« C'est du flicage. Du pinaillage. C‘est inadmissible.» Ce viticulteur en AOC Monbazillac ne décolère pas. Sous anonymat, il raconte la descente des douaniers, en septembre dernier, flanqués de GPS dernier cri. Objectif de la manœuvre ? Vérifier que les superficies déclarées dans le CVI (casier viticole informatisé) correspondent bien à la réalité.
Bingo : sur une parcelle de 1,30 ha, ils découvrent 4,70 ares qui ne sont pas plantés. Le viticulteur en a fait une aire d'agrément. Erreur. Selon les douanes, il devrait y avoir là quatre rangs de 15 pieds de vigne. Le voilà donc accusé de fausses déclarations de récoltes et sanctionné. Comme il était au rendement maximum, il a dû s'engager à distiller les trois dernières récoltes produites sur 4,70 ares. En prime, les douanes lui ont confisqué les droits de plantation sur cette surface. L'affaire lui reste en travers de la gorge.
Les vignobles Dubard (85 ha de vignes en AOC Bergerac et Montravel, 4 800 hl), eux aussi, ont eu droit à la visite des douanes. Contrôle des stocks en février 2011, puis contrôle des surfaces entre avril et juin. À l'arrivée, l'administration constate des différences entre les superficies plantées déclarées par le viticulteur et celles qu'elle a relevées sur le terrain. En cause ? Ici, un talus très long, de 16 ares, placé entre deux parcelles, qui n'aurait pas dû être déclaré dans la surface plantée. Là, un pré au bout des vignes. « Leur GPS est très performant », reconnaît Grégory Dubard.
Les arrachages aussi dans le colimateur
Mais ce n'est pas tout. Les douanes s'intéressent aussi aux arrachages. Les soustractions vont bon train. En novembre 2010, Gégory Dubard fait une déclaration d'intention d'arrachage pour une parcelle de 2,56 ha et 29 centiares. En avril 2011, il rend sa déclaration d'achèvement de travaux, confirmant qu'il a tout arraché. Puis les douanes viennent faire leurs contrôles et découvrent que 4 ares sont en réalité constitués d'un pré et d'un caveau. Grégory Dubard avait aussi déclaré avoir arraché en totalité une autre parcelle de 50 ares et 60 centiares. Selon les contrôleurs, l'arrachage ne porte que sur 38 ares et 16 centiares.
Fausses déclarations d'arrachage et fausses déclarations de récolte : les sanctions tombent. Ce viticulteur devra notamment distiller 115 hl en AOP Bergerac rosés produits en dépassement des rendements maximum autorisés. Beau joueur, il pointe le côté positif du contrôle: « Maintenant, tout est à jour. C'est nickel. Nous avons une vraie photographie de notre vignoble. » Sauf que la pilule est amère. « Les sanctions ne sont pas adaptées. On nous fait passer pour des voleurs, alors que nous sommes de bonne foi », lâche-t-il.
Depuis août 2011, en Aquitaine, les douanes auraient effectué 287 contrôles dont 40 % auraient révélé des erreurs donnant matière à redressement. Dans les vignobles, on s'interroge : quelle mouche les a piquées ? Personne ne peut répondre. Mais la contre-offensive se prépare. « Nous sommes d'accord pour fiabiliser le casier informatisé viticole, mais la méthode n'est pas acceptable. Elle est coercitive, subie et mal expliquée. Les viticulteurs sont choqués par la façon de faire », assène Pierre-Henry Cougnaud, directeur de la Fédération des vins du Bergeracois (FVB).
La profession réclame une pause
Le 5 mars dernier, une délégation composée de la Fédération des grands vins de Bordeaux, de la Fédération des vins du Bergeracois, des Vignerons indépendants et de la coopération d'Aquitaine s'est retrouvée dans le bureau de Pierre Cariou, directeur régional des douanes à Bordeaux (Gironde). Les responsables professionnels sont venus demander que les contrôles marquent une pause, le temps d'informer les viticulteurs. Un vœu qui n'a pas été exaucé. Malgré cela, Pierre Cariou tente de jouer l'apaisement. « Le casier viticole informatisé doit être mis à jour. Nous devons en améliorer la fiabilité et la qualité », explique-t-il. Pour y parvenir, les représentants des viticulteurs et les services des douanes devraient se retrouver régulièrement pour travailler sur des dossiers anonymes. Et trouver des points d'accord.
« Nous espérons faire évoluer la perception des douanes. Le problème est bien dans la notion de superficie cultivée », indique Pierre-Henry Cougnaud. Quel pourcentage de tournières peut-on faire entrer dans la surface cultivée ? Et les talus ? Et les poteaux EDF installés sur une parcelle ? Il faudra trouver des règles communes pour répondre à ces questions concrètes. Et tenter de faire lâcher du lest à l'administration. D'autant que l'Aquitaine est observée à la loupe. « Cette région est pilote. À terme, ce plan d'action sera étendu à toute la France », révèle Pierre Cariou.
