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Magazine - Histoire

Arnaud de Pontac : Créateur du premier grand cru

La vigne - n°241 - avril 2012 - page 79

Son flair et son sens du commerce et de la communication ont fait la renommée internationale du château Haut-Brion dès le XVIIe siècle. Il a ouvert la voie aux grands crus de Bordeaux.
Arnaud a créé un nouveau style de vin rouge, particulièrement prisé de l'autre côté de la Manche. © DOMAINE CLARENCE DILLON SAS

Arnaud a créé un nouveau style de vin rouge, particulièrement prisé de l'autre côté de la Manche. © DOMAINE CLARENCE DILLON SAS

Les origines de Haut-Brion remontent à 1549, lorsque l'arrière-grand-père d'Arnaud de Pontac construit le château. En 1649, l'arrière-petit-fils en prend les rênes, à la mort de son père. Né en 1599 dans cette famille très aisée du Bordelais, Arnaud de Pontac, comme ses ascendants, sera magistrat au parlement de Bordeaux, dont il deviendra premier président. Grâce à son flair et à son sens aigu du marketing et de la communication, ce magistrat va créer un véritable engouement international autour de son vin et inventer le concept de grand cru de Bordeaux bien avant l'heure.

« Le Ho Bryan, un vin qui ne ressemble à rien de connu »

« Vers 1650, le château détient 38 hectares de vigne et rien ne distingue encore ce cru (…), analyse l'historien Marcel Lachiver dans son ouvrage « Vins, vignes et vignerons ». Mais les choses vont changer rapidement. Ainsi, dès 1660, le livre de cave du roi Charles II d'Angleterre mentionne la présence de bouteilles de Hobriono. Puis le nom de Haut-Brion apparaît pour la première fois comme un vin de cru en 1663. À la date du 10 avril 1663, Samuel Pepys, secrétaire de l'amirauté britannique écrit dans son journal : " À la taverne du chêne royal (…) nous avons bu un certain vin français appelé Ho Bryan, il a un goût excellent et très particulier qui ne ressemble à rien de ce que je connais". »

De fait, Arnaud de Pontac a créé un nouveau style de vin rouge, dénommé « new french claret » par les Anglais. Pour ce faire, il a allongé la durée des cuvaisons et de l'élevage. Il a également appliqué les nouvelles techniques de conservation du vin introduites par les marchands hollandais depuis leur arrivée dans le Bordelais en 1630 : ouillage, soutirage, collage au blanc d'oeuf et méchage des barriques au soufre. Résultat : le vin se garde et se bonifie en vieillissant.

Arnaud de Pontac ne se contente pas de produire un vin adapté à la demande. Il joue habilement de son influence et de son carnet d'adresses pour développer la notoriété de son vin. Il est resté loyal au roi Louis XIV lors de la Fronde, dans les années 1650, ce qui lui vaut quelques honneurs et récompenses.

En 1666, Arnaud de Pontac envoie son fils François-Auguste à Londres ouvrir une taverne-restaurant, le Pontac's head, où est servi le haut brion. Le lieu devient rapidement à la mode. L'élite londonienne s'y presse pour venir manger et boire.

Le philosophe anglais John Locke, grand amateur de vins, est un habitué du lieu et, lors de son exil en France, il visitera le domaine. Dans ses carnets de voyage, il décrit au printemps 1677 « une petite éminence plus exposée vers l'ouest, (…) de pur sable blanc, mélangé de gravier. On aurait imaginé qu'elle n'était guère capable de produire quoi que ce soit ». « Ce terrain doit rendre vers 25 tonnes de vin… vendu 100 écus la tonne », poursuit-il, fustigeant au passage « la sottise des Anglais », qui « luttant pour l'obtenir à tout prix, font monter les prix (…) alors que de très bons vins sont à vendre 35, 40 et 50 couronnes la barrique ».

« Les Pontac ont imposé le vin de leur cru à un moment où les clarets (vins rosés légers, NDLR) n'ont plus l'estime qu'ils avaient acquise quelques siècles plus tôt, analyse Marcel Lachiver. Les Anglais leur préfèrent alors les vins plus colorés et plus puissants d'Espagne et du Portugal.

« En 1660, la restauration du roi Charles II, qui s'était réfugié en France lors de son exil et en a ramené un goût pour les modes françaises et pour le vin en particulier, impulse un change ment dans les attitudes de l'élite londonienne, complète le géographe Tim Unwin dans un essai. Ces nouveaux vins répondent parfaitement à sa demande d'un marché élitiste capable de boire des breuvages susceptibles de les différencier socialement de la masse de la populace. »

Bien avant Margaux, Lafite et Latour

Arnaud de Pontac meurt à l'âge vénérable de 82 ans, en 1681. La rentabilité du château est déjà excellente : les bénéfices atteignent 60 % du chiffre d'affaires. L'exemple de Haut-Brion fera des émules. Mais il faudra attendre 1704 pour voir apparaître la mention de Margaux, puis 1707 pour celles de Lafite et Latour.

Un siècle plus tard, en 1776, la première hiérarchie des crus est établie à partir de leur prix de vente. Elle sera consacrée par le classement des grands crus de 1855. Haut-Brion devient alors le seul premier grand cru classé des Graves. Le 13 mai 1935, Clarence Dillon, banquier américain amoureux de la France, rachète le château. Son arrière-petit-fils, le prince Robert de Luxembourg, le dirige aujourd'hui et fête, en 2012, 350 ans de renommée.

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SOURCES

« La géographie viticole de la France au XVIIe siècle selon John Locke », par Tim Unwin. Annales de géographie, année 2000, tome 109.

« Vins, vignes et vignerons : histoire du vignoble français », de Marcel Lachiver.

Archives du château Haut-Brion.

Site internet du domaine: www. haut-brion.com

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