« Depuis une dizaine d'années, les maladies du bois sont un problème majeur. Certains les qualifient même de cancer de la vigne. Elles sont de véritables handicaps économiques, qualitatifs et psychologiques pour les viticulteurs », a insisté Jean-Pierre Van Ruyskensvelde, le directeur de l'IFV, en introduction du colloque national sur les maladies du bois, le 9 décembre à Paris. Lors de cette journée, plusieurs chercheurs ont présenté les résultats de leurs travaux sur l'esca/BDA. Pour l'instant, ils n'ont pas trouvé de moyens de lutte efficace. Mais la compréhension de cette maladie progresse. Voici ce qu'il faut en retenir.
MICROFLORE FONGIQUE : Les pathogènes prennent le dessus
Patrice Rey, de l'Inra et de l'Enita de Bordeaux, a expliqué que le bois sain de jeunes vignes (9-10 ans) qui n'expriment pas de symptômes d'esca/BDA est colonisé par une microflore fongique abondante et diversifiée. « On a identifié 90 espèces et 44 genres de champignons différents », a précisé le chercheur. La plupart de ces champignons sont non pathogènes. Certains, comme les Trichoderma, sont mêmes protecteurs. Mais il existe également des champignons potentiellement pathogènes, notamment des Botryosphaeria, un genre associé au BDA. Dans les ceps âgés (15-25 ans) qui présentent des nécroses, la microflore du bois est peu diversifiée. Le bois est préférentiellement colonisé par quelques champignons pathogènes et par de nombreuses bactéries. Pourquoi la diversité fongique diminue-t-elle chez les ceps âgés et malades ? Qu'est devenue la flore initiale ? Quel rôle jouent les bactéries ? Autant de questions auxquelles les chercheurs vont devoir répondre.
Patrice Rey a également présenté les recherches conduites par sa collègue Lucia Guérin-Dubrana (UMR SAVE Inra et Enita de Bordeaux) qui portent sur l'épidémiologie de l'esca/BDA. Cette chercheuse a montré que, lorsque le niveau de maladie est faible, la répartition des ceps exprimant des symptômes dans une parcelle est aléatoire. En revanche, lorsque la fréquence des ceps malades augmente, ceux-ci sont regroupés par trois ou quatre et parfois orientés dans le sens du rang. Les champignons se dissémineraient-ils par voie aérienne à petite distance ? Y aurait-il une contamination par les outils de taille ? Là encore, ce sont des hypothèses à explorer.
SYMPTÔMES FOLIAIRES : Des toxines en cause ?
Les champignons se retrouvent rarement au niveau des feuilles. Alors pourquoi les feuilles des plants malades montrent-elles des colorations internervaires ? Ces symptômes foliaires résultent-ils de l'émission de toxines par les champignons ? C'est ce qu'étudient les chercheurs de l'université de Reims Champagne-Ardenne. Sur deux espèces de Botryospheriaceae (Diplodia seriata et Neofusicoccum parvum) – les agents du BDA – ils ont isolé deux molécules toxiques : la mélléine et la trans-et cis-4-hydroxymélléine. Chez N. parvum, ils ont également identifié une toluquinone, une lactone et sept autres toxines. Les chercheurs mesurent le niveau de toxicité de ces molécules sur des disques foliaires et des amas (cals) de cellules de vigne.
Autre constat : certains ceps porteurs de l'esca/BDA expriment des symptômes foliaires. D'autres pas. Cette expression est-elle liée à un état de faiblesse de la plante ? Pour le savoir, les chercheurs de Reims mènent des études au vignoble sur chardonnay et gewurztraminer. Ils ont ainsi constaté que l'activité photosynthétique diminue sept jours avant que les feuilles ne deviennent apoplectiques (sèches) et les défenses sont activées. Au niveau de la tige herbacée et dans le tronc, les voies métaboliques sont également modifiées.
PRATIQUES CULTURALES : La densité semble en cause
Les chambres d'agriculture de plusieurs départements et régions viticoles étudient l'impact des pratiques culturales sur le développement des maladies du bois sur tout un réseau de parcelles. Leurs premières observations montrent que dans certains cas, les faibles densités semblent favoriser l'esca/BDA. Par exemple, pour le cépage mourvèdre, plus la densité augmente, plus le taux d'esca/BDA diminue. Pour d'autres cépages, le taux d'esca reste constant jusqu'à une certaine densité, ensuite il décroît. Ainsi, le décrochage a lieu à la densité de 5 000 pieds/ha pour la syrah. « Ces résultats doivent être confirmés », a souligné Christel Chevrier, de la chambre régionale d'agriculture du Languedoc-Roussillon.
PÉPINIÈRES : La stratification est une étape critique
Laurent Bernos, de la chambre d'agriculture de Gironde, a présenté les premières avancées des études menées en pépinières. Pour contrôler la qualité des plants, les chercheurs ont développé un outil de PCR quantitative en temps réel qui permet d'identifier et de quantifier les principaux champignons de l'esca/BDA.
