Quel est le cycle de ce champignon ?
Le botrytis passe l'hiver sur les sarments ou sur des débris végétaux au sol sous forme de petits amas de mycélium : les sclérotes. Au printemps, ce mycélium se développe, fructifie et libère des spores appelées conidies. Disséminées par le vent ou la pluie, elles se posent sur les fleurs, les feuilles et les pédoncules des grappes. Là, elles germent et pénètrent à l'intérieur des organes végétaux dès lors que trois conditions se trouvent réunies : une température qui dépasse 13°C (l'optimum étant compris entre 18 et 22°C), une pellicule d'eau formée à la surface des organes et un taux d'humidité au-delà de 90 %. Alors, le mycélium se développe, puis fructifie, donnant le feutrage caractéristique de la pourriture grise. Il libère de nouvelles conidies qui se disséminent pour créer de nouveaux foyers de contamination, d'abord sur les parties végétatives, puis sur les grappes. La maladie peut aussi se propager par contact, le mycélium passant directement d'une baie à l'autre.
Comment contamine-t-il la vigne ?
Le botrytis se développe de préférence sur des tissus morts. Les blessures aux baies, résultant de morsures par les vers de la grappe ou d'impacts de grêle, favorisent son installation. Mais il peut aussi pénétrer dans des organes sains en secrétant des enzymes qui lui permettent de dégrader les parois des cellules. « Le champignon peut ainsi contaminer les fleurs et se mettre en attente dans l'ovule », explique Christophe Clément, de l'université de Reims (Marne). L'infection reste latente jusqu'à la véraison et progresse ensuite en même temps que la maturation. « Dans les baies mûres, le botrytis trouve les sucres et l'acide tartrique dont il a besoin pour se nourrir. Ces baies synthétisent aussi moins rapidement des molécules de défense que les baies vertes. Leur pellicule se fragilise. Le champignon peut alors se développer de façon explosive si des pluies surviennent », détaille Marc Fermaud, de l'Inra de Bordeaux (Gironde).
Y a-t-il plusieurs espèces ?
À côté de Botrytis cinerea, les chercheurs ont récemment mis en évidence une seconde espèce, Botrytis pseudocinerea. « La distinction faite précédemment entre B. cinerea vacuma et B. cinerea transposa est obsolète », précise Anne-Sophie Walker, de l'Inra de Grignon, en Île-de-France. B. pseudocinerea est plus présent au moment de la floraison, mais B. cinerea reste dominant tout au long du cycle. Sa diversité génétique est très grande. « Les populations sont importantes. Elles produisent beaucoup de conidies qui migrent facilement, y compris sur des plantes sauvages présentes dans l'environnement des vignes », relève Anne-Sophie Walker. La reproduction sexuée, bien que rarement observée, intervient aussi. Au final, cette grande diversité explique la forte adaptation des populations, notamment aux fongicides.
Quels dégâts provoque-t-il ?
Les attaques en début de cycle peuvent dessécher une partie des inflorescences et entamer le potentiel de récolte. La contamination des baies mûres diminue le pourcentage de jus. Au-delà de 5 à 10 % de baies atteintes, il y a également un impact négatif sur la qualité des vins. Pour l'éviter, le tri devient nécessaire au vignoble ou à la réception en cave, ce qui se traduit encore par une perte de rendement. Lorsqu'on vinifie des baies contaminées, des déviations aromatiques apparaissent, avec des goûts de moisi, de terre ou de champignon frais dus au botrytis mais aussi à d'autres moisissures qui s'installent après lui.
« Les enzymes produites par ce champignon, et en particulier la laccase, provoquent des oxydations en chaîne qui finissent par dégrader les anthocyanes et les tanins. Cela se traduit par une altération de la couleur et de la structure des vins », souligne Philippe Jeandet, de l'université de Reims. Pour les effervescents, la quantité et la tenue de la mousse peuvent être réduites. « Les dégâts sont signficatifs à partir de 20 % de baies contaminées », précise-t-il.
Y a-t-il des mesures préventives à prendre ?
Oui. Elles sont essentielles pour réduire les risques et limiter le nombre de traitements. Il faut maîtriser la vigueur de la vigne, au travers de l'alimentation en azote et de l'enherbement. Il faut également soigner la lutte contre l'oïdium et contre les deuxième et troisième générations de vers de la grappe pour éviter la création de portes d'entrée pour le champignon. Enfin, l'ébourgeonnage, l'effeuillage et l'éclaircissage améliorent l'aération des grappes. En cas de pluie, celles-ci sèchent plus rapidement.
