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DOSSIER - Recensement agricole : Le nouveau visage de la viticulture

BERGERAC Le renoncement gagne du terrain

La vigne - n°238 - janvier 2012 - page 46

En dix ans, la Dordogne a vu l'émergence d'une viticulture sociétaire, la disparition de petites unités et l'essor des exploitations supérieures à 50 hectares.
La viticulture en Dordogne

La viticulture en Dordogne

La viticulture sociétaire prend corps en Dordogne. Il y a dix ans, 85 % des exploitations étaient sous forme individuelle. C'étaient de petites propriétés transmises de père en fils. En 2010, la donne a changé. Désormais, 40 % des exploitations viticoles sont sous forme sociétaire. Et elles représentent les trois quarts de la valeur de la production viticole du département. Parmi ces sociétés, les Gaec perdent du terrain. Place aux EARL, qui ont fait un bond de 50 % entre 2000 et 2010.

Dans le même temps, les exploitations avec de la vigne, des cultures et de l'élevage ont reculé, voire disparu pour les plus petites d'entre elles. Ainsi, parmi celles dont la valeur de la production n'excède pas 25 000 euros par an, les deux tiers ont été rayés de la carte. Dans le même temps, les exploitations supérieures à 50 hectares ont connu un essor. Désormais, elles cultivent le quart du vignoble.

Avec le départ des anciens, la main-d'œuvre est beaucoup moins familiale et de plus en plus extérieure (43 % des équivalents temps plein en 2000 contre 52 % en 2010).

« En dix ans, un emploi sur trois a été perdu dans la main-d'œuvre familiale. Quant aux effectifs de conjoints, ils ont été divisés par deux », note Jacky Bonotaux, responsable du pôle études et prospectives à la Draaf Aquitaine.

Vignoble dégradé

En matière de commercialisation, la vente directe concerne toujours le tiers des volumes. Mais elle se fait de plus en plus en bouteilles. Au cours des dix dernières années, un tiers des petits vracqueurs sur le créneau du bergerac rouge a disparu du paysage périgourdin.

Du côté des coopératives, la concentration reste le maître mot. « De petites caves n'arrivent plus à assumer des investissements liés à la modernisation. En Dordogne, nous sommes passés de six à quatre caves coopératives. Et ce n'est pas fini. Nous discutons avec la cave de Port-Sainte-Foy. La fusion devrait être opérationnelle avant les vendanges 2012 », explique Éric Chadourne, à la tête de la coopérative Alliance Aquitaine qui regroupe les caves de Bergerac, du Fleix et de Montaigne et Gurson.

Ce dernier se dit préoccupé par l'état du vignoble de Dordogne qu'il juge dégradé. « En quelques années, nous avons pu observer le retour aux friches. Les bois ont gagné sur les vignes abandonnées », indique-t-il.

Sylvie Wichelhaus, courtier, ne cache pas son inquiétude : « Depuis dix ans, je note une dégradation très nette, un appauvrissement des revenus des viticulteurs. Leurs réserves financières se sont complète ment asséchées. En 2000, ils investissaient dans les chais et renouvelaient le matériel. À partir de 2005, le vent a tourné. Chacun a serré les boulons. Aujourd'hui, l'économie touche tous les postes, y compris les traitements de la vigne. »

Pour ne rien arranger, des viticulteurs se sentent perturbés par des changements qu'ils ont du mal comprendre. Exemple avec les vins sans indication géographique (IG), qui, avec leurs rendements libres, sont présentés comme une porte de sortie pour ceux qui peinent à vendre leurs vins d'appellation.

« Un retour en arrière, selon Sylvie Wichelhaus. On a incité les viticulteurs à faire des efforts, à maîtriser les rendements et à aller vers le tout AOC. Aujourd'hui, on leur dit qu'ils s'en sortiront mieux s'ils se lancent dans les vins sans IG. Beaucoup ont du mal à comprendre cette évolution ». Autre phénomène : le renoncement gagne les rangs de propriétés très reconnues. « Depuis cinq ans, je sens beaucoup de désillusion de la part de domaines qui ont misé sur la qualité, lancé de super cuvées et qui n'ont pas de retour sur investissement. Écouler une bouteille à 15 euros n'est pas facile », lâche Sylvie Wichelhaus.

