En novembre 2011, le premier bilan de l'état des sols en France réalisé par l'Inra a vu le jour. Dominique Arrouays, qui dirige l'unité de service InfoSol à l'Inra d'Orléans (Loiret), a coordonné cette vaste étude. Il en est aussi le rapporteur. Dans une interview accordée à «La Vigne», il révèle les principales particularités des sols viticoles : faible taux de matière organique, fortes teneurs en cuivre et parfois en plomb, activité biologique présente mais peu diversifiée. Une situation qui n'est pas aussi alarmante que certains veulent le faire croire.
LA VIGNE : Faut-il s'inquiéter des teneurs en cuivre dans les sols viticoles ?
Dominique Arrouays : La teneur en cuivre est forte à très forte en Bordelais, dans le Languedoc-Roussillon comme en Val de Loire ou le long de la Saône et du Rhône. On mesure parfois plusieurs centaines de mg/kg de terre. Cet élément provient des traitements à la bouillie bordelaise. Peu mobile, il s'accumule au fil des années sans se dégrader, ce qui pourrait avoir un impact négatif à long terme sur la vie biologique du sol. On le retrouve sur une profondeur de 50 à 60 cm à des doses encore tolérables pour la vigne. Mais il peut présenter une toxicité pour d'autres cultures, comme les céréales, en cas de reconversion des parcelles. Et dans les sols sensibles à l'érosion, il peut être entraîné par les pluies avec la terre et se retrouver dans les eaux.
Vous trouvez également du plomb. Comment l'expliquer ?
D. A. : Le plomb est présent de façon plus localisée, par exemple en Bordelais. Il provient de traitements à l'arséniate de plomb aujourd'hui interdits. Comme le cuivre, il reste fixé dans les sols et pourrait être diffusé dans les eaux en cas d'érosion.
Qu'en est-il de la teneur en matière organique ? Est-elle trop faible ?
D. A. : Dans les sols viticoles de notre base de données, le taux moyen de matière organique est de 2 %, avec une grande partie des parcelles qui se situent en dessous de 2 %. Par comparaison, ce taux atteint 2,9 % dans les terres labourables et 5,2 % dans les prairies. Il y a plusieurs explications à ces différences. Les restitutions de matière, limitées aux sarments et parfois aux rafles, sont plus faibles avec la vigne qu'avec des cultures annuelles. Les adventices, source de matière organique, ont été éliminées dans les vignes durant des décennies grâce au travail du sol, avec de fréquentes interventions qui ont favorisé la minéralisation de la matière organique. Ceci dit, son taux s'apprécie dans chaque parcelle en fonction du type de sol et des objectifs de la culture. En vigne, la vigueur ne doit pas être excessive. La situation n'est vraiment préoccupante que dans les sols sensibles à l'érosion où un faible taux de matière organique fragilise la stabilité structurale. C'est là qu'il faut agir en priorité.
Les sols viticoles sont-ils compactés ?
D. A. : Notre bilan ne permet pas de le dire. Au sein du réseau de mesure de la qualité des sols, nous avons réalisé des fosses pour observer la structure du sol. Mais il est difficile d'en tirer des conclusions pour l'instant. Une autre étude, coordonnée par Hubert Boizard, de l'Inra d'Estrées-Mons, dans la Somme, a porté sur les contraintes subies par les sols au cours des différents travaux. Hubert Boizard a mis en évidence que le risque de tassement est élevé en viticulture compte tenu du nombre de passages, qui varie entre douze et vingt-cinq par an, du poids des engins et de la pression des pneus. La pression exercée sur le sol par les gros-porteurs, machines à vendanger ou enjambeurs lourds, peut atteindre 280 kilopascals (kPa) au niveau des bandes de roulement. Pour un tracteur, un pulvérisateur et une cuve de 800 litres, elle est déjà de 100 kPa, alors que le risque de tassement en conditions humides démarre à partir de 70 ou 80 kPa. Le compactage réel dans la parcelle dépend ensuite de la stabilité structurale du sol, de son humidité au moment de l'intervention et de la présence ou non d'un enherbement.
Qu'en est-il de l'érosion ?
D. A. : En France, près de 20 % des sols peuvent subir une érosion hydrique du fait de la topographie. Les vignes sont concernées. Elles se situent souvent en coteau et laissent une grande partie du sol nu. Le développement de l'enherbement dans les interrangs a réduit les risques en améliorant la stabilité structurale et en facilitant l'infiltration des eaux. Mais cet enherbement n'est pas présent dans toutes les parcelles. Le ravinement se traduit par une perte de terre fertile. Mais surtout, il peut entraîner dans les eaux des résidus de traitements phytosanitaires fixés dans le sol et contribuer ainsi à la diffusion des pollutions dans le milieu naturel.
