Retour

imprimer l'article Imprimer

VIN

Dominique Lanzmann-Petithory, médecin hospitalier, docteur en épidémiologie de la nutrition et spécialiste de santé publique « Le french paradox reste irréfutable ! »

Propos recueillis par Marine Balue - La vigne - n°239 - février 2012 - page 50

Il y a vingt ans, le professeur Serge Renaud faisait découvrir le « french pardox » au grand public américain puis français. Dominique Lanzmann-Petithory, qui poursuit ses recherches, rappelle qu'il n'a jamais été contredit. Elle révèle qu'il avait dû se justifier après ses déclarations, car elles avaient provoqué un petit scandale.

LA VIGNE : Pouvez-vous nous rappeler ce qu'est le « french paradox » ?

Dominique Lanzmann-Petithory : En France, le taux de mortalité lié aux maladies cardio-vasculaires est très bas par rapport à d'autres pays industrialisés. Cela malgré des facteurs de risque, comme le taux de cholestérol, l'hypertension, le tabagisme ou la consommation de graisses saturées, aussi élevés qu'ailleurs. C'est le paradoxe français. Le premier à l'avoir observé est le professeur Jacques Richard dans une étude prospective qu'il a publiée à la fin des années quatre-vingt. En 1990, un journaliste américain l'a interviewé dans le magazine « In Health ». C'est la première apparition de l'expression « french paradox ».

Comment cette expression est-elle devenue populaire ?

D. L.-P. : Cette observation intriguait beaucoup les États-Unis. Fin 1991, une équipe de la chaîne de télévision CBS est venue en France réaliser un reportage sur le sujet pour l'émission « 60 minutes » (un des magazines d'information les plus regardés par les téléspectateurs américains le dimanche soir depuis 1968, NDLR). Les journalistes ont alors interrogé le professeur Serge Renaud, chercheur à l'Inserm de Lyon, connu pour ses travaux de longue date sur la thrombose (formation d'un caillot de sang à l'origine des infarctus). Ce dernier a évoqué l'hypothèse que la consommation d'alcool en France pouvait expliquer en partie le paradoxe français. Il était ensuite filmé avec un verre de vin rouge. C'est ainsi que le grand public a découvert le « french paradox ».

Quelles conséquences a eu l'émission ?

D. L.-P. : L'émission a eu un réel succès : 50 millions d'Américains l'ont regardée. Elle a fortement accru l'intérêt pour le vin aux États-Unis, où les ventes ont presque doublé l'année suivante. Le cabinet d'expertise américain Gromberg, Fredrickson and Associates a analysé qu'entre 1994 et 1998, les exportations de vins français vers les États-Unis ont été multipliées par deux. Mais l'intervention de Serge Renaud a aussi provoqué un petit scandale ! À tel point que le bureau des alcools, tabacs et armes à feu (ATF) des États-Unis a demandé à la DGCCRF, le service de lutte contre les fraudes, que le chercheur justifie ses propos. En juin 1992, Serge Renaud a donc publié un article scientifique (1) expliquant le « french paradox » dans la revue médicale réputée « The Lancet ». Il a noté, par exemple, que les Américains avaient un taux de mortalité cardio-vasculaire trois fois et demie plus élevé que les Français malgré des facteurs de risque moindres. Selon lui, tenir compte de la consommation de vin permettrait d'expliquer les différences entre pays. L'émission et cette publication ont été un véritable point de départ pour la recherche sur le thème du vin et de la santé.

Le « french paradox » a été remis en cause plusieurs fois…

D. L.-P. : Depuis vingt ans, tout a été dit sur le « french paradox ». D'abord, les méthodes de diagnostic cardiaque françaises ont été critiquées. Or, plusieurs études ont montré qu'elles étaient bien valables.

Certains scientifiques ont aussi parlé de « gradient nord-sud » et de « paradoxe méditerranéen », et non de paradoxe français. À savoir que le phénomène se vérifiait beaucoup plus dans le sud que dans le nord de la France. Mais ils se basaient sur une étude ne concernant que trois villes françaises : Lille, Strasbourg et Toulouse. Il me paraît donc difficile de parler de gradient.

Parmi les controverses, certains estiment que ce n'est pas le vin qui est responsable du « french paradox », mais plutôt la consommation de fruits et légumes. Or, des études ont pointé que le paradoxe ne se vérifiait pas dans certains pays à forte consommation de fruits et légumes. Cette hypothèse n'est donc pas bonne.

Malgré toutes ces remises en cause, le « french paradox » reste irréfutable ! C'est un fait : encore aujourd'hui, la mortalité moyenne due aux maladies cardio-vasculaires en France est très faible. Elle est la plus basse du monde après celle du Japon.

Des études ont souligné l'effet positif du vin sur la santé. Quelles sont les plus marquantes ?

D. L.-P. : Il y en a eu quelques-unes avant 1991. Dans les années soixante-dix, sur demande du National Institute of Health, l'institut de la santé américain, l'étude de Framinghan avait montré que la consommation d'alcool n'était pas dangereuse pour le cœur, au contraire.

En 1979, le professeur anglais Saint-Léger a aussi publié dans « The Lancet » les résultats d'une étude écologique sur dix-huit pays. Il s'agissait d'une analyse statistique à partir de données de la FAO et de l'OMS, organisations mondiales de l'agriculture, de l'alimentation et de la santé. Saint-Léger a remarqué que les pays où la consommation de vin était la plus élevée – avec la France et l'Italie en tête – ont la mortalité cardiovasculaire la plus basse. Cela ne constitue pas une preuve de l'effet bénéfique du vin, c'est juste un constat.

