LE VIGNOBLE DE GAÏ KODZOR s'étend en bord de mer sur les derniers contreforts du Caucase entre 300 et 350 mètres d'altitude. Une terre adaptée au vignoble. Pour preuve, la culture de la vigne y était déjà présente, il y a 2 500 ans. © DOMAINE GAÏ KODZOR
FRANK DUSEIGNEUR, diplômé de l'Enita de Bordeaux, s'est installé en 2003, avec sa femme, dans la région de Kouban (Kraï de Krasnodar). Il est alors âgé de 26 ans. Aujourd'hui, il dirige le domaine Château Grand Vostok. PHOTOS M. DUMEURGER
BENJAMIN CARTEYRON exerce comme consultant à Bordeaux, en Nouvelle-Zélande, au Maroc et en Californie. Plusieurs mois par an, il travaille comme œnologue au domaine Gaï Kodzor. PHOTOS M. DUMEURGER
SUR LE DOMAINE DE TSIMLIANSKIE VINA, le vin rouge mousseux, considéré haut de gamme, est produit selon les méthodes traditionnelles cosaques. La fermentation a lieu à l'air libre, dans des cuves ouvertes en bois. Elle dure quatre jours. Pour cette qualité de vin, le domaine utilise le raisin récolté dans la région.
SUR LE DOMAINE DE TSIMLIANSKIE VINA, le vin rouge mousseux, considéré haut de gamme, est produit selon les méthodes traditionnelles cosaques. La fermentation a lieu à l'air libre, dans des cuves ouvertes en bois. Elle dure quatre jours. Pour cette qualité de vin, le domaine utilise le raisin récolté dans la région.
Il y a peu, le président russe Dmitri Medvedev déclarait qu'il allait encourager la viticulture pour combattre l'alcoolisme et son agent, la vodka. Le travail à accomplir est conséquent mais la population, surtout les jeunes citadins aisés, boit de plus en plus de vin. Entre 1991 et 2009, la consommation a augmenté de 54 % et on estime que chaque Russe boit en moyenne sept litres de vin par an.
Le vignoble revient de loin car, à la chute de l'URSS, Gorbatchev impose un plan de lutte contre l'alcoolisme qui se solde par l'arrachage de plus de la moitié du vignoble. Mais peu à peu, le vin fait son retour. En 2010, la Russie a produit une quantité record pour les vingt dernières années : 7,6 millions d'hl, dont 5,4 de vins tranquilles et 2,3 d'effervescents. La majeure partie des vignobles est implantée au sud du pays, entre la mer Noire et la mer Caspienne, là où les conditions climatiques sont les plus favorables. Sur la rive orientale de la mer Noire, les régions voisines de Rostov et de Krasnodar en regroupent à elles seules près de la moitié.
Plus de « champanskoe » en 2022
Cette année, l'usine de Tsimlianskie vina, à quelque 200 km à l'est de Rostov, fêtait justement ses 250 années d'existence. Avec un domaine qui s'étend sur 1 000 hectares, elle incarne bien cette production de masse, reliquat de l'époque soviétique. Elle est surtout connue pour ses vins mousseux appréciés des consommateurs russes et connus sous le nom de « champanskoe », appelé à disparaître. En effet, suite à un récent accord avec le comité des vins de Champagne, l'appellation doit être abandonnée pour 2022.
L'hiver, le climat est rude. Il gèle pendant plusieurs mois. Pour protéger les pieds du gel, les viticulteurs les recouvrent de terre. Comme l'usine ne produit pas suffisamment de raisins, son entrée de gamme est composée à 60 % de vin de base importé en partie de France. Il existe même des usines qui ne font qu'assembler des vins importés puis leur fait prendre mousse. Selon la législation, ces bouteilles peuvent porter la mention « vins de Russie ». En effet, le pays n'a pas encore légiféré sur la provenance géographique d'un vin. À côté de ses grosses structures, d'autres initiatives émergent avec une volonté de travailler différemment. Mais le changement prend du temps. Difficile pour ces exploitations souvent plus petites d'obtenir les différentes licences pour produire de l'alcool, mettre en bouteille et planter les cépages qu'ils souhaitent quand la législation est faite pour les usines à vin.
Dans la région de Krasnodar, tout au bord de la mer Noire, le château Grand Vostock et ses 260 ha, dont 200 en production, existe depuis 2003. À l'époque, c'est le premier établissement à faire tout son vin sur place, de la culture à la mise en bouteille. Le domaine s'est installé après analyse des sols et du climat. Il a importé tout son équipement de France.
« Je suis venu faire des choses simples et jolies »
Dans cette région, il gèle rarement. Un climat doux pour la Russie. Néanmoins, « le climat et irrégulier. Pour faire un vin constant, nous jouons sur les assemblages », explique Frank Duseigneur, le directeur général, un Français présent depuis le début. « L'idée m'a plu : suivre un projet dès son départ, être dans la vigne (rare pour un producteur de vin en Russie, NDLR) et faire des choses simples et jolies. »
Le château Grand Vostok cultive du merlot, de la syrah, du cabernet franc mais aussi des cépages locaux, du krasnostop notamment. Il produit 1,5 million de bouteilles par an et les prix vont de 200 à 1 100 roubles (5 à 28 euros). Outre la boutique du domaine, les vins sont surtout distribués à Moscou en boutique et dans les restaurants.
Non loin de là, Gaï Kodzor, avec ses 70 ha, possède aussi une approche unique. Fondé par trois Russes avec l'aide de deux Français, Alain Dugas et Noël Rabot, ce domaine est le seul en Russie à cultiver du viognier, de la roussane et du mourvèdre. Après de longues et fastidieuses démarches, il a obtenu une permission spéciale du ministère de l'Agriculture pour les planter. En Russie, un registre datant de l'URSS liste les cépages autorisés, favorisant les locaux.
Un chardonnay complexe, un gewurtz droit et fruité
Situés en bord de mer, ses terroirs variés – des sols noirs orientés nord, des sols bruns calcaires orientés sud – réunissent quatorze cépages du Rhône, de Bourgogne, d'Alsace et du Bordelais. Encore à ses débuts, le domaine produit environ 320 000 bouteilles par an et envisage d'atteindre les 400 000. Édouard Alexandrov, initiateur du projet, explique :
« Nous avons des rendements entre 30 et 40 hl/ha. Nos vignes sont jeunes. Nous ne les chargeons pas et, sur certains cépages, nous faisons tomber 40 % des grappes. D'ici deux à trois ans, nous pensons atteindre 40 à 50 hl/ha, pas plus. Nous voulons conserver la qualité. Produire en quantité ne nous intéresse pas. » Confidentielle, la production est vendue chez quelques cavistes et restaurants haut de gamme, notamment à Moscou. « Nous voulons retrouver l'expression de chaque cépage : un chardonnay gras et complexe, un gewurztraminer droit, fruité, avec une certaine acidité, détaille Benjamin Carteyron, l'œnologue. Aujourd'hui, nos rouges sont faciles à boire, toujours sur le fruit, car la vigne est encore jeune. Mais cette année, ils seront plus diversifiés, plus charnus et plus complexes. »
Reste aux vins russes à s'imposer sur le marché intérieur. « Que ce soit Château Vostock, Gaï Kodzor ou Fanagoria, ce sont des vins modernes qui gagnent la confiance des consommateurs », se réjouit un caviste à Moscou. Mais la concurrence est là, celle des vins du Nouveau Monde notamment, quand les contraintes administratives, les coûts de production et la corruption viennent peser sur les vins locaux.