L'étape la plus cruciale vis-à-vis de la contamination des plants est la stratification. « C'est là qu'il faut travailler », a indiqué Laurent Bernos. Tout de suite après le greffage, les plants sont placés dans des caisses contenant de l'eau, de la sciure ou de la tourbe humide. Ils y restent pendant une quinzaine de jours à 28 °C, le temps que le greffon se soude au porte-greffe. Cette étape favorise la multiplication des champignons de l'esca/BDA.
Peut-on empêcher leur prolifération en utilisant un substrat adéquat ? Pour le savoir, les chercheurs ont étudié l'influence de douze substrats, prenant l'eau et la sciure comme références. Malheureusement, ils n'ont rien trouvé. « La nature du substrat n'a pas d'effet sur le développement des champignons », a commenté Laurent Bernos.
Avant cela, ils se sont rendus sur les parcelles de vignes mères de greffons et de porte-greffes. Ils ont constaté que quel que soit leur âge, on retrouve les champignons infectieux sur le matériel végétal. « Le choix des parcelles de prélèvement ne semble pas représenter un point critique », a expliqué Laurent Bernos.
Les chercheurs ont également évalué le greffage en vert. Ils n'ont trouvé aucun champignon responsable des maladies du bois sur les plants issus de ce procédé. Le seul parasite qu'ils ont observé est l'agent du pied noir.
Le troisième axe de travail consiste à évaluer le traitement à l'eau chaude. Rappelons qu'il consiste à plonger les bois ou les plants dans de l'eau à 50°C pendant 45 minutes. Les premiers résultats des comparaisons entre des plants traités et des plants non traités montrent des différences minimes et non significatives. Toutefois, les chercheurs notent que les parcelles non traitées à l'eau chaude sont légèrement plus touchées par l'esca/BDA.
LUTTE CHIMIQUE : Des résultats sur des boutures
Jean-François Chollet, de l'université de Poitiers (Vienne), travaille toujours à la mise au point d'un traitement chimique. Il a modifié un fongicide de la famille des phénylpyrroles afin de le rendre mobile dans la plante. In vitro, ce composé « F30 » montre une efficacité sur certains champignons. En parallèle, Jean-François Chollet a développé un stimulateur des défenses de la plante qui est un analogue halogéné de l'acide salicylique.
Le chercheur a testé ces deux produits sur des boutures de sauvignon, un cépage très sensible aux maladies du bois. Il a inoculé ces plants avec quatre espèces de champignon. Puis il les a traités avec une solution associant le fongicide et le stimulateur des défenses. Il a renouvelé le traitement l'année suivante.
L'année n + 2, il a disséqué toutes les plantes pour évaluer la propagation des nécroses. Il a observé un taux de mortalité moins important chez les plants traités.
Les recherches présentées dans cet article sont conduites par de nombreux organismes techniques travaillant en partenariat. Nous ne pouvons pas tous les citer.
L'Espagne aussi touchée que la France
Josep Armengol, un chercheur espagnol de l'Instituto agroforestal mediterranéo de Valence, a expliqué que dans son pays la situation concernant les maladies du bois est aussi grave qu'en France. Et les programmes de recherche sont nombreux. L'un porte sur les contaminations en pépinière. Les chercheurs ont ainsi montré que les champignons des maladies du bois sont présents dans les vignes mères de greffons et de porte-greffes. Ces champignons se retrouvent lors du trempage des bois, du greffage, de la stratification… Les chercheurs travaillent donc sur le traitement à l'eau chaude. « Le matériel végétal en Espagne tolère un traitement à 53°C durant 30 minutes qui peut être utilisé comme une méthode efficace pour contrôler les maladies du bois », a indiqué le chercheur. Il a également expliqué que les porte-greffes réagissent différemment à l'inoculation des champignons. Par exemple, le 110 R et le 140 RU sont plus sensibles et le 161-49 C plus tolérant.
Les mauvaises herbes pourraient également jouer un rôle puisque P. Chlamydospora, qui est impliqué dans l'esca, a été isolé dans Convolvulus arvensis : le liseron des champs.
1,5 million d'euros pour financer cinq axes de recherche
En décembre 2008, le ministère de l'Agriculture a lancé un appel à projets de recherches sur la prévention et la lutte contre les maladies du bois. En 2009, il en a retenu cinq, qu'il a dotés d'un financement de 1,5 million d'euros sur trois ans. Les axes de recherche et les organismes porteurs de ces projets sont les suivants :
connaissance des champignons et des toxines produites (université de Reims) ;
épidémiologie et connaissance de la maladie (Inra et Enita de Bordeaux) ;
comportement de la vigne et mécanismes de tolérance (ISVV Bordeaux) ;
impact des choix culturaux sur le développement de la maladie (chambre régionale du Languedoc-Roussillon) ;
production de plants indemnes de champignons associés aux maladies du bois (chambre d'agriculture de la Gironde).