La Loire-Atlantique a vu disparaître 69 % de ses exploitations spécialisées en viticulture depuis 2000. La surface en vigne a diminué de 17 % sur la même période. Un vent de crise endémique souffle sur le vignoble nantais depuis deux décennies. Une crise qui s'apparente à une tempête, soufflant plus fort encore depuis deux ans. « Seuls 9 000 ha devraient être revendiqués en muscadet cette année, contre 11 320 en 2009 », révèle Frédéric Macé, directeur du Syndicat de défense de l'AOC Muscadet.
L'appellation, en surproduction chronique, subit un premier plan d'arrachage en 2003. La production, vendue entre 60 et 70 % au négoce, peine à s'écouler. En 2008, le gel réduit la récolte de moitié. Les prix flambent, le consommateur boude. Le marché anglais s'effondre. Il n'est pas le seul. Le gros-plant accompagne le muscadet dans son marasme. Entre 100 000 et 150 000 hl restent en stock. Pour rétablir l'équilibre, la viticulture obtient une prime pour distiller 80 000 hl. Elle engage conjointement un plan d'arrachage de 2 000 à 2 500 ha. De mémoire de vigneron, aucune AOC ne s'est infligé pareil régime en si peu de temps.
La structure des exploitations évolue
Les premières à renoncer sont les petites structures. L'immense majorité des exploitations disparues sont conduites par des pluriactifs exploitant un, deux ou trois hectares de vignes. On en comptait 1 103 en 2000, seulement 110 dix ans plus tard. La perte d'effectifs parmi les exploitations moyennes (-61 %) et grandes (-33 %) est moindre mais reste très forte. Il reste 600 exploitations spécialisées en viticulture en Loire-Atlantique.
« L'hyperprofessionnalisation des exploitations est aujourd'hui manifeste », constate Frédéric Macé. La vente directe de vin par 551 des 600 exploitations peut en attester. En revanche, seules 5 % d'entre elles se sont orientées vers une diversification avec une activité d'hébergement ou de restauration. La viticulture biologique occupe, sous un climat océanique, une place modeste, avec 25 exploitations (4 %) dans le département.
La structure des exploitations connaît elle aussi une évolution marquée. La SAU moyenne est passée de 8,90 à 22,25 ha. Plus significative, celle des grandes exploitations est passée de 23,8 à 30,7 ha.
« Des surfaces ont été arrachées, d'autres ont été intégrées à des exploitations existantes. En s'agrandissant, les exploitations se sont recentrées sur leurs meilleurs terroirs. Mais elles ont dû mobiliser des ressources financières », remarque Frédéric Macé. Constat confirmé par le fait que ces exploitations détiennent ou louent à leurs propres associés 84 % des vignes cultivées. À l'inverse, le contrat de fermage auprès de tiers ou le métayage, qui représentaient 38 % des modes de faire-valoir en 2000, ne régit plus que 16 % des vignes en 2010.
Le statut des exploitations évolue lui aussi fortement. L'exploitation individuelle, ultramajoritaire (84 %) en 2000, n'est retenue que dans 50 % des cas aujourd'hui. Les sociétés sont surtout des EARL (239), plus rarement des Gaec (39).
Le nombre d'emplois direct à plein-temps ou d'unités de travail agricoles a chuté de 33 % depuis 2000. Ce sont, en premier lieu, les chefs d'exploitation qui ont renoncé à la culture de la vigne. Tous personnels confondus, 1 568 personnes travaillent dans les 600 exploitations du département.
Des jeunes mieux formés
Les exploitants présentent un visage et un profil nouveau. 20 % sont des exploitantes. C'est 4 % de plus qu'en 2000. On observe également un rajeunissement des vignerons. Celui-ci peut s'expliquer par l'attribution prioritaire des primes à l'arrachage définitif aux demandeurs de plus de 55 ans qui ont quitté le vignoble. Les exploitants ont aujourd'hui 49 ans en moyenne, soit 5 ans de moins qu'en 2000. Aux vignerons issus du babyboom succède une génération d'un niveau de formation plus élevé. 47 % sont au minimum titulaires d'un bac ou d'un brevet de technicien agricole, contre 18 % dix ans plutôt.
Un retour à l'équilibre est attendu avec impatience. Une nouvelle segmentation de la gamme est en cours, qui devrait contribuer à le conforter. Une réflexion est aussi engagée pour orienter le pays nantais vers une diversification de son encépagement. Enfin, le volume de la récolte 2011 devrait correspondre à la demande.
Le Point de vue de
Joël Charpentier, viticulteur au château de la Guipière, à Vallet (Loire-Atlantique). 30 ha en 2000, 28 ha en 2010
« Ça ne peut pas durer longtemps comme ça »
« Je suis installé depuis 1988. J'exploite 28 ha en Gaec avec mon frère. Nous en avions 30 en 2000. La crise dans notre appellation a bientôt vingt ans. La mauvaise conjoncture en 2003 nous a conduits à arracher 1,5 ha de muscadet et autant de gros-plant. Ensuite, nous n'avons pas remplacé notre salarié après son départ, pour réduire les coûts. Nous travaillons en famille, avec mon épouse et ma fille employée à 80 % au bureau et à l'expédition. La main-d'œuvre saisonnière n'intervient que pour la taille. Nous n'avons investi en matériel que pour en assurer le renouvellement. Nous utilisons du matériel acheté en Cuma pour broyer les bois, traiter et vendanger. Nous produisons 24,5 ha de muscadet, 2,25 ha de gros-plant et un peu plus d'1 ha de vin de pays.
Nous en vendons 50 % directement et 50 % au négoce. Nos volumes sont insuffisants pour développer l'export. Après la courte flambée des prix consécutive au gel de 2008, le marché s'est effondré. Avant 2010, je ne voyais pas de vignes en friches en pays nantais, mais des centaines d'hectares n'ont pas été taillées cette année-là. Nous avons perdu des marchés avec la grande distribution en ne voulant pas baisser nos prix. Le négoce nous propose 50 à 55 €/hl en muscadet générique et entre 70 et 75 €/hl pour le muscadet sur lie. Or, le prix de revient se situe à 80 €/hl. Ça ne peut pas durer longtemps comme ça. En 2009, nous avons malgré tout repris 2,5 ha attenants à la propriété, auprès d'un voisin ayant dû cesser son activité. Vu la faiblesse des cours du vin, nous avons arraché 1 ha cette année. Nous l'avons fait sans prime, pour replanter quand la situation ira mieux. Heureusement, la vente directe reste profitable. Un habillage plus festif a boosté les ventes de notre vin effervescent.
Notre haut de gamme, issu du terroir de Goulaine, se vend bien. Mais avec 70 000 cols, nous vendons moins de bouteilles qu'il y a un an et demi. Pour éviter de vendre au cours du jour, nous souhaiterions passer un contrat de vente de moût à un prix garanti et plus rémunérateur.
Une récente redélimitation du terroir de Goulaine doit aboutir à sa reconnaissance comme dénomination géographique complémentaire de l'AOC Muscadet. Pour nous, ce sont 3,5 ha de vignes qui pourraient être mieux valorisés. »