La Champagne est l'une des rares régions viticoles françaises à observer une stabilisation du nombre d'exploitants, voire une légère progression au cours des dix dernières années, avec 63 viticulteurs de plus dans la Marne et 290 de plus dans l'Aube, soit 3 % de hausse.
Comme le champagne se porte bien, il est fréquent que plusieurs enfants d'un vigneron partant à la retraite restent sur l'exploitation, certains étant doubles actifs.
Les exploitations sont de petite taille. Sur les 20 500 déclarants de récolte, on estime que seuls 6 000 à 7 000 vivent à 100 % de la viticulture. « La crise économique incite les gens à conserver leurs vignes au cas où les revenus de leur métier principal viendraient à baisser », explique Maxime Toubard, vice-président du Syndicat général des vignerons (SGV). De plus, en exploitant eux-mêmes leurs biens plutôt qu'en les louant, les propriétaires optimisent leurs revenus.
Flambée des prix
En dix ans, la superficie du vignoble a progressé, les vignes en production passant de 30 400 à 33 350 hectares. Désormais, très peu de parcelles restent à planter. Et le prix des vignes a presque doublé, pour atteindre 870 000 euros par hectare en moyenne en 2010. Dans les terroirs recherchés, les transactions atteignent 1,2 million d'euros par hectare. Ces ventes concernent souvent de petites parcelles, ce qui favorise l'augmentation des prix. Le souci pour les exploitants, c'est de trouver des vignes ou de les garder.
Cette forte inflation s'explique par l'économie florissante du champagne, mais aussi par l'intérêt que porte le négoce aux vignes depuis peu. Jusqu'à présent, les parcelles s'échangeaient principalement entre vignerons. Depuis cinq ans, le négoce se positionne sur presque toutes les ventes. Or, la force de frappe financière du négoce, et plus particulièrement celle du leader MHCS (branche champagne de LVMH), est bien supérieure à celle des viticulteurs.
« Beaucoup d'entre nous n'ont plus accès aux vignes lors d'une mutation, regrette Michel Loriot, viticulteur à Festigny (Marne) et président de la fédération régionale des Vignerons indépendants. J'habite dans un village qui compte une soixantaine de vignerons. Durant les cinq dernières années, trois exploitations ont été reprises par le négoce, sous différentes formes. Cela ne s'était jamais produit auparavant. L'argent a pris le dessus. Il nous faut réactiver la fibre vigneronne qui faisait préférer un viticulteur à un négociant lors d'une vente. Sinon, en deux générations, le panorama d'une région peut vite changer… »
Prise en compte de l'environnemen
Ce panorama est bien en train de changer, comme le constate un notaire marnais : « On se dirige vers une Champagne à deux vitesses. Il y a les vignerons qui ont eu la chance d'hériter de vignes ou d'en acheter quand les prix étaient encore cohérents. Et il y a les autres, qui se trouvent souvent parmi les moins de 45 ans et qui n'ont pas les moyens d'acheter aux prix actuels. Ils payent des fermages ou des métayages à leurs parents, à d'autres membres de leur famille ou à des propriétaires non familiaux. Pour eux, l'objectif est de terminer leur carrière sans perdre trop de surface. »
La future extension de l'aire d'appellation, prévue au plus tôt pour 2018, est vue par certains comme un facteur d'apaisement des tensions foncières. Mais ce point de vue n'est pas partagé par tous les vignerons, qui s'inquiètent de savoir dans quelles mains tomberont les parcelles reclassées. La décennie 2000-2010 est aussi celle de la mise en pratique de mesures environnementales au vignoble. Tous les indicateurs, mesurés par les services techniques du Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC), montrent une évolution significative.
« Les années quatre-vingt-dix ont été celles de la prise de conscience et de la recherche, indique Arnaud Descôtes, responsable environnement au CIVC. Les années 2000 ont été celles du développement, à grande échelle, des bonnes pratiques. La confusion sexuelle, par exemple, est appliquée sur 11 300 hectares en 2011 contre 5 000 en 2000. Le recours aux insecticides a baissé de 90 % et l'utilisation des fertilisants a chuté de 35 à 40 % en quatorze ans. En 2011, 97 % des effluents de caves ont été traités, contre 50 % en 2000. Quant au bilan carbone, il a baissé de 15 % par bouteille en huit ans. »
L'enherbement peine un peu à s'installer, avec 15 % de la surface couverte à la fin de l'hiver en 2011, contre quelques pour-cent en 2000. Le bio réalise une petite percée, passant de 60 à 70 hectares, en 2000, à 300 hectares certifiés ou en cours de conversion en 2011.
Le Point de vue de
Cyril et Maxence Janisson, vignerons à Épernay (Marne). 9 ha en 2000, autant en 2010
« De 27 000 à 80 000 bouteilles vensdues »
«En 1997, nous mettions un tiers de notre récolte en bouteilles. Nous vendions les deux tiers restants en raisin ou sur lattes au négoce. En six ans, nous nous sommes dégagés des contrats de vente de raisin pour commercialiser l'intégralité de la production de nos 9 hectares en bouteilles.
Avant d'opérer ce changement de stratégie, nous vendions nos bouteilles uniquement à une clientèle particulière. Nous avons conservé cette dernière, à laquelle se sont ajoutés les cavistes (30 % des ventes) et l'export (30 % également). La relation commerciale avec les professionnels est complètement différente de la vente aux particuliers. Il faut leur établir un tarif spécifique, ne pas mettre ses tarifs départ cave sur internet, ne pas donner de prix quand on vous appelle au téléphone, etc. Nous jouons également à fond la carte des réseaux sociaux en communiquant avec 500 professionnels via Twitter. C'est gratuit et efficace ! En passant de 27 000 à 80 000 bouteilles par an, nous avons élargi notre gamme, qui comptait quatre cuvées. Actuellement, nous en élaborons douze. Ces nouveaux champagnes ont un positionnement haut de gamme. Ce sont des millésimes ou des cuvées issus de parcelles particulières. Cela nous a permis d'augmenter notre prix moyen de vente de 3 euros le col. Si le plus grand changement de la décennie a été commercial, nous avons aussi modifié nos pratiques dans les vignes, en introduisant la charrue et en n'utilisant plus de désherbant.
À l'échelle de la filière champagne, c'est sur le foncier que la donne a changé ces dernières années. Le négoce se jette sur les vignes, ce qu'il ne faisait pas avant. Les anciens ne vendaient qu'à des vignerons du village. Ce n'est plus le cas et c'est inquiétant pour l'avenir de notre métier. »