Cette vue en microscopie optique montre qu'au laboratoire, le cuivre présente un effet « stoppant » sur le mildiou. Ces disques foliaires ont été contaminés par le mildiou. On observe de nombreuses fructifications dans le témoin. Ceux traités sept heures après la contamination avec une bouillie bordelaise classique ou de l'hydroxyde ont des fructifications moins nombreuses et surtout moins actives. L'effet de l'hydroxyde est supérieur à celui de la bouillie bordelaise. La vue en microscopie à fluorescence avec un fluorochrome bleu qui colore les membranes des spores en bleu met en évidence la même chose.
La brochantite est à la mode. Et pour cause : des trois sels de cuivre qui se forment lorsqu'on mélange du sulfate de cuivre et de la chaux pour obtenir de la bouillie bordelaise, c'est le plus efficace contre le mildiou. Depuis une dizaine d'années, les firmes savent fabriquer des bouillies bordelaises ne contenant que de la brochantite comme principe actif. C'est ainsi que les doses homologuées de certaines d'entre elles ont pu descendre jusqu'à 750_g/ha de cuivre métal.
Arguments favorables
Pionnier en la matière, Cerexagri commercialise sa Bouillie bordelaise RSR Disperss depuis 2002. Phyteurop vient de lui emboîter le pas en lançant pour cette saison la Bouillie bordelaise Caffaro WG dont la « forme de cuivre est exclusivement en brochantite ».
Mais c'est Nufarm qui vient de fournir des arguments expérimentaux en faveur de cette substance. En 2010, cette société a lancé Cuproxat SC, un fongicide contenant uniquement ce sel de cuivre. Elle vient de présenter les résultats d'une étude le comparant à la bouillie bordelaise classique, à l'hydroxyde de cuivre et à l'oxyde cuivreux.
« La performance d'un fongicide cuprique dépend surtout de sa disponibilité en ions cuivriques (Cu2+) pendant la période d'infection, rappelle Simon Moyal, chef marché cultures spécialisées chez Nufarm. Les ions cuivriques sont absorbés passivement par les spores du mildiou et s'y accumulent jusqu'au moment où leur concentration devient létale. »
Le cuivre agit sur le mildiou en modifiant ses processus respiratoire et d'oxydoréduction, en ralentissant la biosynthèse des protéines et en dénaturant la perméabilité des parois cellulaires.
À la demande de Nufarm, la société Biotransfert a réalisé plusieurs essais en laboratoire sur les différentes formes de cuivre à la dose de 750 g/ha. Dans l'une des expériences, elle a prélevé des sporocystes (fructifications) de mildiou. Après un temps d'incubation, elle les a mis en contact avec différentes formes de cuivre. Elle a observé que la brochantite (Cuproxat) tue les premiers sporocystes au bout de quinze minutes et que l'hydroxyde les bloque en une demi-heure. Loin derrière, la bouillie bordelaise classique met une à trois heures pour agir et empêcher la libération des zoospores, donc les contaminations secondaires. « Il existe une différence d'action significative entre la brochantite et la bouillie bordelaise classique, note Simon Moyal, de Nufarm. Si le vigneron a tardé pour traiter et que le mildiou est prêt à pénétrer dans les stomates, il doit utiliser de la brochantite ou un hydroxyde. » Nufarm a demandé à Biotransfert de réaliser quantité d'autres essais qui précisent les propriétés du cuivre. L'un d'entre eux démontre qu'il présente un effet « stoppant ». On sait que le cuivre empêche tout développement du mildiou lorsqu'il est déposé sur les feuilles avant toute contamination. Mais qu'en est-il lorsque le traitement intervient avec un peu de retard ?
Efficacité de l'hydroxyde de cuivre
Pour le savoir, Biotransfert a traité des disques foliaires sept heures après leur contamination. Les spores s'étaient déjà enkystées sur les feuilles et avaient commencé à germer. Sept jours plus tard, la société observe des fructifications un peu moins abondantes et surtout beaucoup moins actives que sur les témoins non traités. Lors de cet essai, la société a comparé une bouillie bordelaise classique à un hydroxyde de cuivre, ce dernier se montrant le plus efficace.
« L'effet révélé par cette expérience n'est pas un effet éradiquant, précise Simon Moyal. La bouillie bordelaise et l'hydroxyde ne peuvent pas agir lorsque l'infection a débuté et que le pathogène a pénétré dans la feuille. Mais ils peuvent stopper le mildiou au moment où il va libérer ses spores. » En d'autres termes, avec l'hydroxyde, les feuilles contaminées sont tombées malades, mais le mildiou a été suffisamment intoxiqué pour qu'il y ait eu très peu de repiquages. Cela reste à vérifier sur le terrain.
