Retour

imprimer l'article Imprimer

VIGNE

Haro sur les traitements à l'hélico

Ingrid Proust - La vigne - n°241 - avril 2012 - page 36

Depuis l'an dernier, les traitements par hélicoptère sont interdits, sauf exception. Les vignerons concernés le déplorent car, selon eux, l'épandage aérien a plusieurs avantages, y compris au niveau environnemental.
POUR OBTENIR UNE DÉROGATION ET POUVOIR TRAITER À L'HÉLICOPTÈRE, il faut justifier d'un terrain très accidenté, d'un manque de portance ou d'une urgence à intervenir.

POUR OBTENIR UNE DÉROGATION ET POUVOIR TRAITER À L'HÉLICOPTÈRE, il faut justifier d'un terrain très accidenté, d'un manque de portance ou d'une urgence à intervenir.

En Bourgogne, vignoble de plus de 27 000 ha, une cinquantaine d'hectares seulement ont été traités à l'hélicoptère l'an dernier, soit six fois moins que les années précédentes. Même chute en Champagne. « En 2005, 12 % du vignoble était traité à l'hélicoptère. En 2011, les surfaces sont passées à 4 %, soit 1 200­ha », déclare Dominique Moncomble, responsable des services techniques au CIVC.

« Les traitements à l'hélico ne sont plus dans l'air du temps.» Ce commentaire d'un fonctionnaire de la Direction régionale de l'agriculture de Champagne résume bien la nouvelle situation face à cette pratique depuis la loi Grenelle II de 2010. Transposant une directive européenne de 2009, cette loi interdit l'épandage aérien des produits phytosanitaires, sauf exception. Pour obtenir une dérogation, il faut justifier d'un terrain très accidenté, d'un manque de portance ou d'une urgence à intervenir. De plus, la réglementation impose aux sociétés phytosanitaires de demander une homologation spécifique pour épandre leurs produits par voie aérienne. Ces durcissements ont entraîné la forte baisse des surfaces traitées à l'hélicoptère.

« Pour obtenir une dérogation, il faut pouvoir justifier de l'impossibilité de protéger une parcelle par voie terrestre et de l'intérêt du traitement aérien pour la santé et l'environnement. C'est parfois difficile à prouver », estime Jean-Pierre Chevalier, de la coopérative d'approvisionnement Bourgogne du Sud, qui organise des traitements aériens pour ses clients.

Un hélicoptère équivaut à 25 chenillards

La nouvelle réglementation a conduit l'interprofession champenoise à prendre une décision. « Il existe trop d'incertitudes sur la pérennité des dérogations et sur le fait que les firmes demanderont des homologations pour l'épandage aérien de leurs produits, poursuit Dominique Moncomble. L'image de la Champagne auprès du grand public est également à prendre en compte. Nous avons donc estimé qu'il valait mieux faire une croix sur les traitements à l'hélico. Pour donner le temps aux vignerons de s'organiser, nous avons établi un plan de sortie sur trois ans. Nous continuerons de déposer les demandes de dérogation au nom des vignerons jusqu'en 2014

Les professionnels ne cachent pas leurs regrets. « L'hélicoptère permet une rapidité d'intervention intéressante après un orage, explique Marc Ouvrié, responsable à Tain-L'Hermitage (Drôme) de l'antenne du Syndicat général des vignerons de Côtes du Rhône. Dans notre région, souvent ventée, les vignerons peuvent tout traiter en une journée avec l'hélicoptère. Cela leur laisse la possibilité d'intervenir lorsque les conditions météo sont les plus favorables. » Dans les Côtes du Rhône septentrionales, jusqu'à l'an dernier, 300 ha étaient couverts par hélicoptère, soit 10 % du vignoble, selon le Syndicat général des vignerons.

Traiter à l'hélicoptère présente également un intérêt à l'égard de l'environnement. « Un hélicoptère équivaut à 25 chenillards, note Dominique Moncomble. Il peut traiter 100 ha en une journée, tout en consommant moins de carburant et moins d'eau. Il entraîne aussi moins de pertes et ne représente qu'un fond de cuve à gérer. » Une soixantaine de litres de bouillie sont utilisés à l'hectare avec un hélicoptère, contre plus de 250 litres avec un tracteur.