Établir une doctrine nationale
Du coup, ce dossier est remonté au plan national, à la Cnaoc. « Nous ne savons pas pourquoi les douanes s'excitent. Mais nous allons nous saisir de cas concrets pour définir une doctrine. Car les enjeux sont importants. Ils touchent au patrimoine et au droit à produire. Il faut absolument une discussion contradictoire avant un procès-verbal », affirme Bernard Farges, président de la Cnaoc et président du Syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur.
La Cnaoc a constitué un groupe de travail piloté par Philippe Pellaton, président du Syndicat des Côtes du Rhône. Il va tenter d'établir avec l'administration une doctrine nationale en matière de gestion des talus, des tournières, des rochers, etc.
En attendant, la Fédération des vins de Bergerac invite ses viticulteurs à lui faire part de tous les problèmes de contrôles en cours ou finalisés. Tout ce qui peut apporter de l'eau au moulin est bienvenu : photos aériennes, plan cadastral... Des munitions pour alimenter les discussions à venir avec les douanes. En cas de litige, la fédération recommande aux viticulteurs de ne pas signer les procès-verbaux de contrôle et d'indiquer qu'ils transmettent leur dossier à la FVB pour qu'il soit examiné lors des réunions organisées avec les douanes au plan régional. La contre-offensive est lancée.
Les viticulteurs des Côtes du Rhône déjà confrontés au problème
Il y a deux ans, les viticulteurs des Côtes du Rhône ont, eux aussi, subi les contrôles des douanes. Premiers concernés : ceux des dentelles de Montmirail, là où les parcelles sont escarpées, morcelées et en « banquettes » (des terrasses en coteaux). Franck Alexandre, secrétaire général du Syndicat des Côtes du Rhône, a pris le dossier à bras-le-corps. « Nous avons contesté la méthode des douanes qui tenait seulement compte de la surface plantée, mais pas des tournières, ni des talus », explique-t-il. Le syndicat a dépêché deux techniciens sur le terrain pour réaliser un travail de géomètre. Ils ont passé plusieurs propriétés au peigne fin. Cette somme de mesures a donné lieu à un épais dossier argumenté qui démontre que plus la parcelle est petite ou biscornue, plus il faut de tournières et de chemins pour la travailler, des surfaces qu'il faut intégrer à la superficie cultivée. Des réunions se sont tenues tous les deux mois entre le syndicat et l'administration régionale. Finalement, les lignes bougent. « Aujourd'hui, les douanes seraient prêtes à prendre en compte les haies, les tournières, les fossés et chemins dans la surface plantée. Il y a encore un an, elles ne l'auraient pas accepté », souligne-t-il. Les négociations devraient aboutir avant la prochaine déclaration de récolte. En attendant, les contrôles continuent mais sans que les amendes soient acquittées.
Le Point de vue de
David Fourtout, vignoble des Verdots, à Conne-de-Labarde (Dordogne). AOC Bergerac, 34,13 ha, 1 500 hl, 200 000 cols, 50 % export.
« Je passe pour un tricheur. C'est inadmissible ! »
« En 1991, j'ai acheté à la Safer une propriété de 7,63 hectares de vignes en AOC Bergerac. J'ai repris les déclarations de récolte et les fiches d'encépagement de l'ancien propriétaire.
J'ai fait du copié-collé. Les douaniers sont venus sur la propriété une première fois en septembre 2010 pour contrôler les stocks. Ils ont trouvé 30 hl en trop. Sauf qu'ils se sont trompés dans leur calcul. Ils ont reconnu leur erreur. Seconde visite, en décembre de la même année, cette fois pour le contrôle des parcelles.
Ils ont fait le métrage sur le terrain avec leur GPS et ont comparé avec les informations données dans le casier viticole informatisé. Ils ont trouvé une "anomalie". À savoir que, dans cette surface, il y a 35 ares de bois déclarés en vignes depuis toujours. Je ne pensais pas que ces bois m'appartenaient.
Aujourd'hui, contre qui puis-je me retourner ? Je ne nie pas qu'il y a des bois, mais j'aurais souhaité que ces 35 ares me soient restitués en droit de plantation pour maintenir mon potentiel de production. Les douanes n'ont rien voulu entendre. J'ai été convoqué dans leurs bureaux à Bergerac en janvier 2011. Il m'a été notifié en février 2012 que j'avais fait une fausse déclaration d'encépagement sur une parcelle. Les droits de plantation ont été purement et simplement supprimés sur ces 35 ares. Comme je ne fais jamais le rendement maximum autorisé, je n'ai pas eu à distiller le volume correspondant à ces 35 ares, et ce sur trois années puisqu'il y a effet rétroactif ! Au final, cela m'a fait dépenser beaucoup d'énergie. Je ne veux pas que l'administration ait droit de vie ou de mort sur mon exploitation. Je passe pour un tricheur. C'est inadmissible ! »