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Magazine - Etranger

Cappadoce : Le réveil du vignoble turc

Évelyne Malnic - La vigne - n°240 - mars 2012 - page 76

En 2012, pour la première fois de leur histoire, des vins turcs sont référencés par des chaînes de cavistes en Grande-Bretagne. Signe du bond qualitatif effectué en dix ans avec l'aide d'œnologues et de consultants français. Analyse à travers une région, la Cappadoce.
TRADITIONNELLEMENT EN CAPPADOCE, les vendanges ont lieu de mi-septembre à fin octobre. Ici, comme partout ailleurs en Turquie, elles se font uniquement de façon manuelle. © É. GUÉRIN/TURASAN

TRADITIONNELLEMENT EN CAPPADOCE, les vendanges ont lieu de mi-septembre à fin octobre. Ici, comme partout ailleurs en Turquie, elles se font uniquement de façon manuelle. © É. GUÉRIN/TURASAN

TAILLE BASSE (en haut, domaine Vinolus) et taille haute (domaine Kavaklidere, Avanos), les deux modes culturaux cohabitent. PHOTOS É. MALNIC

TAILLE BASSE (en haut, domaine Vinolus) et taille haute (domaine Kavaklidere, Avanos), les deux modes culturaux cohabitent. PHOTOS É. MALNIC

TAILLE BASSE (en haut, domaine Vinolus) et taille haute (domaine Kavaklidere, Avanos), les deux modes culturaux cohabitent. PHOTOS É. MALNIC

TAILLE BASSE (en haut, domaine Vinolus) et taille haute (domaine Kavaklidere, Avanos), les deux modes culturaux cohabitent. PHOTOS É. MALNIC

GÜLLÜ KIUGASIAN, winemaker du domaine Vinolus (situé près de Kayseri à quelque 1 150 m d'altitude et cultivé en agriculture biologique), a privilégié pour ses chardonnays une taille très basse afin que les plants affrontent au mieux les rigueurs de l'hiver anatolien.

GÜLLÜ KIUGASIAN, winemaker du domaine Vinolus (situé près de Kayseri à quelque 1 150 m d'altitude et cultivé en agriculture biologique), a privilégié pour ses chardonnays une taille très basse afin que les plants affrontent au mieux les rigueurs de l'hiver anatolien.

LEVON BAGIS, le directeur marketing de Kavaklidere, montre que la taille basse a longtemps été la tradition. Pour les cépages blancs certes, mais aussi pour le tempranillo planté sur un sol sableux. © É. MALNIC

LEVON BAGIS, le directeur marketing de Kavaklidere, montre que la taille basse a longtemps été la tradition. Pour les cépages blancs certes, mais aussi pour le tempranillo planté sur un sol sableux. © É. MALNIC

NEIGE. La Cappadoce connaît des climats extrêmes avec des étés chauds et secs et des hivers extrêmement rigoureux, les températures pouvant chuter à - 20°C, comme cet hiver. Ce qui oblige les vignerons à butter dès le mois de novembre. © É. GUÉRIN/TURASAN

NEIGE. La Cappadoce connaît des climats extrêmes avec des étés chauds et secs et des hivers extrêmement rigoureux, les températures pouvant chuter à - 20°C, comme cet hiver. Ce qui oblige les vignerons à butter dès le mois de novembre. © É. GUÉRIN/TURASAN

DANS SON CHAI ultramoderne d'Avanos (région de Gulsehir), le leader historique des vins turcs (près de 20 millions d'hl par an sur quelque 562 ha) vinifie ses blancs à partir d'émir, de narince ou de sauvignon, dont sa cuvée prestige Les Côtes d'Avanos. Les rouges sont vinifiés à Ankara.

DANS SON CHAI ultramoderne d'Avanos (région de Gulsehir), le leader historique des vins turcs (près de 20 millions d'hl par an sur quelque 562 ha) vinifie ses blancs à partir d'émir, de narince ou de sauvignon, dont sa cuvée prestige Les Côtes d'Avanos. Les rouges sont vinifiés à Ankara.

Avec ses paysages lunaires et ses cheminées des fées, la Cappadoce n'est pas seulement une région touristique spectaculaire, elle est aussi le berceau de la viticulture turque. C'est là, en effet, que les archéobotanistes ont découvert les premières traces de Vitis vinifera datant du IVe millénaire avant J.-C.

Aujourd'hui, le vignoble turc est le sixième au monde avec 486 000 ha (3,8 millions de tonnes). Mais seulement 2 % de la récolte est vinifiée, tout le reste étant consommé comme raisins de table et raisins secs.

Entre 1 000 et 1 500 m d'altitude

La Cappadoce occupe la troisième place en Turquie pour la production de vins (12 % du total). Son principal atout, ce sont ses cépages qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Ces variétés ont prospéré là, entre 1 000 et 1 500 m d'altitude, sur de beaux terroirs, dans un climat continental, aux étés chauds et secs et aux hivers froids et rigoureux. Climat oblige, les vignerons ont opté pour une taille très basse afin de pouvoir butter en hiver, puis débutter au printemps pour lutter contre le gel. Si nécessaire, ils irriguent en été en cas de grosse sécheresse.

