonction du résultat.

Peut-on les corriger ?

Lorsque l'acidité volatile et les teneurs en acide D-lactique augmentent en cours de la fermentation, il y a un risque de piqûre lactique. Bruno Blondin conseille d'intervenir avec du lysozyme. « Comme cette molécule n'est pas stable, quinze jours après le traitement, les bactéries lactiques pourront faire la malo. Il est également possible d'agir avec du SO2, mais avec modération. »

Mais une fois que le vin est altéré, il n'y a aucun moyen d'éliminer les molécules à l'origine des défauts. Seule la maladie de la graisse peut être corrigée. Il faut d'abord éliminer les bactéries lactiques avec du SO2, une filtration ou une flash-pasteurisation. Puis il suffit de brasser le vin pour qu'il retrouve une viscosité normale. « Mais lors de ce processus, le vin est aéré donc légèrement oxydé », précise Laurent Massini.

Des déviations devenues rares

ŒNOCOCCUS OENI. Lorsque la fermentation alcoolique s'arrête ou lorsqu'elle devient languissante, cette bactérie lactique peut prendre le dessus et dégrader les sucres. Il s'ensuit une production d'acide lactique et d'acide acétique, à l'origine d'une sensation de piqûre. © J. BROADBENT

ŒNOCOCCUS OENI. Lorsque la fermentation alcoolique s'arrête ou lorsqu'elle devient languissante, cette bactérie lactique peut prendre le dessus et dégrader les sucres. Il s'ensuit une production d'acide lactique et d'acide acétique, à l'origine d'une sensation de piqûre. © J. BROADBENT

ACETOBACTER. Cette bactérie acétique peut oxyder l'éthanol en acide acétique. En présence d'éthanol, cette même bactérie peut estérifier l'acide acétique en acétate d'éthyle. Ces réactions ont lieu lorsque le vin est mis au contact de l'air. © SCIMAT/PR, INC/BSIP

ACETOBACTER. Cette bactérie acétique peut oxyder l'éthanol en acide acétique. En présence d'éthanol, cette même bactérie peut estérifier l'acide acétique en acétate d'éthyle. Ces réactions ont lieu lorsque le vin est mis au contact de l'air. © SCIMAT/PR, INC/BSIP

UN SULFITAGE rigoureux, une hygiène soignée et un bon contrôle des fermentations permettent d'éviter les déviations dues aux bactéries lactique C. WATIER

UN SULFITAGE rigoureux, une hygiène soignée et un bon contrôle des fermentations permettent d'éviter les déviations dues aux bactéries lactique C. WATIER

L'ENSEMENCEMENT AVEC DES BACTÉRIES permet d'éviter qu'il y ait une phase de latence entre la fermentation alcoolique et la malo. © C. WATIER

L'ENSEMENCEMENT AVEC DES BACTÉRIES permet d'éviter qu'il y ait une phase de latence entre la fermentation alcoolique et la malo. © C. WATIER

LA DÉGUSTATION des vins permet de vérifier qu'il n'y a pas de montée d'acidité volatile. © L.WANGERMEZ

LA DÉGUSTATION des vins permet de vérifier qu'il n'y a pas de montée d'acidité volatile. © L.WANGERMEZ

OUILLAGES réguliers et hygiène rigoureuse sont les moyens de s'affranchir de la piqûre acétique © P. ROY

OUILLAGES réguliers et hygiène rigoureuse sont les moyens de s'affranchir de la piqûre acétique © P. ROY

Les piqûres lactiques et acétiques sont bien maîtrisées. La tourne et l'amer sont extrêmement rares. La graisse revient par à-coups. Quant aux goûts de souris, les œnologues en voient davantage. Le point sur ces altérations.

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