Comment raisonner les traitements chimiques ?
La stratégie officielle consiste à appliquer un ou deux traitements à des stades clés : A (chute des capuchons floraux), B (fermeture de la grappe), C (début véraison) ou D (trois semaines avant vendange). Même les Champenois ne recommandent plus de faire trois traitements. La lutte doit être adaptée à la sensibilité des cépages et des porte-greffes, qui varie fortement. Celle-ci a d'ailleurs été évaluée précisément sur des collections dans le Bordelais. Et des recherches sont en cours pour classer les clones. Dans le Bordelais, deux indicateurs complémentaires, le PRB (potentiel de réceptivité des baies) et l'IPP (indice de perméabilité pelliculaire) permettent d'évaluer les risques à la fermeture de la grappe. Le climat de l'année est également déterminant.
Où en est-on des résistances ?
Des résistances existent déjà pour la plupart des familles de matières actives utilisées. « En Champagne, près de 60 % des souches observées résistent simultanément à tous les antibotrytis. Heureusement, l'intensité de cette résistance est faible à moyenne et, de ce fait, la lutte reste efficace », précise Anne-Sophie Walker. Mais pour éviter de sélectionner trop vite de nouvelles résistances, mieux vaut alterner les matières actives dans le temps, si possible sur deux ans au lieu d'un, et dans l'espace, en raisonnant le choix des produits à la parcelle.
Quelles perspectives ouvre le séquençage du génome ?
Sur les seize chromosomes du botrytis, les chercheurs ont identifié 14 270 gènes. Ils ont découvert ceux qui s'expriment lorsqu'il infecte les baies. « Nous avons ainsi repéré une quarantaine de molécules potentiellement toxiques synthétisées par le botrytis pour tuer les cellules de la plante, alors que nous n'en connaissions que deux », révèle Muriel Viaud, de l'Inra de Versailles (Yvelines). Grâce à ces méthodes, les chercheurs vont pouvoir identifier les molécules que le botrytis utilise pour dégrader des composés de la plante, la façon dont il détruit ou contourne ses défenses et les signaux qu'il prend en compte pour adapter son comportement. Le but est d'imaginer de nouvelles méthodes de lutte et de mettre au point des outils d'aide pour mieux positionner les traitements. Ce travail d'identification des gènes qui s'activent au cours de l'infection est mené en même temps sur la vigne. « Nous pouvons ainsi mieux cerner les moyens de défense qu'elle utilise et évaluer plus facilement les produits susceptibles de les stimuler », ajoute Christophe Clément.
Une infection latente jusqu'à la véraison puis qui progresse avec la maturation
SCLÉROTES. Ces petits amas de mycélium sont la forme de conservation de Botrytis cinerea. Le champignon passe l'hiver ainsi, sur les sarments ou sur des débris végétaux laissés au sol. Au printemps, le mycélium se développe, fructifie et libère des spores appelées conidies. © M. FOUCHARD/INRA
CONIDIOPHORES portant des spores (conidies) de B. cinerea vues au microscope à balayage. Les spores se disséminent par le vent ou la pluie. Elles se posent sur les feuilles, les fl eurs ou les pédoncules des grappes. Là, elles germent puis pénètrent à l'intérieur des tissus si la température dépasse 13°C, s'il y a une pellicule d'eau à la surface des organes et si le taux d'humidité dépasse 90 %. © I. BORNARD/M. BARDIN/INRA
BAIES INFECTÉES. Sur cette photo, on voit que 48 heures après l'inoculation de spores, ces dernières ont formé un appressorium complexe également appelé « coussin d'infection ». © M. VIAUD/INRA
FEUILLES INFECTÉES. Cette photo a été prise 48 heures après l'inoculation du champignon. La spore a formé un tube germinatif et un appressorium (la structure qui permet au botrytis de pénétrer à l'intérieur des organes). © M. VIAUD/INRA
<b>Ce champignon provoque la pourriture grise. Il peut contaminer la vigne dès la floraison. Mais dans les baies, il doit attendre l'arrivée des sucres. Son génome vient d'être séquencé, ce qui devrait contribuer à améliorer les méthodes de lutte.</b>