À partir des années quatre-vingt-dix, de nombreuses études épidémiologiques ont confirmé l'effet protecteur du vin. Parmi celles qui distinguent le vin, la bière et les alcools forts, quelques-unes me semblent importantes. À la fin des années quatre-vingt-dix, une équipe de chercheurs danois dirigée par Morten Grønbæk s'est basée sur les données de la Copenhagen City Heart Study qui compilait l'analyse de plus de treize mille personnes suivies pendant seize ans. Ces chercheurs ont montré que la consommation modérée et régulière de vin diminue le risque d'infarctus. Et que ce n'est pas le cas avec la bière ou les alcools forts. Le département de recherche du Kaiser Permanente, en Californie (États-Unis), travaille aussi beaucoup sur le sujet. Ses chercheurs ont notamment remarqué que les buveurs légers à modérés d'alcool ont un risque de mortalité plus faible que les autres. Le vin est l'alcool qui diminue le plus le risque, qu'il soit rouge, blanc ou que l'on boive un peu des deux.

Enfin, l'étude de Nancy, en Meurthe-et-Moselle, que je coordonne à la suite de Serge Renaud, va dans le même sens. Le professeur avait déjà montré que la consommation modérée de vin pouvait diminuer le risque d'accident cardio-vasculaire de 40 %. Plus tard, nous avons mis en évidence que consommer du vin à dose modérée, et si la moitié de la consommation d'alcool est sous forme de vin, diminue le risque de cancer. Cette étude suit depuis vingt-cinq ans plus de cent mille patients qui sont passés au Centre de médecine préventive de Nancy. Ce qui nous a permis de collecter des milliers de données et d'obtenir de nombreux résultats, que je n'ai pas encore publiés. Mais cela ne saurait tarder…

Sait-on expliquer les bienfaits du vin sur le cœur et la santé ?

D. L.-P. : Des recherches spécifiques ont tenté de trouver l'explication scientifique du « french paradox » et de l'effet protecteur du vin. Ce que l'on sait, c'est que le vin contient des milliers de molécules de polyphénols, qui sont des anti-oxydants naturels. Le vin rouge en contient beaucoup plus que le jus de raisin grâce à la macération. Et l'on considère que l'effet positif des polyphénols sur la santé contrebalance l'effet négatif que peut avoir l'alcool. En revanche, on connaît assez peu les mécanismes qui interviennent. Il existe probablement une synergie entre tous ces polyphénols, ce qui complique les choses.

En général, la recherche part d'une hypothèse dégagée par les études épidémiologiques. Les chercheurs étudient alors en laboratoire l'effet de telle ou telle molécule sur un organe, puis sur une cellule. Mais quand il s'agit de travailler à l'échelle de l'individu, cela devient très complexe. Il faut mettre en place des études d'intervention, qui se déroulent souvent sur plusieurs années. Il faut également tenir compte des aspects éthiques, comme tous les problèmes liés à l'alcool… Au final, je ne sais pas si nous aurons un jour l'explication exacte du phénomène.

Quelles sont les pistes de recherche actuelles sur le sujet ?

D. L.-P. : Les études d'intervention récentes sur l'effet du vin sur la maladie d'Alzheimer n'ont pas bien marché. Les résultats sont décevants. Une autre étude, génétique cette fois, a été lancée sur le rôle du resvératrol sur la longévité (voir encadré ci-dessous). Enfin, des recherches sont toujours en cours sur la relation entre la consommation de vin et les cancers.

(1) Wine, alcohol, platelets and the french paradox for coronary heart disease, « Lancet » 20 juin 1992.

Et le resvératrol dans tout ça ?

Parmi les polyphénols du vin, le resvératrol a fait l'objet de nombreux espoirs. Présent dans le raisin, il se retrouve dans le vin rouge et plusieurs aliments, comme les épices par exemple, en contiennent. « Cette molécule a démontré beaucoup d'effets positifs, in vitro », indique Dominique Lanzmann-Petithory. Des chercheurs ont souligné son effet préventif sur les maladies cardio-vasculaires et sur certains cancers. D'après le docteur Lanzmann-Petithory, des études génétiques suggèrent qu'il augmenterait la longévité. « Il déclencherait dans l'organisme un processus similaire à une restriction calorique. Or, il a été prouvé chez beaucoup d'animaux que celle-ci peut prolonger, dans une certaine mesure, l'espérance de vie. » Une étude à long terme a été lancée il y a une vingtaine d'années sur des singes pour vérifier cette propriété. « Des médicaments à base de resvératrol pourraient être envisagés. Mais dans le vin, les quantités sont trop faibles pour que l'on puisse le conseiller comme source de resvératrol », souligne toutefois Dominique Lanzmann-Petithory.

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

PARCOURS

Titulaire d'un DEA et d'un doctorat en épidémiologie de la nutrition.

Depuis 1988, travaille avec Serge Renaud sur les oméga 3 et les matières grasses.

De 1988 à 2001, responsable de la recherche en nutrition chez Danone en parallèle de ses recherches.

En 2003, commence à travailler sur les polyphénols du vin.

Aujourd'hui, médecin praticien à l'hôpital Émile Roux, à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne) et enseignante chercheuse à l'ISVV de Bordeaux.

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :