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VIN

Un programme pour produire mieux à moindre coût

Marie Pierron-Gordien - La vigne - n°239 - février 2012 - page 54

L'IFV et les chambres d'agriculture travaillent dans des propriétés dont les vins plaisent aux consommateurs. Ils testent des itinéraires de vinification pour produire aussi bien qu'elles, mais à moindre coût.
REMONTAGES. Sur une cuvée d'essai, l'IFV a supprimé la macération préfermentaire à froid et utilisé une enzyme ainsi qu'une levure d'entrée de gamme. Il a réalisé des remontages fractionnés et des délestages. © P. ROY

REMONTAGES. Sur une cuvée d'essai, l'IFV a supprimé la macération préfermentaire à froid et utilisé une enzyme ainsi qu'une levure d'entrée de gamme. Il a réalisé des remontages fractionnés et des délestages. © P. ROY

L'Institut français de la vigne et du vin (IFV) et les chambres d'agriculture de différentes régions ont initié dès 2007 un programme intitulé « évaluation technique, économique et environnementale des itinéraires d'élaboration des vins ». Le but : acquérir des références pour donner aux viticulteurs les moyens de produire des vins qui se vendent, mais aussi les aider à faire évoluer les caractéristiques sensorielles de leurs vins pour mieux correspondre aux attentes du consommateur, si possible en réduisant les coûts de production et l'impact environnemental.

Les itinéraires de vinification subissent donc une triple évaluation :

technique, grâce à de nombreuses analyses physicochimiques et sensorielles ; - économique, parce qu'il s'agit de produire des vins de qualité à moindre coût ;

environnementale, pour essayer de limiter l'impact des opérations de vinification.

À Bordeaux (Gironde), l'essentiel du travail porte sur l'AOC Bordeaux rouge. Pour commencer, l'IFV et la chambre d'agriculture ont sélectionné quinze vins de propriétés réputées et médaillés à des concours ou cités dans des guides. « Nous avons considéré que ces produits correspondent à un marché actif dans lequel les consommateurs sont satisfaits », explique Charlotte Anneraud, de l'IFV pôle Bordeaux-Aquitaine.

Des experts ont dégusté ces vins pour dresser leur profil gustatif. Sept sur quinze avaient le même : épicé, boisé, fruité, rond et structuré, avec des tanins souples. L'IFV a distingué trois autres styles de vins, tous plus astringents. Il a donc concentré ses efforts sur le type dominant, le plus apprécié et le plus équilibré.

Les expérimentateurs se sont rendus dans les propriétés pour recueillir des données sur leurs itinéraires de vinification et conduire des essais durant deux millésimes consécutifs. Partant de l'itinéraire appliqué par ces caves (considéré comme témoin), ils ont défini un itinéraire bis pour faire mieux à moindre coût. Un défi difficile.

Des enzymes remplacent la thermovinification

L'une des solutions expérimentées consiste à remplacer la thermovinification, technique coûteuse en énergie, par l'ajout d'enzymes d'extraction. Le but est de réduire à la fois le coût et l'impact environnemental de la vinification, tout en assurant une bonne extraction des composés phénoliques.

L'IFV teste d'autres pistes. En 2008 et en 2009, il a travaillé dans une propriété qui pratique la macération préfermentaire à froid et qui emploie une enzyme et une souche de levure haut de gamme (Lafase grand cru et Actiflore F33) pour obtenir des vins colorés, ronds et fruités (voir le témoignage de Samuel Mestre).

Pour produire aussi bien et moins cher, les expérimentateurs ont supprimé la macération préfermentaire à froid et utilisé une enzyme et une levure d'entrée de gamme (Rapidase Ex Color et 522 Davis). En contrepartie, ils ont réalisé des remontages fractionnés et introduit des délestages. À l'arrivée, ils ont obtenu un vin plus coloré. Un jury de dégustation l'a jugé plus structuré et plus boisé que le vin thermovinifié, alors qu'il avait subi le même élevage en barrique. Le tout pour un coût moindre.

Durant leur passage dans les caves, les expérimentateurs réalisent de nombreux relevés afin d'acquérir des références sur la consommation d'eau ou d'énergie, les temps de travaux et la production d'effluents associée à chaque intervention. À l'arrivée, c'est la dégustation qui tranche pour valider si l'itinéraire bis apporte un plus dans la signature du vin ou non. L'acquisition des données est toujours en cours. « L'évaluation environnementale des procédés reste difficile car peu de références sont disponibles », ajoute Charlotte Anneraud.

L'IFV prévoit d'aboutir d'ici trois à cinq ans à la mise en ligne d'une base de données complète, incluant les références obtenues lors de ce programme et celles acquises depuis une vingtaine d'années avec les chambres d'agriculture. L'institut veut aussi créer un outil d'aide à la décision pour permettre aux responsables d'exploitation ou à leurs conseillers de choisir les itinéraires techniques les plus économiques et écologiques correspondants au style de vins qu'ils veulent produire.

Le Point de vue de

Francis Massé, château Queyssard, 50 ha à Pompignac (Gironde). Essai mené sur 150 hl de bordeaux rosé

« Des résultats positifs sur deux millésimes »

Francis Massé, château Queyssard, 50 ha à Pompignac (Gironde). Essai mené sur 150 hl de bordeaux rosé © P. ROY

Francis Massé, château Queyssard, 50 ha à Pompignac (Gironde). Essai mené sur 150 hl de bordeaux rosé © P. ROY

« Je produis 40 000 bouteilles de rosé que je vends 3,75 euros la bouteille en vente directe. Après une macération pelliculaire de 24 à 48 heures à 10°C suivie d'un débourbage au froid, je les vinifie à basse température (16°C) pour garder fraîcheur et arômes fruités. Je suis habitué à travailler avec des techniciens. Cela m'apporte un recul sur la propriété et me permet d'améliorer mes méthodes de travail. L'essai a consisté à coller les moûts à la bentonite dès l'encuvage au lieu d'attendre la fin de la fermentation alcoolique, afin que les vins se clarifient plus rapidement. Les moûts ont donc fermenté avec la bentonite. Je n'étais pas du tout habitué à travailler comme cela. Mais les résultats sont là. Les lies se sont mieux tassées.

J'ai pu me débarrasser plus rapidement des lies épaisses après la fin de la fermentation. J'ai gagné un ou deux soutirages, des opérations qui sont coûteuses en temps et qui consomment de l'eau. Mes vins étaient prêts plus tôt à être mis en bouteille car ils se sont clarifiés plus rapidement. À la dégustation, les deux cuves étaient comparables. Néanmoins, le vin qui a fermenté sur bentonite présentait un peu plus de gras et d'arômes fruités. Je pense que c'est en partie grâce à l'élevage sur lies plus fines que j'ai pu réaliser après la clarification précoce. Je suis satisfait de cet essai qui a donné des résultats positifs sur les deux millésimes. »

Le Point de vue de

Samuel Mestre, château Roquefort, 100 ha à Lugasson (Gironde). Essai sur 160 hl de bordeaux rouge

« Un vin légèrement plus austère et moins fruité »

Samuel Mestre, château Roquefort, 100 ha à Lugasson (Gironde). Essai sur 160 hl de bordeaux rouge

Samuel Mestre, château Roquefort, 100 ha à Lugasson (Gironde). Essai sur 160 hl de bordeaux rouge

« L'essai a porté sur notre bordeaux rouge classique, un vin que nous produisons sur 30 ha et que nous vendons 6 euros la bouteille au départ de la propriété. Je le vinifie après une macération préfermentaire à froid (10°C). Je réalise beaucoup de remontages au début, jusqu'à 1 020 de densité, pour bien extraire.

Après, j'en effectue moins pour ne pas avoir un vin trop dur. Pour l'itinéraire bis, l'IFV m'a demandé de supprimer le refroidissement de la vendange, de levurer dès l'encuvage, d'effectuer moins de remontages au début et d'écourter la cuvaison. À la place des remontages, ils m'ont demandé de réaliser un délestage. Ce programme était destiné à faire des économies, mais comme je vendange tôt le matin, le raisin entre frais à la cave. Cela ne me coûte donc pas cher de le refroidir. J'élève ce vin (les deux tiers de la cuvée) douze mois en barriques. Juste avant l'entonnage, j'ai trouvé la cuve IFV plus austère et moins fruitée que la mienne. Mais les différences n'étaient pas très importantes. Et l'élevage en barriques les a lissées. J'ai remarqué cela les deux années. Durant l'essai, j'ai bénéficié d'analyses très poussées comme le dosage des éthyls phénols ou le contrôle de l'efficacité des levurages. C'est intéressant d'avoir ce genre d'informations. Pour l'instant, je n'ai pas changé ma façon de faire. J'attends les conclusions sur l'ensemble du programme d'essai. »

NDLR : le jury de dégustation convoqué par l'IFV a préféré les vins de l'essai.

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