DOMAINE SAHARA VINEYARDS à 100 km du Caire, sur la route d'Alexandrie. Sur les anciennes terrasses sablonneuses du Nil, la vigne a rejailli ex nihilo, faisant la part belle aux cépages internationaux. PHOTOS É. MALNIC
DANS SON CHAI FLAMBANT NEUF situé au bord de la mer Rouge, Egybev vinifie quelque 22 000 hl issus de ses trois parcelles du Caire, de Taba et de El Minya.
ANDRÉ HADJITHOMAS (CI-DESSUS) en train d'expliquer à Abdel Nasser, son chef de culture, l'épamprage sur des pieds de chardonnay, lequel est cultivé en guyot double.
LABIB KALLAS, CI-CONTRE, désignant le bannati, le seul cépage indigène, autrefois uniquement utilisé en raisin de table et dont 4 000 tonnes sont utilisées aujourd'hui pour faire du vin et des spiritueux.
Le renouveau du vignoble égyptien est le fait d'un homme : André Hadji-Thomas. Après avoir travaillé dans les vignobles français et libanais, cet ingénieur agronome d'origine libanaise décide de « faire un vin égyptien digne de l'Égypte, de son patrimoine et de son histoire ». Pour cela, il s'adosse à un puissant groupe financier égyptien copte et crée Egybev. À dire vrai, il n'est pas le premier à vouloir renouer avec le glorieux passé viticole de l'Égypte. Déjà en 1882, Nestor Gianaclis, un Grec passionné de vin, avait créé son vignoble. L'entreprise a connu ses heures de gloire dans les années trente et quarante. Nationalisée en 1966 par Nasser, elle a été privatisée en 1999, rachetée par ABC (Al Ahram Beverages and Co, aujourd'hui groupe Heineken International).
L'aventure redémarre avec le nouveau millénaire. En 2001, André Hadji-Thomas, épaulé par Labib Kallas (agronome et libanais comme lui), s'implante sur 176 ha de terres sablonneuses à 49 km au nord du Caire, sur la route d'Alexandrie. Il sera suivi trois ans plus tard par Karim Hwaidak. Cet Égyptien, propriétaire d'un domaine viticole en Toscane, plante 50 ha et crée Sahara Vineyards.
Seulement trois à quatre jours de pluie par an
Le choix de cette région n'est pas dû au hasard. C'est là qu'en son temps, Nestor Gianaclis s'était installé. Depuis, les deux domaines se sont étendus avec la création de nouvelles parcelles à El Minya, au sud du Caire, à Taba, dans le Sinaï au bord de la mer Rouge, et près de Louxor. En 2011, le vignoble égyptien avoisine à peine 500 ha. On a du mal à imaginer, dans ces conditions, ce qu'a pu être la maîtrise de la viticulture dans l'Égypte pharaonique des Ve et IIIe millénaires, une maîtrise dont témoignent les jarres de vin dans la tombe de Toutankhamon ou les scènes de vendanges dans la tombe de Sennefer, à Thèbes.
Dans cette région semi-désertique, les températures oscillent entre 12 à 15°C en hiver et 45°C l'été, avec des nuits fraîches, des vents secs et seulement trois à quatre jours de pluie par an.
« Ces conditions sont idéales pour la bonne santé des vignes. Nous traitons juste avec un peu de soufre, à titre préventif », commente Mohammed Rachad, directeur général de Sahara Vineyards. « Le bio s'est naturellement imposé à nous », renchérit Labib Kallas, directeur technique d'Egybev.
Seule contrainte : l'irrigation. L'eau est rare et puisée jusqu'à 100 m de profondeur. Mais c'est la « clé de la qualité. La vigne demande beaucoup d'eau entre le débourrement et la floraison, moins après la nouaison. Pour évaluer ses besoins, nous mesurons le potentiel hydrique des tiges », indique Labib Kallas.
Ce climat extrême n'est pas sans incidence, car la vigne peine sous l'effet des fortes chaleurs.
Ses stomates se ferment. La photosynthèse chute. Du coup, la maturité dépasse très rarement 12,5 à 13° à la récolte.
L'Égypte ne possédant pas de cépages de cuve indigènes, le choix s'est porté sur les cépages français, italiens et espagnols. « Au départ, nous avions sélectionné vingt cépages, mais nous n'en avons conservé que sept : petit verdot, merlot, cabernetsauvignon, syrah, vermentinu, chardonnay et grenache, explique Labib Kallas. Notre but est la qualité. Pour cela, nous avons augmenté la densité de plantation à 4 500 pieds par ha contre 2 660 au départ. »
Sahara Vineyards a fait le choix de la diversité. « En 2004, nous avons commencé avec le sangiovese, le tempranillo, le cabernetsauvignon et le merlot. En 2005, nous avons rajouté la marsanne, le mourvèdre, le grenache noir, la syrah… Aujourd'hui, nous cultivons dix-sept cépages », commente Mohammed Rachad.
Deux domaines, trois producteurs
Le vin en Égypte, ce sont donc deux domaines mais trois producteurs qui vinifient environ 80 000 hl. Explications. Depuis 2005, ABC vinifie la récolte de Sahara Vineyards. ABC vend la plus grande partie des vins sous son nom et rétrocède le reste à Sahara Vineyards qui embouteille et commercialise deux cuvées : Caspar en blanc et Hermine en rouge. ABC vinifie également des moûts achetés en Afrique du Sud ou au Liban avec lesquels il inonde les hôtels « all inclusive » et les restaurants. De son côté, Egybev vinifie sa propre récolte. Les raisins sont transportés par camions frigorifiques vers les chais ultramodernes situés à El Gouna, à 600 km du Caire, en bordure de la mer Rouge. Ils sont vinifiés avec les conseils de Denis Dubourdieu dans des cuves en inox avec toute la panoplie des techniques modernes : fermentation à basse température, ajout de copeaux de bois, micro-oxygénation. Pour donner naissance à deux gammes en rouge, blanc et rosé : Jardin du Nil et Beausoleil. Dix ans après la plantation des premières vignes, six ans après la sortie du premier millésime, l'avenir du vignoble est à construire. La quasi-totalité du vin est consommée par les touristes. Et c'est ce qui inquiète André Hadji-Thomas : « La révolution de janvier 2011 a éloigné les touristes, déplore-t-il. Et il n'est pas facile de vendre du vin dans un pays à majorité musulmane, même si une partie de la classe moyenne égyptienne commence à l'apprécier et si les chrétiens sont affranchis de l'interdit d'alcool. »
En route vers l'exportation
D'autres producteurs se lanceront-ils ? André Hadji-Thomas le souhaite car « la concurrence est bonne pour améliorer la qualité ». Mais il doute de voir arriver des confrères.
Alors l'exportation ? Ce pourrait être une carte à jouer pour ces vins des sables brûlants. Egybev a déjà tenté sa chance, avec une présence continue depuis trois ans au salon Millésime bio. Sahara Vineyards va tenter la sienne en se rendant au salon allemand ProWein de 2012. Quoi qu'il en soit, André Hadji-Thomas a gagné son premier pari : « Faire une cave moderne et un vin buvable. »