John Locke naît le 29 août 1632 près de Bristol, dans le sud de l'Angleterre. Après des études à l'école de Westminster, il devient professeur à Oxford. Lecteur des philosophes Descartes, Hobbes et Spinoza, il entre au service de Lord Ashley, un aristocrate bientôt nommé comte de Shaftesbury, dont il devient l'ami. Protestant comme lui, le comte est hostile à l'absolutisme monarchique en vigueur. Au gré des disgrâces de son maître, John Locke s'exile d'abord en France de 1675 à 1679, puis en Hollande de 1683 à 1689.
Avant même son départ en 1675, ce philosophe progressiste avait déjà une bonne connaissance de la culture de la vigne et de la façon de faire le vin acquise dans les vignobles anglais du Surrey et du Kent. À Londres, il fréquentait le restaurant à la mode Chez Pontac, créé en 1666 par la famille propriétaire du château Haut-Brion, où il découvre ce vin très apprécié des Anglais et qu'ils qualifient de « new french claret ».
Dans les Graves, il décrit la misère de paysans dits heureux
Arrivé en France, il séjourne d'abord longuement à Montpellier (Hérault) d'où il part en excursion en Languedoc-Roussillon et en Provence. Il traverse ensuite le Midi, l'Aquitaine, le Poitou, la Touraine et l'Orléanais. Puis il vit un an à Paris et visite l'est de la France (Roanne, Chalons, Mâcon, la vallée du Rhône...).
Ses notes de voyage sont très précises, tant sur le plan économique, social et politique que… viticole. Sur ce sujet, ses carnets rendent compte de ses observations sur les cépages, les méthodes de culture de la vigne et de vinification, les marchés ou encore la fiscalité.
Il recense par exemple 41 cépages dans la région montpelliéraine, son favori étant l'espiran, « rond, noir, très doux et équilibré… L'un des meilleurs raisins du monde », relate-t-il. Le 14 mai 1677, dans le Bordelais, il visite « le vignoble du président Pontac, à Haut-Brion. Ce terrain doit rendre vers 25 tonnes de vin vendu 100 écus la tonne », écrit-il, soit le double du cours moyen. Également dans les Graves, il décrit la misère et la pauvreté des paysans alors qu'ils sont dits « heureux ».
En amateur averti, John Locke recense les conditions d'élaboration d'un vin de qualité. Il relève que « les vignerons français ont peu de doute sur l'influence considérable de l'environnement physique sur la qualité des vins », appuyant ainsi la notion de cru. « Techniques de pressurage et de fermentation mises à part, le bon vin semble dépendre de deux causes, poursuit-il. L'une est le sol (…) exposé au sud et à l'est, la deuxième les cépages. » Il ajoute que « les vieilles vignes font de meilleurs vins de gardes ».
En Touraine, à l'abbaye de Marmoutier, il note en août 1678 « la nécessité d'obtenir une bonne qualité de fruit de bonne maturité. (…) Dès que le raisin est mûr, il est important de le vinifier immédiatement, sinon il se gâte (…). Le temps de macération, de même que le type et la longueur des vinifications, conditionnent le style de vin et le temps de garde. »
John Locke signale encore des pratiques amélioratrices de son époque comme « mettre une bonne quantité de copeaux de sapin ou de noisetier dans les tonneaux et parfois des raisins blancs en grappe entière ». Si John Locke a goûté et aimé d'innombrables crus français, il a été « particulièrement impressionné par les vins de Saint-Chinian », en Languedoc.
« L'âme a différents goûts, aussi bien que le palais »
Parallèlement, le philosophe écrit ses oeuvres dans lesquelles il propose une réflexion sur la démocratie libérale, ainsi qu'une réforme de la société : « Traité du gouvernement civil », « Essai sur l'entendement humain », qu'il met dix-sept ans à rédiger, et sa fameuse « Lettre sur la tolérance » publiée anonymement en 1689. Il plaide en faveur du pluralisme, de la tolérance et du développement des connaissances : « L'âme a différents goûts, aussi bien que le palais, et il est vain de ne vouloir en imposer qu'un seul », estime-t-il.
John Locke rentre dans son pays natal à la suite de Guillaume III d'Orange, sacré roi d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande, en 1689. Cet amateur éclairé, grand connaisseur des vins, s'éteint le 28 octobre 1704. Mais sa pensée continuera de briller tout au long du siècle naissant, celui des lumières.