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GÉRER - LA CHRONIQUE JURIDIQUE

Quand les juges édictent des règles de bonne culture

Jacques Lachaud - La vigne - n°240 - mars 2012 - page 68

En l'absence d'un état des lieux rédigé lors de la signature d'un bail, les vignes louées sont réputées confiées au preneur en bon état. Il s'agit ensuite de les exploiter « en bon père de famille ». Un arrêt précise cette notion…

Dans un arrêt rendu le 17 mai 2011, les juges de la Cour de cassation ont livré une véritable leçon sur la culture de la vigne, énumérant, telles des règles de droit, ce qu'il ne faut pas faire. Les juges sont ainsi devenus agronomes, tout en demeurant des juristes avertis. L'affaire porte sur un litige entre un bailleur et son preneur. Au printemps 1989, Yvan, propriétaire d'un vignoble classé en AOC, le donne à bail à Xavier. La surface comprend 7 ha de jeunes vignes en parfait état et 8 ha de vieilles vignes. C'est à leur sujet que va naître le conflit. En dépit du code rural, fermier et preneur n'établissent pas d'état des lieux. Or, cela aurait dû être fait « contradictoirement et à frais communs dans le mois qui précède l'entrée en jouissance ou dans le mois suivant celle-ci », indique l'article L 411-4 du code rural.

À l'automne 2004, Yvan estime que ses 8 ha de vieilles vignes se sont beaucoup dégradés. Il fait constater par huissier leur mauvais entretien et la baisse significative du rendement. Il décide d'entreprendre une action en résiliation. Pour agir en justice, il se base sur l'article 1766 du code civil ainsi rédigé : « Si le preneur […] abandonne la culture, s'il ne cultive pas en bon père de famille, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, […] et qu'il en résulte un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, […] faire résilier le bail. En cas de résiliation provenant du fait du preneur, celui-ci est tenu des dommages et intérêts. »

Reste à apprécier les faits. La justice a été maintes fois amenée à se prononcer sur des litiges de ce genre. Les juges doivent faire la part des choses : certes les preneurs ne sont pas des anges, mais les bailleurs ont parfois tendance à noircir leur comportement. Aussi, dans de tels conflits, les juges du fond, c'est-à-dire ceux du tribunal paritaire et de la cour d'appel, doivent apprécier si les négligences sont suffisantes, ou non, pour compromettre la bonne exploitation du fonds. Ils doivent aussi s'assurer qu'elles ne résultent pas de la force majeure ou de raisons sérieuses et légitimes. Généralement, la Cour de cassation, qui n'est pas juge du fond, décide que ces juges ont souverainement apprécié le comportement du preneur.

Des chênes verts ont épuisé le milieu

Dans l'arrêt du 17 mai 2011, les juges suprêmes se sont, pour une fois, prononcés sur l'entretien d'un vignoble. C'est l'intérêt majeur de cet arrêt. La Cour de cassation édicte ainsi, sous forme de règle, ce qu'il ne faut pas faire. Elle constate que « depuis de nombreuses années et à tout le moins depuis 2004, le sol supportant les vignes était dans un état médiocre, que la persistance d'herbes, de chiendent et de chênes verts avait épuisé le milieu, réduit la vigueur des ceps et accéléré la mortalité de certains d'entre eux ». Les juges ajoutent que « l'absence de palissage et la disparition des fils porteurs des bras de ceps ont entraîné la déformation des souches qui s'étaient affaissées et la destruction, par la machine à vendanger, d'un grand nombre de pieds qui n'étaient plus alignés sur le rang ». Pour se défendre, le preneur a bien fait valoir que les vignes étaient déjà en mauvais état lorsqu'il les a prises. Le propriétaire lui a rétorqué qu'en l'absence d'état des lieux, il est censé les avoir reçues en bon état.

On peut estimer que cet arrêt constitue le bréviaire du bailleur de vigne, car il énumère les reproches à mettre en avant pour obtenir la résiliation. À noter enfin que, conformément à la jurisprudence antérieure, les manquements retenus sur les vieilles vignes ont justifié la résiliation totale du contrat.

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RÉFÉRENCE :

Cour de cassation du 17 mai 2011.

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