« Le grand public imagine que traiter avec l'hélicoptère est plus polluant, remarque Marc Ouvrié. Des essais du Cemagref ont montré qu'une application à l'hélicoptère dans des conditions météo appropriées n'entraîne pas plus de dérive qu'un traitement classique, et parfois même moins. » Traiter à l'hélicoptère n'est pas antinomique avec une démarche de respect de l'environnement : des vignerons en bio et même en biodynamie y avaient recours.

Traiter au chenillard ou à dos d'homme

Par la force des choses, les producteurs ont dû mettre en place des solutions de substitution, avec plus ou moins de difficultés. Le traitement à l'hélicoptère concernait parfois des vignes en plaine. « Des vignerons choisissaient cette solution pour des raisons de confort, pour traiter des parcelles éloignées de leur domaine ou parce qu'ils exerçaient une autre activité professionnelle », commente Dominique Moncomble. Sur ces parcelles, le retour à l'enjambeur s'est imposé naturellement et sans trop de mal.

Sur les zones plus pentues, il est possible d'installer des treuils, mais cela représente un lourd investissement pour de petites surfaces. Les vignerons ont plutôt recours aux chenillards lorsque le dénivelé et le terrain le permettent. « Le plus simple est parfois d'intervenir à dos d'homme », souligne Sébastien Carré, de la chambre d'agriculture de l'Aube. Mais « faire traiter des parcelles entières par des ouvriers viticoles munis de pulvés les expose beaucoup aux produits phytos et coûte nettement plus cher à l'hectare que l'hélicoptère », signale Marc Ouvrié. Sans compter que la durée de ces traitements « à l'ancienne » est sans commune mesure avec l'épandage aérien…

Ce nouveau contexte va sans doute conduire les sociétés prestataires de traitements par hélicoptère à mettre fin à leur activité, faute de marché suffisant.

Le Point de vue de

Pierre Clape, vigneron à Cornas (Ardèche)

« Nous allons devoir passer des journées entières à traiter »

Pierre Clape, vigneron à Cornas (Ardèche)

Pierre Clape, vigneron à Cornas (Ardèche)

« À Cornas, nous utilisons l'hélicoptère depuis 1990 sur 32 ha, des vignes en forte pente (50 %) et à forte densité de plantation. La seule solution pour remplacer l'hélicoptère est d'intervenir à dos d'homme. Cette année, si nous n'obtenons pas de dérogation, chacun d'entre nous devra reprendre son pulvé à dos et passer des journées entières à traiter. Entre l'hélicoptère et le traitement en pulvé à dos, le rapport est de un à dix en terme de temps. Au niveau de la consommation de carburant, la comparaison est également en faveur de l'hélico. Avec un pulvé, elle est trois fois plus importante. Sur certaines parcelles, des canons pourraient permettre de traiter, mais ils présenteraient un problème de dérive et ils seraient trop difficiles à acheminer par tracteur. »

Le Point de vue de

Bertrand Darviot, vigneron à Meursault (Côte-d'Or)

« J'ai dû refaire des tournières et racheter un atomiseur à dos »

Bertrand Darviot, vigneron à Meursault (Côte-d'Or)

Bertrand Darviot, vigneron à Meursault (Côte-d'Or)

« Je traitais par hélicoptère depuis les années soixante-dix des vignes inaccessibles ou très pentues. Le durcissement de la réglementation nous a conduits à réaménager certaines parcelles pour refaire les tournières afin qu'un tracteur puisse y accéder.

Malgré cela, le tracteur ne passe pas partout. Sur une parcelle très pentue, nous avons tenté d'utiliser une chenillette. Mais elle s'est renversée car le dénivelé était trop important. Nous nous sommes alors rééquipés en atomiseur à dos. Avec cet atomiseur, il faut compter trois heures de main-d'œuvre, là où trois minutes en hélico suffisaient. La rapidité du traitement aérien permettait de sauver la récolte après un orage de grêle, en traitant toute la côte de Nuits en une journée. À l'avenir, que se passera-t-il dans une telle situation ? »

Cet article fait partie du dossier

Consultez les autres articles du dossier :

L'essentiel de l'offre

Voir aussi :