« La fidélité à une marque n'existe plus »

Daniel Duperret, du domaine de Combet et responsable de l'ODG Monbazillac, ne dit pas autre chose. « Dans notre appellation, je vois des viticulteurs positionnés sur le haut de gamme qui n'arrivent pas à bien valoriser leurs vins. Il y a dix ans, ils avaient de l'énergie et de l'espoir. Aujourd'hui, ils pilotent à vue. Certains baissent les bras et mettent en vente leur propriété », déplore-t-il.

Un viticulteur qui exploite 80 ha en monbazillac et bergerac et qui écoule sa production à 60 % à l'export, confie son amertume : « Nous vendons notre vin à un prix très en dessous de notre seuil de rentabilité. Dans les années quatre-vingt-dix, nous pensions que notre marque pouvait exister durablement. Je m'aperçois que la fidélité à une marque n'existe plus. Mon vin a certes une notoriété, mais pas de reconnaissance sur les marchés. J'ai mis en vente la propriété. » Pour l'instant sans succès.

Enfin, en Dordogne comme ailleurs, la transmission des entreprises est un souci. « 60 % des futurs partants ne connaissent pas leurs successeurs », révèle Jacky Bonotaux. Reste que dans ce département, c'est un membre de la famille qui reprend le domaine huit fois sur dix.

Le Point de vue de

Didier Roches, domaine du Haut-Pécharmant, AOC Pécharmant à Bergerac (Dordogne). 33 ha de vignes en 2000, autant en 2010

« Il faut fournir plus d'efforts pour vendre »

Didier Roches, domaine du Haut-Pécharmant, AOC Pécharmant à Bergerac (Dordogne). 33 ha de vignes en 2000, autant en 2010 © P. ROY

Didier Roches, domaine du Haut-Pécharmant, AOC Pécharmant à Bergerac (Dordogne). 33 ha de vignes en 2000, autant en 2010 © P. ROY

« En dix ans, j'ai pu observer que la vulgarisation des acquis des recherches sur les maladies de la vigne a permis de mieux la traiter et de mieux la protéger. L'autre évolution, c'est la protection de l'environnement qui a fait un fait un bond énorme. Depuis six ans, nous n'utilisons plus de désherbants. Nous nous sommes dotés d'outils performants pour travailler le sol. Je pense notamment aux interceps hydrauliques qui permettent de travailler les rangs avec des coûts à l'hectare acceptables.

Nous sommes une vielle maison. La cinquième génération est aujourd'hui aux commandes. Toute notre production (150 000 bouteilles) part à hauteur de 60 % à la clientèle particulière, de 10 % à l'export et d'un pourcentage identique chez les cavistes, les restaurants et les grandes surfaces. Ces pourcentages n'ont pas bougé en dix ans. En revanche, il faut fournir beaucoup plus d'efforts pour maintenir la clientèle des particuliers. Il faut se démener davantage, faire plus de salons, plus de communication. La concurrence est très forte sur le créneau de la clientèle particulière. Concernant l'œnotourisme, nous avons embauché il y a cinq ans une assistante qui parle anglais, allemand et hollandais. C'est une façon de nous ouvrir davantage à ce secteur, où là aussi la concurrence est rude. J'observe que se dessinent aujourd'hui trois catégories de vignerons : les indépendants qui vendent leurs vins en bouteilles, les coopérateurs qui s'agrandissent en récupérant de petites exploitations qui font du vrac, mais je vois aussi émerger de gros viticulteurs à la tête de 200 à 300 hectares qui font du volume écoulé au négoce. Cette dernière catégorie n'existait pas il y a quelques années. »

L'essentiel de l'offre

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