Quelle est la principale menace qui pèse sur les sols en France ?
D. A. : L'artificialisation. C'est de loin la menace la plus irréversible qui pèse sur les sols agricoles. Une fois utilisés pour l'agrandissement des villes et des voies de communication, ils ne peuvent plus redevenir cultivables. Le mouvement s'accélère. En France, entre 2003 et 2009, l'équivalent d'un département français a été artificialisé en sept ans. Pour artificialiser la même surface dans la période précédente, il avait fallu dix ans.
Votre étude va-t-elle se poursuivre ?
D. A. : Oui, si nous disposons du budget nécessaire pour refaire le même état des lieux dans une dizaine d'années. Nous pourrons alors commencer à mesurer l'évolution des sols dans le temps. Les pratiques culturales se modifient au fil des années. Le climat évolue aussi. Le réchauffement pourrait accélérer la minéralisation de la matière organique, qui est déjà plus intense dans le sud que dans le nord du pays. S'il s'accompagnait de pluies plus violentes, il pourrait aussi aggraver la perte de sol par érosion.
Dix ans de travail, quarante laboratoires et des moyens humains conséquents
C'est la première fois qu'une étude exhaustive des sols est réalisée en France. Au-delà de l'état des lieux, l'objectif est de mettre en place une surveillance à long terme, pour repérer d'éventuelles dégradations. « À l'échelle de temps de la vie humaine, le sol n'est pas une ressource renouvelable », rappelle Dominique Arrouays. L'étude s'adresse à tous ceux qui s'occupent d'agriculture, d'aménagement du territoire ou de préservation des milieux naturels. Elle rappelle les différents services rendus par les sols, qui participent aux cycles de l'eau, du carbone et de l'azote, essentiels pour la vie sur terre. Puis elle décrit les pressions qu'ils subissent ainsi que leurs caractéristiques actuelles, qu'ils soient cultivés ou non.
Réalisée dans le cadre du Groupement d'intérêt scientifique sur les sols (GIS-Sol), l'étude a été coordonnée par InfoSol, une unité de l'Inra. Le travail a duré dix ans. « Une quarantaine de laboratoires de recherche y ont participé. Sur le terrain, plusieurs centaines de personnes se sont mobilisées pour recueillir les données. Et 58 rédacteurs ont présenté les résultats, qui sont également repris dans des cartes », précise Dominique Arrouays. Le Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) a permis de quadriller le territoire avec une maille de 16 km x 16 km. Dans ce cadre, 13 000 échantillons ont été prélevés sur 2 200 sites avant d'être analysés. La Base de données des analyses de terre (BDAT) a aussi fourni de nombreuses informations. Elle contient 15 millions d'analyses de sol réalisées pour des agriculteurs entre 1990 et 2005. Les résultats ont été retravaillés et agrégés par canton.
Pour télécharger le rapport complet ou la synthèse de 28 pages, rendez-vous à l'adresse suivante : http://www.gissol.fr/RESF/index.php
«Des sols encore vivants»
LA VIGNE : Certains prétendent que les sols viticoles sont morts. Est-ce le cas ?
Dominique Arrouays : Non, ils ne sont pas morts. Nous avons trouvé une vie biologique dans tous les sols cultivés, avec une intensité très variable. Pour évaluer la masse vivante, nous avons extrait l'ADN présent dans la terre. C'est dans les vignes qu'on trouve les chiffres les plus bas. Cela peut être lié à la faiblesse des taux de matière organique ou encore à la présence de cuivre.
La biodiversité est-elle satisfaisante ?
D. A. : Grâce à la méthode d'analyse PCR, nous avons pu dénombrer les familles de micro-organismes présents. Leur diversité est plus faible dans les sols viticoles, sans doute parce qu'il s'agit d'une monoculture. La rotation des cultures favorise l'installation d'espèces plus diversifiées.
Avez-vous compté les lombrics ?
D. A. : Oui, mais pas sur des échantillons de sols viticoles. Pour généraliser l'évaluation de la faune présente dans les sols, il faudrait utiliser la PCR. Pour l'instant, nous sommes encore limités par des contraintes méthodologiques et analytiques.