Biotransfert a également constaté que l'hydroxyde de cuivre présente « une légère activité antisporulante alors que celle de la bouillie bordelaise classique est très réduite, voire nulle », affirme Simon Moyal. Pour mettre cet effet en évidence, la société a traité des disques foliaires trois jours après une infection, alors que le mildiou était en phase d'incubation. Des fructifications apparaissent sept jours après l'infection, mais elles sont moins nombreuses après un traitement à l'hydroxyde de cuivre qu'après un traitement à la bouillie bordelaise classique. En 2009, Biotransfert avait déjà mis en évidence l'action antisporulante de l'Héliocuivre, un fongicide d'Action Pin.
Nufarm apporte aussi des éléments concernant la persistance d'action du cuivre. La firme prouve qu'il est capable, quelle que soit sa forme, de bloquer toute infestation, même treize jours après son application, tant qu'il n'est pas lessivé.
Lessivage
Sur la question du lessivage, un essai de Biotransfert montre qu'un épisode orageux intense de 60 mm semble moins préjudiciable qu'une pluie de même importance, mais longue et fine. Cette observation est contraire à l'idée reçue selon laquelle le lessivage du cuivre dépendrait de l'énergie des pluies.
Toujours à la demande de Nufarm, Biotransfert a comparé différents fongicides cupriques appliqués à 750 g/ha lors d'un test de lessivage. Deux hydroxydes haut de gamme se sont montrés les plus performants, conservant toute leur efficacité après une « douche » de 60 mm. Bons derniers du test : une bouillie bordelaise et un hydroxyde classique. « Après un lessivage de 60 mm, la bouillie bordelaise classique assure entre 49 et 67 % d'efficacité en conditions contrôlées », détaille Jean-Marc Seng, de Biotransfert. Cependant, son efficacité a grimpé à 97 % grâce à l'ajout d'un adjuvant de type sticker (Abion E 2 %) à la bouillie bordelaise, preuve du rôle que peuvent jouer les coformulants.
Toutes ces nouvelles données nous rappellent que le cuivre n'a pas encore livré tous ses secrets bien qu'il soit connu depuis des lustres et incontournable en viticulture biologique.
Une matière active qui se porte bien
Malgré l'ancienneté du cuivre, les firmes ne cessent d'innover pour obtenir des produits efficaces à des doses de plus en plus faibles. En 2010, Nufarm a lancé le Cuproxat SC, un fongicide contenant uniquement de la brochantite. En 2011, DuPont a sorti deux nouveaux hydroxydes de cuivre : Kocide Innov et Kocide Opti. DuPont affirme que ces produits présentent « un équilibre entre effet choc et persistance d'action et une bonne résistance au lessivage ». Cette année, Phyteurop commercialise la nouvelle Bouillie bordelaise Caffaro WG fabriquée selon le procédé « fluid bed technology » (voir page 70). Tous ces produits sont homologués à 750 g/ha de cuivre métal. L'intérêt des firmes pour le cuivre tient au fait que le marché des produits se porte bien. Il profite du développement de la viticulture biologique alors que les viticulteurs conventionnels continuent d'en utiliser. « La majorité des utilisations de cuivre relève de la viticulture conventionnelle. La viticulture bio n'en représente que 18 à 20 %, constate Amandine Picard, de DuPont. Le cuivre reste important aux yeux des vignerons conventionnels, notamment le traitement de fin de saison, qu'ils ont réalisé même l'année dernière où la pression était faible. »
Baisse des doses en vue pour le bio
En France, en viticulture biologique, on peut utiliser au maximum 6 kg par ha et par an de cuivre métal, lissable sur cinq ans. Mais la limite maximale autorisée au niveau européen est de 4 kg par ha et par an et l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) se base déjà sur ce seuil pour l'homologation des produits. Cette année, toutes les spécialités cupriques existantes vont être réévaluées. La limite maximale pourrait être revue à la baisse pour les bios. Le cumul annuel autorisé en France en viticulture biologique pourrait passer de 6 kg/ha/an à 4 kg/ ha/an et sans « lissage ».
« Mais on ne devrait pas descendre en dessous de 4 kg », estime Simon Moyal, de Nufarm. Les années de forte pression, la DGAL (Direction générale de l'alimentation) pourrait admettre un dépassement en contrepartie d'un engagement de la filière à réduire les doses et à mettre en œuvre des alternatives les années suivantes. Les firmes se sont en tout cas préparées à l'éventualité d'une restriction d'emploi. « Nos nouveaux produits à base d'hydroxyde de cuivre sont homologués à 2,5 kg/ha, mais ils sont efficaces dès 1,5 kg/ ha », note Amandine Picard, de la société DuPont. Notre hydroxyde Champ Flo Ampli est homologué à 750 g/ha mais nous allons le préconiser à 500 g grâce à la qualité de sa formulation. » Chez Cerexagri, on a aussi anticipé : la dose homologuée de sa Bouillie bordelaise RSR Disperss vient de passer de 1 500 à 750 g/ha de cuivre métal.