La modernisation du vignoble est en cours. Elle passe par une hausse de la densité de plantation. Ainsi, le domaine Turasan est passé de 650 à 2 800 pieds/ha, explique Édouard Guérin, directeur technique, ingénieur agronome et œnologue formé à Montpellier (Hérault), qui a rejoint ce domaine en 2007, après avoir répondu à une annonce. Au centre des réflexions : le mode de conduite. Faut-il continuer avec la taille basse traditionnelle ou opter pour le palissage moderne ? « Nous avons choisi la conduite moderne pour des raisons de qualité et de rendement, commente Levon Bagis, directeur marketing de Kavaklidere, le leader du marché. Nous essayons aussi la taille traditionnelle pour le sauvignon blanc, le tempranillo et le chardonnay. Nous verrons quelle technique donne les meilleurs résultats. »

Cohabitation discutée

Le grand cépage de la Cappadoce, terre de blancs, c'est l'émir, réputé particulièrement résistant au froid (jusqu'à 20°C), à la sécheresse et au mildiou. Et en rouge, ce sont l'ogüzgozü, le kalecik karasi et le bogarzkere. Depuis peu, ils cohabitent avec les stars internationales : chardonnay et sauvignon en blanc, merlot, cabernet-sauvignon et tempranillo en rouge.

Comme ailleurs, le débat est ouvert : cépages locaux et/ou cépages internationaux ? « L'avenir est à la cohabitation pacifique », insiste Taner Ogütoglü, directeur de Wines of Turkey, l'organisme chargé de développer la culture du vin en Turquie et de promouvoir les vins turcs à l'exportation.

Une opinion que partagent Édouard Guérin, qui s'essaye à la culture du tannat et de la syrah, et Aril Molu (domaine Vinolus, en culture biologique), à la recherche d'un équilibre entre le narinje et la roussane et la syrah plantés en 2009.

Mais cette opinion ne fait pas l'unanimité. Ainsi, tout en cultivant les deux types de cépages, Levon Bagis estime que « l'avenir est aux cépages locaux. Ils sont nos trésors que le monde découvre tout juste ». Quant au domaine Kocabag (créé en 1972), il a choisi de ne cultiver que les cépages indigènes, à l'exception de quelques plants de cabernet-sauvignon pour une cuvée prestige destinée aux hôtels de la région.

Les domaines investissent des moyens considérables dans des cuves en inox thermorégulées ou des fûts de chêne français pour remplacer les cuves en ciment traditionnelles. Ils font appel à des consultants internationaux, comme Stéphane Toutoundji (Turasan) ou Stéphane Derenoucourt (Klavaklidere), qui interviennent aussi bien à la vigne que dans les chais. La tendance n'est pas à la recherche de l'extraction ou aux vins bodybuildés, mais aux vins fruités exprimant leur terroir.

Les domaines produisent des vins blancs, des rouges, des rosés mais aussi des mousseux et des mutés. Les cuvées sont des monocépages, des assemblages turco-turcs ou turco-internationaux. Aucune législation, aucune réglementation, pas d'appellation, tout est permis… Comme, par exemple, d'assembler des vins de plusieurs régions viticoles. Cependant, « le vin, comme tout produit alimentaire, obéit à des règles et les domaines optent de plus en plus pour des normes qualitatives comme HACCP (hygiène et sécurité alimentaire) ou ISO 9000. Candidate à l'entrée dans l'Union européenne, la Turquie devrait à terme se doter d'un système d'appellations », pronostique Taner Ogütoglü.

« Nous avons la passion et le potentiel pour réussir »

Entre histoire et modernité, la Turquie poursuit sa marche en avant, avec un maître mot : la qualité. En témoignent les nombreuses médailles obtenues lors des concours internationaux (chardonnays du monde, mondial de Bruxelles…).

Les axes de développement sont bien identifiés. En tête : l'exportation. Les principaux marchés visés sont le Royaume-Uni, l'Allemagne et son importante communauté turque, mais aussi les États-Unis et Hong Kong. Sur ce plan, les choses sont en bonne voie, car pour la première fois cette année, des vins turcs sont référencés dans quatre grandes chaînes du Royaume-Uni : Thierry's, Laithwaites, Direct Wines et the Wine Society.

Deuxième axe : le tourisme. Les voyagistes sont nombreux à inscrire une visite des caveaux à leur programme.

Troisième axe : le marché intérieur. Les Turcs ne consommant qu'un litre de vin par habitant et par an, loin derrière la bière et le raki. « Nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, mais nous avons la passion et le potentiel. À nous de travailler dur dans ce sens », résume, optimiste et confiant, Levon Bagis.

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