Certains chiffres éclairent le chemin de croix qu'a été la décennie écoulée pour le Beaujolais : fin 2010, la région comptait 17 900 ha de vignes, contre 21 800 dix ans plus tôt. Elle a perdu 18 % de ses surfaces, contre 11 % de recul pour le vignoble français. Sans compter les 1 000 ha qui ont disparu entre 2010 et 2011. « Et nous risquons encore d'en perdre autant en 2012 », prévient Thierry Saint-Cyr, secrétaire général de l'Union des vignerons du Beaujolais. L'arrachage, subventionné ou non, a touché surtout les appellations Beaujolais et Beaujolais villages.
Dans la même période, le nombre d'exploitations a reculé de 29 %. Et le revenu moyen avant impôt est passé de 42 011 euros par exploitant viticole en 2000 à 28 740 euros en 2010. « le Beaujolais est la région la plus touchée par la crise en Rhône-Alpes », témoignent Maurice Gros et Alexandra Beraud-Sudreau, du service statistiques de la Draaf de Rhône-Alpes.
Les ventes se sont effondrées. Les exploitants ont dû trouver des solutions pour ne pas disparaître. La coopération en fut une. « La crise a d'abord touché les caves particulières, note Philippe Thillardon, vice-président de la Fédération des caves coopératives du Beaujolais. Devant les coûts de mises aux normes d'un cuvage, beaucoup ont adhéré à une coop. C'était la seule alternative à l'arrêt. » Si bien que la part de la production en cave particulière a reculé de 71 à 60 % en dix ans.
Aujourd'hui , les coops semblent en première ligne. « Nous perdons environ 200 ha par an, poursuit Philippe Thillardon. Les fusions et les rapprochements ont permis de tenir jusque-là en faisant baisser les coûts. » Mais cette stratégie atteint ses limites quand les cours restent bas. Dans les caves particulières, la solution a souvent été de licencier le ou les salariés. Sur la décennie, le nombre de permanents a reculé de 23 % et celui des occasionnels de 21 %.
« Le Beaujolais s'est professionnalisé »
Autre solution pour augmenter les revenus du ménage : la pluriactivité. 35 % des chefs d'exploitation et coexploitants ont une activité secondaire (contre 22 % en 2000) et 19 % sont agriculteurs à titre secondaire (15 % en 2000). La légère féminisation de la profession (22 % des chefs d'exploitation sont des femmes, contre 19 % en 2000) peut également être vue sous l'angle de la crise : lors du départ en retraite du mari, l'épouse reprend l'exploitation à son nom, faute de trouver un repreneur.
« Tous les cas de figure se sont présentés pour sortir de la crise, détaille Jean-Claude Vanel, responsable du service conseil du CER France Rhône. Nous avons eu des cessations d'activité, souvent précédées d'une période de double activité du chef d'exploitation, ainsi que des restructurations d'exploitations. La remise en cause des pratiques culturales et de vinification a été constante. Le Beaujolais s'est professionnalisé. »
Au final, le paysage s'est transformé. Entre 2000 et 2010, 38 % des exploitations moyennes ont disparu et 26 % des petites structures ont subi le même sort. Seules les grandes exploitations progressent, de 16 %. « L'agrandissement a été la voie pour évoluer positivement », soutient Jean-Claude Vanel.
La part du rouge recule
Autre réponse offensive à la crise : l'investissement dans la vente directe. « Nous sommes passés de 21 à 30 % des volumes vendus par les viticulteurs, une progression remarquable », jugent les statisticiens de la Draaf. Ces vignerons ont étoffé leur gamme. La part du rouge recule : 93 % du total, contre 99 % au début de la décennie. Le blanc (4 %) et le rosé (3 %) progressent, tout comme le crémant de Bourgogne et le rosé pétillant.
Le bio n'a pas provoqué de révolution puisque seulement 80 exploitations viticoles sont certifiées. Au total, 3 % du vignoble rhodanien est certifié ou en cours de conversion.
Quelles perspectives pour l'avenir ? Philippe Thillardon avance que la coopération doit encore se concentrer. Jean-Claude Vanel estime que l'excellent rapport qualité prix du beaujolais est un atout. Thierry Saint-Cyr se veut optimiste : « Le marché frémit. »
Le Point de vue de
Florence et Jean-Gabriel Devay, domaine de Roche-Cattin, à Bully (R hône). 12,5 ha en 2010, 10,5 ha en 2000
« Beaucoup plus de stress »
« Pour nous, le moment charnière de la décennie a été entre 2004 et 2005.
Nous n'avions rien vendu au négoce en primeur en 2001.
La situation s'est répétée en 2004. Nous avons alors réfléchi à modifier notre façon de travailler. Dès 2005, nous avons confié toute notre récolte destinée au négoce (60 % du total) à la cave coopérative de Bully. Nous voulions baisser les coûts de production et profiter de l'outil commercial de la cave qui a les moyens de discuter avec le négoce. C'était aussi un moyen de gagner du temps pour la vente directe. En 2005, nous avons licencié notre salarié. Toujours dans l'optique de dégager du temps pour la vente, nous avons confié tous les travaux mécanisables à un prestataire pour ne plus nous occuper que de la taille. Nous avons restructuré l'exploitation en arrachant un rang sur six en 2005, puis un demi-hectare en 2008. J'ai diversifié ma production : j'ai augmenté la part de rosé de 10 % et je produis un rosé effervescent depuis 2007. Mais pour vendre autant qu'il y a dix ans, il faut produire beaucoup plus d'efforts. Je parcours environ 25 000 km par an.
Les conditions de travail sont beaucoup plus stressantes, le rythme très soutenu, les weekends ont disparu. Et malgré tout cela, ma femme a dû prendre un travail à mi-temps en 2007. Avec les collègues, je trouve que les rapports se sont distendus : chacun travaille de son côté pour trouver des solutions. Même entre adhérents au syndicat, nous nous voyons peu. La double activité s'est développée de façon exponentielle. À la cave coopérative, les choses se sont beaucoup professionnalisées ; techniquement, c'est très performant.
Mais, là aussi, les rapports ne sont plus les mêmes. »